VITICULTURE
À chacun son engrais vert !

Mylène Coste
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VITICULTURE / Ils ont chacun leurs objectifs : fertiliser les sols, contrôler les mauvaises herbes, favoriser la biodiversité, améliorer la structure du sol, limiter le ruissellement et l’érosion, faciliter la décomposition des bois de taille, gagner en confort de travail sur sol argileux... Pour ce faire, ils ont opté pour la pratique des engrais verts, et partagent leurs expériences au sein du groupe Dephy viticulture des côtes-du-rhône septentrionales1 pour s'enrichir mutuellement. Témoignages.

À chacun son engrais vert !
Régis Gonnet, viticulteur et arboriculteur à Glun (Nord-Ardèche)

Régis Gonnet, viticulteur et arboriculteur à Glun (Nord-Ardèche)

En agriculture biologique depuis une dizaine d'années, Régis Gonnet est engagé de longue date dans une démarche de limitation des intrants. C'est donc très naturellement que ce viticuleur coopérateur s'est intéressé à la pratique des engrais verts, il y a plusieurs années déjà. « L'intérêt premier de cette pratique était de pouvoir amener de la matière organique au sol, sans pour autant passer par des apports extérieurs. » Depuis environ cinq ans, il expérimente ainsi plusieurs types de couverts végétaux dans ses vignes.

Un triptyque « céréale, crucifère, légumineuse »

Chaque espèce recouvrant un apport différent, leur choix est primordial et doit être en adéquation avec le type de sol. Dans le cas de Régis Gonnet, ce sont « essentiellement des sols granitiques en Saint-Joseph, mais également quelques sols calcaires sur Cornas ; le tout allant de pieds de coteaux assez profonds à des sols squelettiques sur le plateau ». Toutefois, pour choisir ses mélanges, il veille à un équilibre des semences entre céréales ou graminées, crucifères et légumineuses. « Il n'est pas toujours facile de trouver les espèces que l'on cherche, c'est pourquoi, depuis trois ans, je fais mes propres mélanges de semences selon ce que j'ai observé, indique-t-il. En légumineuses, le trèfle perse et le trèfle incarnat prennent bien. Pour attirer les petites bêtes, je privilégie aussi les plantes mellifères comme la vesce ou la phacélie, cette dernière ayant un réel apport de phosphore. Côté céréales, j'utilise notamment de l'orge et de l'avoine. Quant aux crucifères, le radis potager est assez satisfaisant dans mes parcelles. »

« Garder le couvert le plus longtemps possible »

Après avoir semé ses engrais verts à la main durant les premières années, Régis Gonnet s'est équipé d'un semoir autoconstruit à semi-direct avec l'aide de l'Atelier Paysan2. « Il convient de semer à l'automne, en veillant à trouver une fenêtre météo adéquate un peu avant la pluie. Cela n'a pas été simple ces trois dernières années, avec des automnes particulièrement secs », souligne le viticuleur glunois. Il précise : « Je sème mes engrais verts un rang sur deux, et sur le rang non semé je laisse mon bois de taille se décomposer ».

« Je tente de laisser le couvert se développer le plus longtemps possible afin d'avoir une importante masse végétale. Plus le volume est important, et plus l'apport de l'engrais vert est efficace ! Il poursuit : En principe, je détruis mes engrais verts à la mi-mai; toutefois cette année, la végétation s'est développée lentement faute de pluie ».

Un broyat juste après floraison

Régis Gonnet détruit ses engrais verts à l'aide d'un broyeur, juste après leur floraison, « la meilleure période pour libérer les éléments nutritifs de la végétation ». « Je laisse ensuite le broyat en mulch sur le sol pendant au moins un mois, voire jusqu'à la fin de la saison. » Il précise également : « Je travaille le rang non-enherbée pour éviter la concurrence hydrique ».

1. Le groupe Dephy des cote-du-rhône septentrionales est piloté par la Chambre d'agriculture de l'Ardèche.
2. Coopérative autoconstruction d'outils de travail agricole.

Sébastien Michelas, viticulteur à Mercurol (Nord-Drôme)

Sébastien Michelas, viticulteur à Mercurol (Nord-Drôme)

Sébastien Michelas, du Domaine Saint Jemms, cultive une cinquantaine d'hectare de vignes, principalement en plaine et notamment en Crozes-Hermitage. Il pratique les engrais verts pour la deuxième année consécutive, uniquement en plaine mécanisable.

Des semences adaptées au sol de chaque parcelle

« Je sème à l'aide d'un semoir (Gerber) à semi-direct, explique-t-il. L'an dernier, j'ai utilisé des mélanges d'espèces prêts à l'emploi achetés dans le commerce, mais ils sont très chers et n'ont pas donné de résultats très satisfaisants. C'est pourquoi j'ai fait mes propres semis cette année, moins onéreux et adaptés selon la nature du sol de la parcelle concernée. » Le viticulteur a ainsi composé quatre mélanges d'engrais verts différents : « Un uniquement à base de féverole (80 kg/ha) ; un mélange féverole et seigle fourrager (57 kg/ha) ; un mélange seigle fourrager et radis noir (27 kg/ha); et enfin un mélange radis noir et trègle incarnat (12,5 kg/ha) ».

Il sème un rang sur deux, et travaille le rang non semé. « Pour avoir une densité suffisante, j'ai semé sur 1,50 m de large pour un rang de 2,30 m (soit sur la moitié du rang), avec la quantité en plein. C'est peut-être trop, mais au moins, je suis sûr d'avoir une bonne densité. » Sur quelques rangs, il a également laissé en test les semis de l'an passé, et observe : « Seul le trèfle a repoussé ».

Un roulage au Roll'n'sem

Il observe : « Mes engrais verts ont bien démarré, mais la pousse a ralenti avec le sec qui dure depuis janvier. Je les ai détruits début mai, à la sortie du pollen de seigle. » Il utilise un rouleau faca « Roll'n'sem » pour détruire les couverts sans hacher la végétation, et briser les mottes. « Je n'enfouis rien, je laisse la végétation sur le sol avant de la broyer, fin août. »

Pierre Gonon, viticulteur à Mauves (Nord-Ardèche)

Pierre Gonon, viticulteur à Mauves (Nord-Ardèche)

Certifiées en bio depuis 2010, les vignes du Domaine Gonon, essentiellement en Saint-Joseph, sont essentiellement situées sur des parcelles granitiques de bas coteau et coteau, mais également sur le vieux lit du rhône et en loess. « Nous travaillons en vignes étroites (1,50 / 0, 90 m et 1,10 / 0,90 m), spécifie Pierre Gonon. Et depuis deux ans, nous expérimentons des engrais verts dans l'inter-rang. Les semis sont effectués à l'autonmne, manuellement et à la volée, après un léger griffage (2 cm de profondeur) au moyen d'un treuil, au cheval de trait ou avec un tracteur à chenille. Le couvert végétal est bien régulier à certains endroits, un peu moins à d'autres : les fourmis rassemblent parfois les semis des céréales, formant par la suite des touffes de végétation. »

Maîtriser la végétation en vignes étroites

Le Domaine Gonon réalise ses propres mélanges d'espèces, et notamment cette année à base de trèfle incarnat, radis chinois, vesce, pois, blé et seigle. « On utilise principalement ces espèces, séparées ou mélangées, selon les types de sol de nos parcelles. Nous sommes surtout vigilants à bien maîtriser la hauteur de la végétation, qui peut vite poser problème en vignes étroites : les céréales poussent très vite ! Il faut pouvoir les enterrer avant qu'elles ne montent trop haut », indique le viticulteur. Il préconise une dose de 200 kg / ha pour les céréales. Il observe également : « La vesce n'est pas forcément idéale non plus en vignes étroites. Le radis chinois arrive vite en fin de cycle et pose donc moins de difficulté. Le trèfle consomme beaucoup d'eau, ce qui peut poser des problèmes de concurrence hydrique en cas de printemps secs ».

Un enfouissement avant le débuttage

Pierre Gonon détruit ses engrais verts au moment du buttage, fin février – début mars. « En petite largeur de vigne, il ne faut pas trop attendre, sinon la végétation peut rapidement prendre le pas. Les engrais verts sont alors enfouis avant le débuttage. »

Laurent Fayolle, viticulteur à Gervans (Nord-Drôme)

Laurent Fayolle, viticulteur à Gervans (Nord-Drôme)

Cela fait près de six ans déjà que Laurent Fayolle, producteur de vins en AOC Hermitage, Saint Péray et Crozes-Hermitage, a supprimé les herbicides. En conversion bio, il expérimente depuis trois ans la pratique des engrais verts, présents sur 80 % de son vignoble cette année soit 10 ha sur 12 h (un rang sur deux).

« Ne pas lésiner sur le dosage »

Pour lui, l'important est de créer une bonne densité de végétation dans le rang afin d'empêcher le développement d'adventices. « La première année, j'ai semé à la volée un mélange tout simple d'orge et de vesce en dosage 150 kg / ha. Le résultat a été très bon, la végétation s'est fortement développée. J'ai ensuite réalisé un roulage à floraison avec un rouleau faca afin de créer un mulch bien dense qui, en plus de limiter les adventices, a permis de maintenir de l'humidité au sol malgré le sec de l'été 2018. »

Sur la saison 2018-2019, le résultat a été cependant décevant : « J'ai utilisé un mélange tout prêt de diverses espèces (vesce, radis chinois, féverole, seigle, phacélie), dont les graines n'étaient pas toutes de même taille. Je les ai semées à l'aide d'un semoir, mais toutes les graines ne se sont pas bien développées, et la pousse s'est avérée très hétérogène. Il poursuit : Le roulage au rouleau faca ne fonctionne bien qu'avec une bonne densité de végétation, or ce n'était pas le cas, le mulch ainsi créé n'a pas été satisfaisant. Et les adventices se sont développées durant l'été... »

Une économie de travail

Cette année, le viticulteur est donc revenu à son mélange vesce – orge, qu'il a semé en semi-direct juste après les vendanges. « Je sème désormais au moyen d'un semoir adapté sur un cadre actisol par un fabricant : cela permet de limiter l'investissement, car les semoirs sont très couteux. Il observe un bon développement de la végétation. » Désormais équipé d'un semoir, il affirme que la pratique des engrais verts induit finalement un gain de temps : « Une fois les semis réalisés, il n'y a plus rien jusqu'au roulage de printemps, plus besoin de travailler le rang couvert par l'engrais vert. » La méthode est selon lui plus efficace que l'enherbement permanent : « Avant, mes vignes étaient enherbées un rang sur deux mais à l'été, cela provoquait trop de concourrence hydrique pour la vigne. Je n'ai plus ce souci avec les engrais verts ».

Il constate aussi : « Depuis trois ans, j'observe un développement des mycorises et un retour des insectes : les engrais verts contribuent à développer la vie biologique des sols ». Laurent Fayolle utilise des engrais verts sur les parcelles au repos avant replantation.

ARBORICULTURE / Des engrais verts aussi dans les jeunes vergers

ARBORICULTURE / Des engrais verts aussi dans les jeunes vergers
Régis Gonnet utilise également des engrais verts en arboriculture, notamment avant les plantations pour un apport de matière organique au sol. « Je fais également des engrais verts sur les jeunes arbres », précise-t-il, comme ici sur un jeune verger de kiwi.