ÉQUIDÉS
La filière équine, riche de sa diversité mais encore très fragile

De l’enseignement aux courses hippiques en passant par la reproduction, l’élevage, le secteur tertiaire ou encore le tourisme équestre, le monde du cheval regroupe des activités extrêmement variées. Toutes cohabitent autour d’une seule et même passion : le cheval. Tour d’horizon d’une filière où plusieurs activités, agricoles et de loisir, se côtoient.

La filière équine, riche de sa diversité mais encore très fragile
La France est le premier pays de trotteurs et le sixième pays producteur de pur-sang dans le monde. © pixabay

Au dernier pointage datant de 2020, la France compte 1 024 000 équidés dont plus de 100 000 en Normandie, Nouvelle-Aquitaine, Auvergne Rhône-Alpes et Pays de la Loire. Deux tiers sont des chevaux de selle et des poneys. Troisième région de France en nombre de saillies réalisées par les étalons en 2020 (7 761), Auvergne Rhône-Alpes en recense 929 en activité, majoritairement dans les départements du Cantal et de Haute-Loire, avec une prépondérance de races de chevaux de trait. La région est aussi la quatrième de France en termes de naissances (5 484 naissances immatriculées en 2020), et la première productrice de chevaux de trait. Elle est le berceau de trois races : le cheval du Vercors de Barraquand, le cheval d’Auvergne et l’âne du Bourbonnais. Elle représente plus de 90 % de la production nationale pour ces trois races.

Auvergne Rhône-Alpes, leader du tourisme équestre

Impossible de parler de chevaux sans parler de centres équestres. « Nous sommes le seul syndicat représentatif des centres équestres français », indique Philippe Audigé, président du groupement hippique national (GHN) regroupant cinq-mille établissements équestres français. « Aux côtés de l’association vétérinaire équine française (Avef), France Galop, la Fédération française d’équitation (FFE), la Fédération nationale du cheval (FNC) et Le Trot, nous avons signé en 2016 une charte pour le bien-être équin. Il est important pour nous tous que les fondamentaux soient respectés et que les dirigeants y soient vigilants », souligne-t-il. Le GHN travaille depuis trois ans avec les entraîneurs de trot et de galop à l’élaboration d’une convention collective commune afin de faciliter les passerelles professionnelles. Elle devrait aboutir d’ici début 2023. Auvergne Rhône-Alpes est la première région de tourisme équestre en France avec 9 963 cavaliers licenciés. Parmi les événements majeurs : le Grand régional de tourisme équestre, le Rallye Savoie Mont-Blanc, le Défi-nature, les Beaux dimanches, le Caval trophy et de nombreuses épreuves de techniques de randonnée équestres de compétition (Trec).

Profession agricole reconnue depuis 2005

La filière équine a pendant plusieurs années lutté pour obtenir le statut agricole. Ce n’est qu’en 2005, avec la loi du 23 février relative au développement des territoires ruraux, que les activités équestres ont pu être classées comme des activités agricoles, à l’exception des activités de spectacle. « Cette reconnaissance est arrivée très tard. Parmi tous les acteurs de la filière, les éleveurs de chevaux sont sous-représentés dans les instances professionnelles. Il n’y a, par exemple, aucun représentant de la Chambre régionale d’agriculture au sein du conseil de la filière cheval Auvergne Rhône-Alpes. D’où ce sentiment de se battre souvent pour des idées qui ne sont pas prioritaires pour une partie des acteurs de la filière », estime Nathalie Gravier, co-présidente du comité de filière équine de la région (Cofil). Cette instance régionale créée notamment pour accompagner le premier plan Ambition Cheval en 2018 oeuvre aujourd’hui aux côtés du conseil de la filière, souhaité en 1999 par le ministère de l’Agriculture pour regrouper toutes les activités équestres au sein d’une seule et même instance représentative. « L’activité élevage n’est pas vraiment défendue. Nous sommes pourtant à l’amont de la filière, confrontés à des problématiques qui peuvent avoir un impact sur les activités équestres de l’aval. Il y a aussi un manque de personnes qui s’investissent, ce qui n’arrange pas la situation », regrette l’élue régionale. Daniel Bignon, président du collège élevage au sein du conseil de filière et co-président du Cofil équin, ajoute : « Nous sommes confrontés à des problématiques spécifiques à l’élevage. Exemple : les mâles et les petites races sont plus difficiles à vendre, et nous avons besoin de trouver une vocation à ces animaux. Il est essentiel pour moi que le plan Ambition cheval, reconduit pour l’année 2022 par la Région (doté d’une enveloppe de 132 500 € destinée à l’élevage, ndlr), puisse prévoir une action spécifique pour la création de pépinières pour préparer ces chevaux à la traction et au travail du sol », ajoute-t-il. Deux écoles en France ont déjà entrepris l’exercice : l’école nationale des ânes maraîchers à Villeneuve-sur-Lot (Lot), spécialisé en maraîchage, et l’école nationale du cheval vigneron à Saint-Savin (Gironde), spécialisée en viticulture.

Alison Pelotier

Le retour de la traction animale
À Saint-Gervais-sur-Roubion, Denis Arnaud prépare, avec sa jument, une petite surface destinée à accueillir une plantation de géranium rosat. ©DR
ALTERNATIVE

Le retour de la traction animale

Technique d’autrefois, la traction animale est remise au goût du jour, tant sur les exploitations agricoles de la région que dans les villes. L’utilisation de l’attelage de chevaux ou d’ânes dans les travaux du quotidien apporte une solution nouvelle aux enjeux environnementaux.

Créé en 2013, le réseau professionnel Auvergne Rhône-Alpes de traction animale a vu le jour à la suite d’une demande de l’ancienne Région Rhône-Alpes de dresser un état des lieux des professionnels exerçant en traction animale. « L’association a pour mission de promouvoir la traction animale auprès des collectivités et des particuliers, de mettre en commun les savoir-faire de chacun pour améliorer les pratiques en partageant autour des techniques et outils disponibles, et d’oeuvrer auprès des différentes institutions et administrations afin de faire reconnaître le réseau. C’est un vaste chantier qui n’en est qu’à ses balbutiements », explique Denis Beaumelle, co-président du réseau. Le réseau professionnel régional souhaite avant tout se défaire de l’image folklorique que représente la traction animale dans la tête des gens. « Il y a encore trois ou quatre ans, nous entendions certaines personnes dire que nous n’allions tout de même pas revenir au Moyen Âge. Aujourd’hui, nous ressentons moins ce regard passéiste, goguenard », se satisfait Denis Beaumelle. Le réseau s’attache donc à coller à la modernité et propose l’utilisation du cheval de trait comme une énergie renouvelable dans le cadre du réchauffement climatique. « C’est une solution et une proposition économiquement viable. D’autant plus que sans la traction animale, certaines des neuf races de chevaux de trait en France auraient aujourd’hui disparu », poursuit le co-président.

Une nouvelle solution pour l’agriculture

De nos jours, la traction animale a fait ses preuves dans différentes activités économiques liées à l’agriculture, comme le maraîchage ou encore le débardage. « L’utilisation du cheval de trait pour le travail dans les vignes est la plus en vogue. La traction animale a toute sa place dans le milieu agricole, même s’il est certain que nous ne reverrons pas revenir le cheval à la place du tracteur pour les labours ». À Saint-Gervais-sur-Roubion, dans la Drôme, Denis Arnaud utilise la traction animale sur son exploitation spécialisée en maraîchage et en plantes aromatiques et médicinales depuis près de vingt ans. Auparavant à la tête d’un centre équestre, c’est tout naturellement qu’il s’est tourné vers l’utilisation des chevaux de trait pour le travail de ses parcelles, en se dotant de vieux outils récupérés dans les fermes du secteur. « Il faut être honnête : la traction animale est pertinente pour certains travaux comme l’entretien du sol mais pas du tout pour d’autres comme la préparation du sol notamment ». L’agriculteur encourage toutefois ceux qui souhaitent franchir le pas de la traction animale à accorder une attention toute particulière à la formation. « Il y a beaucoup d’échecs dus au manque de connaissances, et notamment dans le choix du cheval. Par exemple, des races ne s’adaptent pas au climat de certaines régions », explique-t-il. Titulaire du galop 7 et du diplôme de meneur en tourisme équestre, Denis Arnaud s’est ensuite formé aux côtés d’anciens paysans. Et par la suite, il a lui-même accueilli des sessions de formations de l’association pour le développement de l’emploi agricole et rural (Adear) au sein même de son exploitation, pour transmettre son savoir.

Le cheval au coeur des villes

Par ailleurs, depuis quelques années, les collectivités locales s’intéressent également aux chevaux de trait. « La traction animale est en train de percer dans les villes. Nous ressentons une réelle envie sociétale de revoir du vivant au coeur des centres urbains », indique Denis Beaumelle. Ainsi, certaines communes pratiquent la traction pour des tâches bien précises : arrosage, collecte des déchets, ramassage scolaire, etc. « C’est une utilisation de plus en plus demandée, qui est possible grâce au développement d’inventions et de nouveaux matériels modernes et ergonomiques, adaptés aux chevaux et faciles d’utilisation », conclut Denis Beaumelle. La traction animale, bien que souvent rattachée aux pratiques d’antan, semble bien renaître de ses cendres et apporter une nouvelle réponse aux attentes sociétales.

Amandine Priolet

"Aujourd’hui encore, la passion l’emporte sur l’économie"
Marianne Dutoit. ©FNSEA

"Aujourd’hui encore, la passion l’emporte sur l’économie"

SYNDICALISME / Reconnue au niveau national, la filière équine est fragilisée par la législation européenne. Retour sur les principaux sujets d’actualité avec Marianne Dutoit, présidente de la Fédération nationale du cheval (FNC) et du Copa-Cogeca section cheval.

Pourquoi la reconnaissance du statut agricole pour les activités équestres a-t-elle été si difficile à obtenir ?

Marianne Dutoit : « En France, nous avons réussi en 2005 à obtenir la reconnaissance du statut agricole de notre filière. Mais au niveau européen, c’est beaucoup plus compliqué : tous les États ne considèrent pas les activités équestres comme agricoles. En 2013, l’Union européenne a cessé de reconnaître les codes APE français correspondant à nos activités équestres, en dehors de l’élevage. Il a fallu démontrer que 90 % des professionnels qui bénéficiaient de la Pac avaient non seulement du foncier mais faisaient aussi de l’élevage. À cause de cette différence de définition, les jeunes agriculteurs en équins ne peuvent pas prétendre au cofinancement de l’Europe pour la DJA. »

Dans le nouveau PSN, les projets de la filière équine relèveront des fiches intervention « Off farm ». Quelles réponses avez-vous obtenu ?

M.D. : « La découverte de cette information nous a tous surpris. Nous nous sommes très vite mobilisés auprès du ministère de l’Agriculture et de nos élus régionaux. Pour le premier pilier de la Pac, nous avons obtenu qu’en présence d’un droit au paiement de base, il n’y ait aucun changement par rapport à la Pac en cours. Désormais, les dossiers sont dans les mains des Régions, autorités de gestion pour le deuxième pilier de la Pac. Nous avons demandé le maintien de l’éligibilité des projets de la filière équine au dispositif 73.01 « On farm » et que soient prévues des lignes budgétaires suffisantes sur le dispositif 78.03 « Off farm » pour les activités n’étant pas considérées au niveau européen comme agricoles. Chaque Région sera libre de mettre les moyens voulus. »

Où en êtes-vous dans votre demande d’obtenir une TVA équine à taux réduit ?

M.D. : « Cela fait dix ans que l’on se bat. L’élevage de chevaux et les activités équines pourraient en bénéficier sous réserve d’un accord à Bruxelles et d’une transposition en droit français d’ici la fin de l’année. Dès que la directive européenne sera adoptée, la France se mettra en marche pour trouver le taux le plus adapté. Jusque-là, notre combat sur la TVA n’a pas engendré de vrais changements mais nous avons tout de même réussi à obtenir la mise en place du fonds équitation et un taux réduit à 5,5 % pour nos installations sportives. À ce jour, la vente de chevaux est à 20 %, sauf les reproducteurs qui sont taxés à 10 %, quand l’enseignement est à 20 % et l’alimentation à 10 %. »

Manque de salariés, renouvellement des générations, engagement syndical… Ces sujets concernent-ils aussi votre filière ?

M.D. : « Ce qui est valable pour le monde agricole l’est pour le monde du cheval. Environ 50 % de nos agriculteurs ont plus de 50 ans et nous commençons à nous inquiéter pour la reprise de nos activités. Le problème de notre filière, c’est qu’elle n’est pas complètement intégrée au monde agricole, qu’il n’y a pas assez de personnes pour la défendre. Le renouvellement des générations ne se fait pas de manière durable car aujourd’hui encore, la passion l’importe sur l’économie. Il y a aussi beaucoup d’amateurs dans la filière qui ne sont pas soumis à la TVA. On se retrouve sur le même marché, confrontés à une concurrence déloyale. En parallèle, nos charges augmentent et nous avons de plus en plus de mal à trouver des salariés. »

Propos recueillis par Alison Pelotier

DÉCOUVERTE / Le Parc du cheval, un haut lieu pour la filière équine

Trois carrières, deux manèges, un spring garden, plus de cent box en dur répartis en trois écuries, des salles de restauration, de détente et de réunion et un centre d’entraînement de chevaux de course… Bienvenue au Parc du cheval de Chazey-sur-Ain, véritable « Clairefontaine » de l’équitation. Depuis 2008, il s’inscrit comme un lieu incontournable de la filière équine. Chaque année, une trentaine de compétitions sportives sont organisées sur le site dont des évènements de portée nationale. Un site dédié à tous puisqu’il est aussi possible de s’y entraîner et de s’y former. Le parc peut notamment compter sur l’Association de formation et d’action sociale des écuries de course (Afasec), l’école de formation de jockey composée d’un internat de trente places. On retrouve aussi un centre d’entraînement dédié aux galopeurs avec trois-cents box, trois couloirs d’obstacles de 1 200 m ou encore une piste droite en sable de 1 700 m. Le site est également un lieu de transit pour les équidés. Il constitue en effet l’un des deux sites en France retenus pour héberger les équipages en provenance d’Espagne qui transitent vers l’est de l’Hexagone ou de l’Europe. De plus, le parc accueille sur son site de nombreuses institutions équines, dont le Comité régional d’équitation Auvergne Rhône-Alpes, l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) et la Société hippique française (SHF).

« Diversifier les activités du parc »

Fondé en 2008, le Parc du cheval est une association et ne bénéficie pas du financement de collectivités territoriales. « Nous sommes autonomes dans notre fonctionnement financier, c’est donc à nous de trouver des revenus qui nous permettent d’entretenir le parc », explique Yves Tourvieille, président du Parc du cheval depuis 2018. Une tâche devenue compliquée après la crise du Covid, la location de box étant la principale source de revenus du parc. S’ajoutent à cela les dépenses liées à l’entretien. « Les équipements équestres ont une vie d’environ dix ans et les changer représente un coût important », confie Yves Tourvieille, qui avance une solution qui pourrait par la même occasion mettre son parc à l’honneur : « Pour obtenir des revenus supplémentaires, nous avons décidé de
diversifier nos activités en louant le parc pour des manifestations non-équestres ». Selon lui, le parc possède en effet tous les atouts pour organiser de grands événements. « Nous bénéficions d’un positionnement géographique intéressant, de grandes surfaces extérieures et d’internats mais aussi de grands parkings. »

Baptiste Vlaj