LEGISLATION
La LOA sur les rails pour une adoption possible cet été
C’est avec 272 voix pour et 232 contre que le projet de loi d’orientation pour la souverai-neté agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA) a été adopté le 28 mai par l’Assemblée nationale. Jusqu’au dernier moment les syndicats agricoles, parmi lesquels la FNSEA et Jeunes agriculteurs (JA), se sont inquiétés du sort qui aurait pu être réservé à ce texte. En effet, l’issue du vote demeurait incertaine en raison d’une partie des députés de droite qui s’était déclarée réservée sur l’ambition de ce texte. La veille du scrutin, JA avait appelé « les députés à aller voter la loi d’orientation agricole en nombre » en réponse notamment au député Julien Dive (Aisne, Les Républicains) qui avait qualifié la LOA de « loi mineure ».
L’agriculture reconnue d’intérêt général majeur
Force est, cependant, de reconnaître que les manifestations organisées par la FNSEA et JA à l’automne et pendant l’hiver ont fait bouger quelques lignes. De l’aveu même de certains de leurs dirigeants, il y avait un fossé entre d’une part le projet initial dont les premières mesures ont été présentées à grands traits en septembre 2023 et d’autre part le texte validé par le Conseil des ministres en avril dernier et enfin celui voté par les députés en première lecture. Pas moins de 5 500 amendements ont été déposés et 3 000 réellement examinés. Le texte a été débattu près de soixante heures en séance publique. C’est d’ailleurs à un gros travail de réécriture que les organisations syndicales se sont attelé sur une grande partie du texte avec l’appui des députés. « Si le texte ne répond pas encore à toutes les attentes des agriculteurs, il comporte des avancées », a commenté la FNSEA dans un communiqué du 27 mai. À ce titre, il faut souligner la reconnaissance de l’agriculture comme d’intérêt général majeur ainsi que la mise en valeur des filières, notamment la préservation de la souveraineté de l’élevage ou encore l’inscription du potentiel agricole dans le Code pénal. Sur ce dernier point, les parlementaires ont reconnu une sorte de présomption de bonne foi des agriculteurs en cas d’atteinte à l’environnement. Autrement dit, pour sanctionner celle-ci, il faudra prouver l’intention délibérée de l’acte. La sanction encourue par l’agriculteur verbalisé sera un stage de sensibilisation. Toujours sur le volet pénal, les référés suspensions, souvent utilisés par les opposants aux projets agricoles (retenues d’eau, extension de bâtiments, méthaniseurs, etc.) seront limités.
Maintenir entre 400 000 et 500 000 exploitations
Sur le volet transmission et installation, les députés ont fixé un objectif de maintien du nombre actuel des exploitations à l’horizon 2035, soit entre 400 000 et 500 000. Ils ont validé le guichet unique France Services Agriculture qui accueillera, orientera et accompagnera tous les porteurs de projets. Il permettra notamment aux futurs cédants de mieux préparer la transmission de leur exploitation. L’article 9 du PLOA prévoit l’application « au plus tard en 2026 » d’un diagnostic modulaire de l’exploitation, mais en retirant les sols du volet du diagnostic. Ce diagnostic modulaire, qui n’est plus obligatoire, comprend cependant un module de « stress test » climatique, un module d’analyse économique, et un autre module consacré à l’aspect social du projet. Le risque d’inconstitutionnalité qui était lié à cet article est semble-t-il levé selon les proches du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. « Aucun risque de censure », assure-t-on. Le PLOA dans son titre III (article 10bis) consacre le droit à l’essai dans les sociétés. Mais le ministre a demandé au Conseil d’État de proposer une réécriture de l’article pour « sécuriser juridiquement ce droit à l’essai, car il génère des conséquences sur le droit des sociétés, du droit social et du droit du travail », explique-t-on au cabinet du ministre. Toujours dans cette partie, les députés ont supprimé les groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI). Une victoire supplémentaire pour la FNSEA qui encourage plutôt les GFA mutuels, nettement moins sujets à la spéculation des terres. Pour JA, « les outils présents dans ce texte posent des bases qui nous permettront de répondre aux enjeux de notre agriculture de demain pour adapter au mieux les pratiques face aux défis climatiques, économiques et sociaux, tout en maintenant une activité agricole souveraine », a-il indiqué dans un communiqué.
Un prochain examen prévu au Sénat mi-juin
À l’issue du vote, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a indiqué que ce texte était « une brique importante » qui serait complétée par d’autres textes. Ce vote à l’Assemblée nationale n’est qu’une étape. Transmis au Sénat, il sera examiné par la Commission des Affaires économiques du Palais du Luxembourg les 12 et 13 juin avec un débat en séance publique prévu entre le 24 et le 28 juin. Le rapporteur du texte sera le sénateur Laurent Duplomb (Les Républicains, Haute-Loire). Lors de cet examen, la FNSEA et JA entendent encore faire modifier quelques articles comme inclure dans le Code de l’environnement l’intérêt général majeur de l’agriculture, obtenir des fonds supplémentaires pour la formation des actifs salariés et non-salariés, retravailler les infractions pénales, ou encore favoriser la replantation de haies en cas de destruction. À l’issue du passage au Sénat, il est prévu une Commission mixte paritaire qui devrait se réunir avant le 14 juillet. Le vote définitif interviendrait avant la fin de la session parlementaire, soit avant le début des Jeux olympiques (26 juillet). Le PLOA sera ultérieurement complété par d’autres textes. En premier lieu, le projet de loi simplification sera examiné au Sénat les deux premières semaines de juin, puis par une proposition de loi « drones » et, en deuxième lieu par un projet de loi « phyto ». Tous les deux sont prévus pour l’été 2024. Par ailleurs, la mission d’information des parlementaires sur Égalim 4* qui se double d’une consultation gouvernementale devrait déboucher sur un projet de loi dont l’examen pourrait avoir lieu à l’automne. C’est aussi à cette époque qu’est prévu l’examen sur une proposition de loi énergies renouvelables concernant le bail agrivoltaïque et le partage de la valeur. Enfin, le projet de finances (PLF 2025) et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) viendront compléter tout cet arsenal législatif pour les mesures fiscales et sociales. Le feuilleton du PLOA ne fait que commencer.
Christophe Soulard
(*) Confiée aux députés Alexis Izard (Renaissance, Essonne) et Anne-Laure Babault (Modem,Charente-Maritime)
Réactions politiques
Le groupe Parti Socialiste, par l’intermédiaire du député Dominique Potier, a estimé que sur le volet environnemental, le gouvernement apportait de « mauvaises réponses à la colère paysanne ». Le groupe a voté contre. Le groupe « Gauche démocrate et républicaine » (groupe communiste) s’est abstenu soulignant que le texte ne répondait pas aux « grands enjeux de l’agriculture française, au défi d’accès au foncier, à la question des prix rémunérateurs, au défi de l’accaparement des terres, aux traités de libre-échange ». Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT – centre gauche et centre droit) a dit « ne pas soutenir » le texte,
le trouvant « insuffisant », « sans aucune réelle portée législative » et « peinant à déceler le cap fixé parmi les objectifs multiples de la souveraineté alimentaire ». LIOT a laissé la liberté de vote à ses membres. Sans surprise, les groupes Renaissance, MoDem et Horizons, soutiens du gouvernement, se sont prononcés en faveur du texte. Au contraire, mais aussi sans surprise, les Écologistes, le Rassemblement national et la France Insoumise ont voté contre. Les Républicains qui espéraient « une loi de programmation claire » ne se sont pas opposés au texte, laissant comme LIOT la liberté de vote à ses membres.
FONCIER/ L’Assemblée module les ambitions
Sans grandes ambitions sur le foncier, le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA) s’est vu retirer la mesure controversée de création du GFAI (groupement foncier agricole d’investissement). Un échec pour le gouvernement. Marc Fesneau a voulu « mettre en garde collectivement sur ce sujet du foncier. Tout le monde dit qu’il faut y travailler et à la fin tout le monde prêche pour le statu quo par le miracle du conservatisme », a-t-il lancé. « Attention à tous ceux qui, dès qu’on amène un dispositif, le démolissent », a poursuivi le ministre. « Je constate qu’il n’y a pas un accord (sur le GFAI, NDLR), mais je pense qu’il faudra remettre l’ouvrage sur le métier », a-t-il conclu. Saisissant la balle au bond, le président de la commission des Affaires économiques, Stéphane Travert (Renaissance), a émis l’idée d’une mission parlementaire « à partir de l’automne ». L’objectif est d’en utiliser les travaux « pour porter cette loi foncière » attendue depuis des années, a-t-il dit dans l’Hémicycle. Quelques jalons ont déjà été posés dans la LOA. « Une réforme de l’ensemble des instruments juridiques et financiers doit permettre à la politique foncière de s’adapter aux enjeux contemporains », selon le projet de loi.
Parer au contournement du droit de préemption
« Une des voies de contournement du droit de préemption est l’absence d’informations données aux Safer », a soutenu Dominique Potier (PS). Pour l’enrayer, l’amendement socialiste, qui a reçu un avis favorable de la commission et de sagesse du gouvernement, vise à assurer « la transparence des cessions d’usufruit ou de nue-propriété ». Il prévoit que les Safer soient « informées sur la durée et le sort de l’usufruit, notamment sa destination et son mode d’exploitation, les pouvoirs des titulaires des droits et, enfin, l’intérêt ou la réalité économique de l’opération ainsi que la méthode de valorisation retenue et la ventilation du prix ou de la valeur effectuée pour chacun des droits démembrés ». Il s’agit aussi que les Safer puissent « demander au tribunal judiciaire d’annuler une cession de droits démembrés si elles estiment, au vu notamment du montage juridique, de la valeur des droits et de la réalité économique de l’opération, que cette cession aurait dû lui être notifiée en tant que cession en pleine propriété ». Une mesure de soutien au portage du foncier a également été adoptée en écartant les investisseurs privés. Cela par des amendements de la France insoumise, des Écologistes et du Rassemblement national qui ont fait enlever une référence aux « investisseurs privés », alors que l’exécutif souhaitait leur donner dans le texte une place de partenaires de l’État, au même titre que les collectivités, pour concourir aux transmissions de terres agricoles. « Nous devons réguler le foncier et empêcher la spéculation sur les terres agricoles », a argué l’écologiste Marie Pochon. « J’ai basculé dans une faille spatio-temporelle ? Les exploitations françaises, elles appartiennent à des fonds privés », a vivement rétorqué Marc Fesneau. Le ministre a, en effet, affirmé qu’il « va falloir des fonds privés » en complément des financements publics comme les 400 M€ du fonds Entrepreneurs du vivant. Pour sa part, Dominique Potier a reconnu un potentiel « malentendu » sur l’objectif et que les investissements privés pouvaient être vertueux quand ils sont encadrés pour « l’intérêt général ». Mais l’amendement « n’empêche rien du tout », car « l’article fixant les objectifs est purement déclaratoire », a-t-il avancé.
J.-C. D.
La mobilisation se poursuit
Pour Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA, le vote en première lecture à l’Assemblée nationale du PLOA est une première étape.
« Nous sommes tous déterminés à aller jusqu’au bout. À cranter les choses, les unes après les autres. » Pour le vice-président de la FNSEA, Luc Smessaert, il est indéniable que ce premier vote était indispensable, mais il ne s’agit là que d’une première étape. En effet, si le représentant syndical reconnaît de réelles avancées grâce, notamment, à l’investissement du réseau Jeunes agriculteurs (JA) – FNSEA et le nombre historique d’amendements présentés, il reste « encore des choses à améliorer au Sénat. Il nous fallait ce vote favorable à l’Assemblée pour pouvoir le faire ».
Des avancées tangibles
Ainsi, en premier lieu, le représentant syndical se réjouit des éléments de simplification apportés en faveur du renouvellement des générations et de la formation. L’agriculteur picard salue également la réécriture complète de l’article 1 du PLOA qui « donne la vision de ce que sera l’agriculture demain ». Aujourd’hui, ce dernier définit la souveraineté « avec une notion de filière et de production ». « L’intérêt général majeur de l’agriculture a été traduit dans le Code pénal. Il s'agit là d’un réel rééquilibrage. Aujourd’hui, l’acte de production agricole est protégé. Demain, nous espérons que l’agriculture apparaîtra dans celui de l’environnement. » Par ailleurs, le réseau souhaite retrouver la notion de compétitivité « que nous avons portée tous ensemble », retrouver les moyens de production, inscrire dans le marbre la non-surtransposition et la non-interdiction sans solution. « Nous souhaitons aller plus loin dans la simplification et le droit à l’erreur pour retrouver demain cette envie d’entreprendre. Nous voulons travailler encore davantage sur le changement de logiciel. Nous devons retrouver un métier viable et vivable ». Alors, Luc Smessaert appelle à la mobilisation de l’ensemble des sénateurs « pour enrichir ce texte et qu’il soit voté en Commission mixte paritaire avant le 14 juillet. Nous devons continuer à mettre une vraie pression sur le gouvernement et le parlement pour que l’ensemble des textes annoncés arrive bien en temps voulu et qu’à l’automne nous ayons du concret dans nos fermes avec des éléments de revenu, de moyens de production ».
Du concret attendu à l’automne
En effet, la loi d’orientation ne marchera pas seule. « Un certain nombre de textes (Loi de finances, Égalim…) sont attendus d’ici l’automne et cette LOA est le premier. C’est pour cela qu’il était important que nous puissions cranter les choses », commente le vice-président du syndicat majoritaire. Alors, ce dernier est formel, la mobilisation ne faiblit pas. « Nous devons redonner du sens à notre métier et allons redonner une vision à notre agriculture. Le changement de logiciel est en train de s’opérer et nous irons jusqu’au bout. Si nous ne sommes pas entendus d’ici l’automne, nous saurons nous mobiliser encore plus fortement. » À bon entendeur.