PRODUCTION OVINE
La filière laine française cherche son second souffle

PRODUCTION OVINE / Dans un marché mondial affaibli par l’essor des fibres synthétiques, la filière laine française peine à trouver des débouchés. Pour inverser la tendance, la Fédération nationale ovine (FNO) travaille au développement d’une production made in France plus vertueuse.

La filière laine française cherche son second souffle
En dehors de démarches artisanales locales, la production française de laine fait face à un manque de débouchés et est aujourd’hui revendue à plus de 80 % à l’export sur des volumes toujours plus réduits.

Avec pas moins de 58 races de moutons différentes, la France a longtemps été renommée pour la diversité et la qualité de sa laine. Mais aujourd’hui, en dehors de la mérinos d’Arles qui a su conserver une cote élevée auprès des professionnels, la production française est en chute libre. Avec 12 000 à 15 000 tonnes produites chaque année, la France fait figure de poids plume face à des géants comme l’Australie (25 % de la production mondiale), la Chine (18 %), les États-Unis (17 %) ou encore la Nouvelle-Zélande (11 %).

En dehors de démarches artisanales locales, la production française de laine fait face à un manque de débouchés et est aujourd’hui revendue à plus de 80 % à l’export sur des volumes toujours plus réduits. Autrefois vertueuse, l’industrie de la laine française, mais aussi mondiale, a en fait décliné tout au long du XXe siècle avec l’apparition des fibres synthétiques. On estime aujourd’hui que les fibres synthétiques représentent 75 % des volumes de fibres produites dans le monde. La laine, elle, ne pèserait pas plus de 1 % des volumes produits. Plus récemment, les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis et la crise du Covid-19 sont venus tendre un peu plus un marché mondial déjà sur le déclin.

La laine, une charge plutôt qu’une manne financière

Tondus environ une fois par an entre le printemps et l’automne, les moutons produisent entre 500 gr et 3 à 4 kg suivant les races. La laine récupérée est ensuite lavée et traitée pour éliminer les résidus, les bactéries et le suin, cette substance grasse sécrétée par l’animal pour protéger sa laine. Pour les plus petites exploitations, la tonte est réalisée par les éleveurs eux-mêmes mais les cheptels comptant plusieurs centaines d’animaux doivent faire appel à des tondeurs. En moyenne, on estime qu’un éleveur doit débourser pour la tonte de chaque animal entre 1,50 et 2 €, une somme que les cours à la baisse ne parviennent plus à couvrir.

« Pour les éleveurs, la laine n’est plus du tout rémunératrice, elle est devenue une charge. Au mieux, la laine peut représenter pour certains un complément de revenu », explique Lionel Araujo animateur de l’association de promotion de l’Agneau de l’Adret. « La laine mérinos est une laine noble, nous parvenons à la vendre à un prix moyen de 1,80 €/kg. Mais la plupart des autres laines françaises ne se vendent pas aussi bien, pour la romane, par exemple, on tourne plutôt autour des 20 cts/kg », confirme François Mochet responsable du pôle commercial ovins à la coopérative Agneau Valsoleil. « Que la laine soit rémunératrice ou non, la tonte demeure une étape technique indissociable de la conduite d’un élevage ovin. Notre chance, c’est que la laine est un produit qui se conserve plutôt bien par rapport à d’autres fibres naturelles. Si elle est stockée au sec et à l’abri des parasites, elle peut être revendue plus tard », précise-t-il.

Un « Collectif Tricolore »

Fibre naturelle par excellence à la fois renouvelable et biodégradable, la laine est réputée depuis plus de 10 000 ans pour ses propriétés exceptionnelles. Capable de se protéger de l’humidité, elle garantit notamment un excellent confort thermique. Grâce à son taux élevé en eau et en azote, elle est naturellement résistante au feu et se conforme à de nombreuses normes internationales sans aucun traitement chimique. Elle absorbe également les émissions nocives de carbone dans l’atmosphère et contribue à la préservation de l’environnement. On la retrouve dans les secteurs de l’habillement, du sport, des revêtements, de l’aviation, de l’architecture, de l’industrie ou encore de la santé. « Toutes les laines ont des qualités différentes qui font qu’on les oriente vers tel ou tel marché. En France, nous avons surtout des laines à gros flancs qui sont utilisées pour les textiles ou la confection de matelas », explique Audrey Desormeaux, chargée de mission à la Fédération nationale ovine.

Sans interprofession ni véritable organisme de suivi de la laine, les producteurs de laine s’en remettent à la Fédération nationale ovine (FNO) qui travaille aujourd’hui à un plan de relance appelé Collectif Tricolore. « Ces dernières années, le grand public a perdu le lien avec les fibres naturelles comme la laine. Le Collectif Tricolore a été pensé pour mieux valoriser la laine auprès des industriels français. Avec Inn’Ovin, nous travaillons sur le développement d’une filière durable qui drainerait plus de volumes à transformer. Nous avons notamment le soutien de la ville de Paris qui souhaite impulser une dynamique de filières écoresponsables pour la fabrication de textiles de sport dans le cadre des Jeux olympiques de 2024. Cette démarche est en cours de construction, cela nécessitera du temps et beaucoup d’énergie », détaille Audrey Desormeaux de la Fédération nationale ovine.

Pierre Garcia

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L’industrie de la laine française a décliné tout au long du XXe siècle avec l’apparition des fibres synthétiques.
Les prix de la tonte varient en fonction des départements, des lots de moutons, de la période d’intervention et des frais de déplacement du tondeur.

LAINE / De novembre à juillet, les tondeurs de moutons sillonnent les exploitations ovines pour réaliser la tonte, acte indispensable pour la bonne santé des animaux.

La tonte des moutons, une question sanitaire avant tout

La tonte est inévitable, au minimum une fois par an, selon les races, car la laine du mouton est une fibre dont la pousse est continue, et qui est, au fil des mois, salie, humidifiée, voire moisie. L’hygiène est donc primordiale pour éviter à ces animaux tout risque de maladie. « La tonte permet d’éviter l’apparition ou la prolifération des parasites externes dans la laine, comme les tiques, les myases, les mélophages, etc. », explique Pierre Marcel, tondeur professionnel basé à Amions (Loire) depuis plus de quarante ans, et membre de l’association Les tondeurs de moutons (ATM).

Les mouches parasites, par exemple, qui s’attaquent au troupeau, sont à l’origine de dermatoses appelées myases. Il est possible de retrouver parfois des milliers d’asticots sous la laine, pouvant entraîner la mort de l’animal. C’est donc pour éviter toute contamination que la tonte est effectuée. Celle-ci ressemble en tout point à un acte d’hygiène vétérinaire.

« De plus, quand les brebis ont trop de laine, généralement à la mi-avril, certaines se roulent par terre sur le dos pour se gratter et n’arrivent plus à se remettre sur leurs pattes du fait du poids de la laine. Sans surveillance de l’éleveur, l’animal peut mourir », poursuit le tondeur. Une cause de mortalité assez importante qui encourage les exploitants à prévoir assez tôt dans la saison l’opération de tonte. Pour autant, celle-ci varie en fonction des départements et des régions. En Auvergne Rhône-Alpes par exemple, elle débute dès le mois de novembre dans les départements de montagne, comme la Savoie et la Haute-Savoie, « bien souvent lors de la descente de l’alpage, avant de les mettre dans les bergeries ».

Le prix de la laine inférieur au coût de la tonte

En effet, la laine sur les brebis maintient une humidité importante dans la bergerie et l’atmosphère y devient malsaine. Il est donc recommandé de tondre les animaux avant de les mettre à l’abri. L’élevage s’y retrouve alors facilité puisque le fait d’être tondu fait gagner de la place à la mangeoire.

En Haute- Loire, dans la Loire et le Puy-de-Dôme, c’est au tout début de l’année (janvier-février) que sont réalisées les tontes, pour les mêmes raisons qu’en zones de montagne. Dans les autres départements, les tontes se font, en revanche, entre mars et juin.

Les coûts varient, eux aussi, en fonction des départements, des lots de moutons, de la période d’intervention et éventuellement des frais de déplacement à prévoir pour le tondeur. Si chaque professionnel fixe lui-même le montant de ce travail à la tâche, la fourchette de prix se situe entre 1,80 € à 2,20 € la bête, sur une base d’un lot de 100 brebis. « Les prix de la collecte de laine, en baisse depuis trois ans, sont bien loin de couvrir le montant de la tonte », souligne Pierre Marcel. « C’est une charge pour l’éleveur, qui, au-delà du montant à verser au tondeur, doit aussi être présent pour attraper les animaux ce jour-là et mettre en sacs la laine collectée. Il s’agit là aussi d’une charge financière non négligeable. » D’autant plus que cette année, un nombre infime de collectes de laine - voire aucune à certains endroits - a été réalisé en début d’année, et ce jusqu’au mois de mai, période de crise sanitaire oblige.

Amandine Priolet

Emmanuel Blanc, président du syndicat départemental des éleveurs de moutons de l’Ain.

SYNDICAT / Dans l’Ain, le syndicat des éleveurs de moutons préfère stocker la laine que de la brader. Explication de son président, Emmanuel Blanc.

« On a fait le choix de stocker la laine »

Dans l’Ain, la collecte de laine est organisée annuellement par le syndicat départemental des éleveurs de moutons, qu’Emmanuel Blanc préside. Quatre-vingts éleveurs apportent leur laine dans des lieux définis ou un collecteur les ramasse avant de les livrer à un opérateur Belge. 15 à 20 tonnes par an sont ainsi collectées. Sauf que cette année, la collecte est compromise. « Nous avons lancé un appel d’offres. Nos acheteurs nous ont dit dans un premier temps qu’ils ne prendraient pas notre laine ; dans un second temps qu’ils voulaient bien nous la prendre, mais à 10 centimes par kilo », se désole-t-il. Un cours historiquement bas, très insuffisant pour couvrir les frais de tonte. « En général, une bonne laine d’Ile-de-France (NDLR : une des races de boucherie les plus courantes) se négocie autour de 80 centimes le kilo. Avec 2 à 2,5 kg par mouton, ça permet de couvrir les frais du tondeur qui sont d’environ 2 € par bête. Cette année, les prix sont tellement bas qu’on a fait le choix de stocker la laine. » Un effondrement des cours lié à la fermeture du marché chinois. « Nous sommes clairement face à une crise de la demande liée à la crise sanitaire », analyse Emmanuel Blanc. Problème : stocker la laine prend beaucoup de place, et la matière se dégrade en vieillissant. Impossible, légalement, de la détruire, puisqu’il s’agit d’un produit d’origine animale. Quand bien même les autorités le permettraient, pas facile de détruire un produit qui résiste remarquablement au feu et qui ne se dégrade naturellement qu’en plusieurs années. Les éleveurs se trouvent donc dans une impasse. À court terme, « on cherche des solutions réglementaires pour évacuer ce produit ». À plus longue échéance, les éleveurs militent pour créer de nouvelles filières de valorisation sur le territoire national. Textile, isolation… « La FNO s’est emparée du sujet. Plusieurs entreprises auraient déjà témoigné leur intérêt pour valoriser la laine en France. Mais cela ne va pas se faire en quelques mois », prévient le syndicaliste.

Étienne Grosjean