VITICULTURE
Opérations fermentaires : les questions qu’on n’ose pas poser…

Amandine Priolet
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VITICULTURE / Le groupe ICV (services aux entreprises viti-vinicoles) a tenu le 2 juillet dernier une conférence sur les opérations fermentaires : « Les questions qu’on n’ose pas poser, les réponses qu’on pense avoir, les trous œnologiques ». Le directeur scientifique du groupe, Daniel Granès, a éclairci certains points.

Opérations fermentaires : les questions qu’on n’ose pas poser…
Le groupe ICV réalise des expérimentations autour des différentes étapes de vinification. ©ICV
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Daniel Granès, directeur scientifique du groupe ICV. ©ICV

La bioprotection, de quoi parle-t-on ? Les méthodes et outils de lutte biologique sont connus et utilisés depuis très longtemps : prédateurs, parasites, maintien de la diversité des écosystèmes, etc. En œnologie, le terme fait plutôt référence à ce qui relève des interactions compétitives pour réaliser les missions dévolues au dioxyde de soufre (SO₂). « La bioprotection est une voie de recherche et d’application intéressante qui nécessite d’utiliser des micro-organismes pour maîtriser des opérations de vinification », explique Daniel Granès.

Selon les combinaisons effectuées, les paramètres et les équilibres peuvent changer de façon considérable : niveau de maturité, température, période de vendange, nettoyage du chai ou du matériel de récolte, etc. « Il n’y a pas de solution toute simple dès lors qu’on s’intéresse aux organismes vivants. » Certaines combinaisons sont fortement déconseillées en phase préfermentaire : si la plus efficace des bioprotections est l’utilisation des saccharomyces, les autres sont en principe sensibles au SO₂. Il faut donc éviter que les micro-organismes entrent en compétition, auquel cas le profil des vins peut être impacté. D’autre part, il n’a pas encore été trouvé de micro-organismes capables de maîtriser l’oxygène et donc de limiter l’oxydation. Il convient donc d’adapter son travail : récolter tôt le matin pour bénéficier de la fraîcheur et obtenir des raisins plus riches en précurseurs d’arômes, s’équiper de matériel avec gaz azoté pour protéger le transfert du raisin du tracteur au pressoir puis à la cuve, et travailler relativement vite pour éviter toute oxydation successive. Toutefois, imaginer que des micro-organismes seraient capables de capter l’O₂ plus vite que les systèmes enzymatiques du jus de raisin reste un espoir.

La pratique maîtrisée des levains et la fermentation

Lors de la fabrication des levains et sa fermentation, les objectifs sont triples : finir les sucres, ne pas avoir de SO₂ et avoir le moins possible d’éthanal final. Ceci peut conduire à faire ressortir des arômes les plus positifs et stables possibles. Il existe alors plusieurs choix de fermentation. De manière générale, levurer avec une levure sèche active (LSA) est recommandé car un levain indigène est difficile à piloter (timing, activité, dosage) et peut possiblement produire du SO₂.

Il est alors nécessaire de bien identifier les besoins de la levure et de définir ses conditions optimales d’activité. « Il est important de considérer que les levures ont des exigences élevées : résistance à la température, besoin en azote, etc., pour éviter tout déséquilibre. » Depuis 1978, le groupe ICV fait de la sélection, en partenariat avec l’école d’agronomie de Montpellier. Sa cave expérimentale permet également d’étudier chaque année le comportement de différentes levures en fonction des raisins, pour aider les viticulteurs à choisir leur levure, en fonction des divergences de notes aromatiques ou de sensation tannique. « Sur le marché aujourd’hui, il existe plus de 150 variétés différentes de levures pour l’œnologie », prévient Daniel Granès.

L’acidification, un sujet d’actualité

« Ce thème est de plus en plus abordé du fait du réchauffement climatique régulier et progressif. Les vignerons cueillent les raisins de plus en plus mûrs, qui ont donc un degré d’acidité moindre. On peut donc se retrouver avec un taux d’acidité trop faible par rapport au goût mais aussi à la conservation du vin. » Pour les vins rouges, le pH doit varier entre 3,5 et 4. Pour ne pas dépasser le seuil critique, trois solutions s’offrent aux vignerons : l’ajout d’acide tartrique, d’acide malique ou d’acide lactique, naturellement présents dans le vin.

Extractions : comment, quand ?

En s’appuyant sur la loi de Fick, le flux d’extraction dépend du gradient de concentration, de la surface d’échange et du coefficient de diffusion de la molécule dans le milieu. En vinification, cette diffusion s’accentue en alcool. Par ailleurs, il est important de savoir que la température n’est pas un facteur clef : elle dépend et contrôle en partie l’intensité de l’activité microbiologique. Elle joue aussi sur la vitesse des réactions enzymatiques. Le délestage, technique de travail du jus ou du vin qui permet d’optimiser les échanges entre la phase liquide et la phase solide pendant la macération, semble être la plus efficace et la plus douce. Ainsi, l’extraction doit démarrer le plus tôt possible afin de tirer profit des enzymes et faire ainsi diffuser et réagir rapidement les éléments hydrosolubles de la pulpe et de la pellicule. Ce principe présente trois intérêts : stabiliser un fort potentiel couleur, arrondir un fort potentiel tannique et prévenir les effets d’un fort degré alcoolique.

L’ABCD des nutriments azotés

Il existe différentes possibilités en termes de nutriments azotés : l’azote assimilable minéral (sulfate d’ammonium) ou l’azote organique (acides aminés). L’azote assimilable minéral est rapidement assimilable par la plante et accélère sa croissance. Il est peu coûteux à l’unité apportée et peut être un générateur de notes soufrées. En revanche, il limite la conversion des composés aromatiques, contrairement à l’azote organique qui la favorise. « Aujourd’hui, nous sommes capables de mesurer le taux d’azote assimilable dans le moult. En fonction de la souche de levure et de la quantité de sucre à fermenter, on peut alors se rendre compte du déficit éventuel d’azote. Pour rappel, une carence en azote allonge la durée de fermentation alcoolique et peut conduire à un arrêt de cette fermentation. » Cette étape est donc devenue un élément clé d’anticipation. Toutefois, le rajout des nutriments n’est pas toujours indispensable : certains cépages, comme le chardonnay, contiennent assez d’azote assimilable, contrairement à la syrah ou au grenache. « Ce paramètre est assez variable d’une année à l’autre, d’une parcelle à l’autre, d’un cépage à l’autre, mais aussi en fonction des conditions météorologiques », conclut Daniel Granès.

Amandine Priolet

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