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Le Saint-Péray mousseux, en pleine effervescence !

Mylène Coste
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Fortement apprécié par tous les grands noms du XIXème siècle, le blanc pétillant de Saint-Péray reprend vie. À la veille de noël, rencontre avec deux viticulteurs passionnés, Rémy Nodin et Albéric Mazoyer, pour notre série spéciale consacrée aux productions « festives ».

Le Saint-Péray mousseux, en pleine effervescence !
Albéric Mazoyer et Rémy Nodin produisent tout deux du Saint-Péray effervescent.

Un climat idéal, un relief racé, des sols calcaires et granitiques... Un mélange d'éléments qui confère au Saint-Péray son caractère unique, reconnu depuis des siècles. Le vignoble connaît son expansion sous le règne de Napoléon Ier. Les raisins sont alors vendus aux Champenois pour assemblage à la production du Champagne. Louis Alexandre Faure s'inspire bientôt de la méthode champenoise, tout en l'adaptant aux spécificités du terroir et donne vie, en 1829, à la première cuvée effervescente. Apprécié dans toute l'Europe, le blanc de Saint-Péray connaît son apogée au XIXème siècle. Tranquille mais surtout pétillant, il décore les tables des tsars de Russie, du virtuose Richard Wagner, de la reine Victoria ou même encore du pape Pie VIII.

Du déclin à la renaissance

Dans les années 1870 le phylloxéra ravage l'ensemble du vignoble. Le greffage de vignes résistantes en provenance des États-Unis permettra, un peu plus tard, de reprendre la production de Saint-Péray qui obtient dès 1936 l'appellation d'origine protégée (AOP). Mais la dynamique à du mal à repartir, d'autant plus avec la seconde guerre mondiale.

« Alors que les cuvées tranquilles renaissent dans les années 1990, il faut attendre les années 2010 pour que l'effervescent, grand oublié, soit relancé », explique Albéric Mazoyer, du Domaine Alain Voge. « Alors qu'historiquement il était bien plus réputé que le Cornas, le Saint-Péray à bulle est aujourd'hui un produit pionnier : un paradoxe ! J'ai eu envie de relancer ce vin, tant pour le défi technique qu'il représente que pour rendre hommage à l'histoire de Saint-Péray. La premier bouchon a été commercialisé en 2010 », raconte le producteur, associé à Alain Voge depuis 2004. Comme lui, six autres producteurs produisent aujourd'hui ce mousseux, représentant une dizaine d'hectares, soit seulement 10% de l'appellation. « Une goutte d'eau face aux 15 000 ha du Champagne, lui-même insignifiant dans la production mondiale ! », note-t-il.

Lenteur et technicité

Rémy Nodin, installé depuis 2008, s'est lui aussi lancé dans le mousseux, dont il a commercialisé sa première cuvée en 2013. Ensemble, les deux vignerons louent une cave à Saint-Péray. Élaborer un vin pétillant demande attention, technicité et patience. « Le marsanne est le cépage le plus répandu ici, dans une moindre mesure la roussanne. Les vignes peuvent être plantées en bas coteaux mais aussi en altitude pour la fraîcheur », précise Rémy Nodin. « La récolte intervient début septembre, soit relativement tôt pour avoir un bon taux d'acidité et un degré d'alcool modéré (11 à 11,5%vol). Le pressurage détermine en grande partie  finesse des bulles et la qualité aromatique du vin, c'est une étape très minutieuse. De plus, pour 1 l de vin, 1,8 kg de raisins sont nécessaires (1,3 kg pour le blanc tranquille), d'où l'importance d'un pressurage qualitatif ». Après la vinification, la prise de mousse intervient au printemps suivant. « On prépare le levain trois jours avant d'incorporer les levures à la cuve. On ajoute ensuite le sucre, à hauteur de 20 à 24 g de sucre par litre de vin. Puis on met en bouteille  pour fermentation pendant un mois dans la cave à basse température (12 à 16°C). La pression dans la bouteilles monte entre 5 ou 6 bar. Commence alors le vieillissement sur latte pendant trois ans. Au terme de ces trois ans et durant trois semaines, nous effectuons chaque jour une opération de remuage pour assurer un lent décollement du dépôt et préparer le dégorgement », détaille-t-il.

Sept producteurs de l’appellation produisent aujourd’hui du Saint-Péray mousseux. Ici« L'Extra brut » de Rémy Nodin, « Les Bulles d'Alain » du Domaine Alain Voge, « Brut méthode traditionnelle » de la Cave de Tain, « Hommage 1829 » des Vins de Vienne, « La muse de RW » de Chapoutier, « Saint-Péray brut » du Domaine du Biguet et « Louis-Alexandre » de Stéphane Chaboud.

Commercialisation : un vrai défi !

« Sur le plan commercial, nous sommes quasiment parti de zéro, raconte Albéric Mazoyer. Nous avons fait goûter le mousseux à nos clients et, petit à petit, le travail porte ses fruits. Aujourd'hui, les cavistes et restaurants avec lesquels nous travaillons affirment que de plus en plus de clients demandent du blanc à bulles. Nous promouvons aussi ce vin auprès de nos clients étrangers en Amérique du nord, en Autriche, Hongrie ou encore Royaume-Uni. Ils sont parfois plus ouverts à sortir des sentiers battus. » Rémy Nodin de poursuivre : « Pour l'instant, on ne fait pas de marge. Notre coût de production est très élevé du fait de faibles rendements et mécanisation. Nos prix en mousseux sont assez bas, on tourne sur nos autres vins, le but étant d'assoir commercialement l'effervescent . Quoi qu'il en soit, c'est un défi technique et commercial très stimulant. Nous sommes dépositaires d'un patrimoine singulier et exceptionnel que l'on est fiers de perpétuer ».

Mylène Coste