PHYTOSANITAIRES
Ce que la séparation de la vente et du conseil change au 1er janvier

JCD - Sébastien Duperay - Pierre Garcia
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PHYTOSANITAIRES / Les dispositions de la loi Egalim sur la séparation de la vente et du conseil pour les produits phytosanitaires sont entrées en vigueur le 1er janvier 2021. Éléments de repères sur cette réforme qui modifie les relations entre les agriculteurs et leur habituel distributeur.

Ce que la séparation de la vente et du conseil change au 1er janvier
Les dispositions de la loi Egalim sur la séparation vente/conseil pour les phytos entrent en vigueur au 1er janvier 2021. Elles interdisent aux vendeurs de phytos de faire auprès de leurs clients des préconisations sur ces produits, et vice versa pour les conseillers. Et elles imposent aux agriculteurs de solliciter certains types de conseils. DR

Les dés sont jetés concernant la séparation entre les activités de vente et de conseil à l'utilisation de phytos. Inscrite dans la loi Egalim, cette mesure est effective depuis le 1er janvier 2021. Elle interdit aux vendeurs de phytos de faire auprès de leurs clients des préconisations sur ces produits, et vice versa pour les conseillers. Et elle impose aux agriculteurs de solliciter certains types de conseils.

Une majorité de coopératives optent pour la vente, selon leur fédération, La Coopération agricole, arguant de délais trop courts. Le choix semble encore plus massif côté négoce, la FNA n'ayant pas connaissance, au 15 décembre, d'entreprises qui gardent le conseil. Désormais indépendant, ce conseil se décompose en deux volets : conseil stratégique et conseil spécifique.

Le conseil stratégique à l'utilisation des produits phytos est tout nouveau. Objectif : fournir les éléments permettant de définir une stratégie pour la protection des végétaux. Deux conseils stratégiques au moins sont à délivrer par période de cinq ans, à un intervalle de deux à trois ans. En sont exemptées, les exploitations certifiées HVE (Haute valeur environnementale), celles en agriculture biologique ou en conversion.

Un conseil stratégique en deux étapes

Le conseil stratégique se décompose en deux étapes : il s'appuie d'abord sur un diagnostic préalable – à réaliser au moins tous les six ans – comportant une analyse de l'incidence : des principales caractéristiques du système d'exploitation, notamment des atouts et contraintes liées aux activités économiques exercées ; des spécificités pédoclimatiques, sanitaires, environnementales des espaces concernés.

Le diagnostic dresse un bilan des mesures de protection intégrée des cultures ; de l'utilisation des phytos et des méthodes alternatives à l'utilisation de ces produits. Cela en prenant en compte notamment l'évolution des quantités utilisées par type de produits ; l'indice de fréquence de traitement (IFT), son évolution dans le temps, ainsi qu'une comparaison avec l'IFT régional.

Intervient ensuite le conseil stratégique en lui-même. Le conseiller recommande alors des solutions pour réduire l'usage et les impacts des phytos. Il prend la forme d'un plan d'action visant notamment à répondre aux situations d'impasse technique en matière de lutte contre les ennemis des cultures ; limiter les risques de résistances des adventices et bioagresseurs. Le plan d'action précise les conditions de sa mise en œuvre, notamment le calendrier, les moyens humains, le matériel, les équipements de protection, ainsi que les modalités de suivi ; informe sur les coûts et incidences économiques de ses recommandations. L'idée est aussi de favoriser les méthodes alternatives (non chimiques, produits de biocontrôle ou à faible risque).

Un conseil spécifique laissé au libre choix

Du point de vue de La Coopération agricole, qui indique un choix « massif » de ses adhérents en faveur de la vente, ce conseil stratégique amène les coopératives à « redéfinir quelle est la zone sur laquelle nous devons continuer de conseiller l'agriculteur sur l'utilisation d'un produit », selon Dominique Chargé. Le président de la fédération souligne en parallèle « qu'il y a aussi une responsabilité du vendeur ». Le distributeur de phytos a l'obligation d'informer l'utilisateur sur, notamment, les caractéristiques du produit, son mode d'action, l'adéquation avec le stade physiologique de la plante.

Le conseil spécifique correspond, lui, à la préconisation de traitement phytos, préexistante à la loi Egalim. Il n'est pas obligatoire pour acheter des produits. Intérêt pour l'utilisateur, ce conseil écrit précise la substance active, la cible, les parcelles concernées, la superficie à traiter, la dose recommandée et les conditions d'utilisation.

« La loi pousse l'agriculteur à reprendre une autonomie de décision vis-à-vis des organismes », souligne Antoine Hacard, président de La Coopération agricole - Métiers du grain. Elle amène les distributeurs à « changer de philosophie » quand le choix de garder la vente de phytos leur interdit de faire des prescriptions. « Ce n'est plus la coopérative qui prend la décision d'intervenir ou pas dans les parcelles, mais l'adhérent, à partir de toutes les informations qu'on lui apporte : observations, seuils de d'intervention... », explique-t-il.

Période transitoire et CEPP pérennisées

Si beaucoup d'entreprises l'ont déjà communiqué publiquement, elles avaient jusqu'au 15 décembre 2020 pour transmettre à l'organisme certificateur leur choix entre vente et conseil. Elles doivent, avant le 28 février 2021, transmettre une étude lui permettant de s'assurer de la mise en œuvre des actions nécessaires. Reste ensuite à effectuer, au plus tard le 30 novembre 2021, un audit qui garantit le respect de la certification concernant l'activité choisie. D'où le caractère transitoire de l'année qui vient.

Loin de renoncer aux CEPP (certificats d'économie de produits phytos), la loi Egalim pérennise le dispositif. Son objectif est de favoriser la diffusion des pratiques économes en pesticides. Le mécanisme initial prévoyait une pénalité financière pour tout CEPP manquant chez les distributeurs. Elle est supprimée. À la place, la certification d'entreprise, nécessaire pour obtenir un agrément, garantit que le distributeur a mis en œuvre les moyens permettant de satisfaire aux obligations de CEPP.

JCD

Les Chambres d’agriculture développent une offre de conseil stratégique
Thomas Pacaud est chargé de mission agronomie et environnement à la Chambre régionale d’agriculture Auvergne Rhône-Alpes.

Les Chambres d’agriculture développent une offre de conseil stratégique

CONSEIL / Positionnées sur le volet conseil dans le cadre de la nouvelle règlementation sur la séparation vente/conseil en phytos, les Chambres d’agriculture doivent adopter depuis le 1er janvier les nouveaux référentiels pour le conseil de préconisation, qu’elles pratiquaient déjà. Et peuvent, et c’est nouveau, proposer une offre de conseil stratégique actuellement en test dans les régions.

Avec l’entrée en application au 1er janvier de la nouvelle règlementation qui impose la séparation des activités de vente et de conseil en phytos, les Chambres d’agriculture vont elles aussi doivent s’adapter. Des changements s’appliquent en ce qui concerne le conseil spécifique – ou de préconisation – que ces dernières pratiquaient déjà. « Ce conseil consiste en une préconisation particulière, sur une parcelle, pour répondre à un problème précis », résume Thomas Pacaud, chargé de mission agronomie et environnement à la Chambre régionale d’agriculture Auvergne Rhône-Alpes. Et sur ce point, « les référentiels ont bougé, explique le conseiller. Dans le rendu aux agriculteurs, il y aura des éléments en plus à intégrer dans le diagnostic préalable, relatifs aux enjeux environnementaux et à la proximité des riverains ou de lieux qui accueillent un public sensible. On aura aussi l’obligation d’ajouter des recommandations en lien avec le certificat d’économie de produits phytosanitaires, si cela est pertinent. Ainsi que des mesures spécifiques d’application, qui deviennent elles aussi obligatoires, au regard des critères environnementaux ou de proximité qui s’ajoutent. » Pour l’agriculteur, pas de changement majeur en revanche, assure le conseiller, il dispose désormais d’un rapport plus étoffé.

La nouveauté : le conseil stratégique

« La nouveauté, c’est le conseil stratégique », indique Thomas Pacaud. Une opportunité pour les Chambres d’agriculture de développer une nouvelle offre de prestations. Pour y prétendre, le réseau s’inscrira dans le cadre « d’un agrément multisites porté par l’Apca1 au niveau national », explique le conseiller. Le service national enverra d’ici fin février une étude à l’organisme certificateur « pour s’assurer que l’on respecte bien les quatre exigences liées à la séparation de la vente et du conseil2 ». Se dérouleront ensuite, d’ici fin novembre 2021, les audits internes et les audits de certification multisites, détaille Thomas Pacaud.

Le CSP obligatoire pour renouveler le Certiphyto

Le conseil stratégique phytos (CSP) devient dès lors obligatoire pour l’agriculteur dans le cadre du renouvellement de son Certiphyto. « Pour les renouvellements 2024 et 2025, ils devront avoir réalisé au moins un CSP depuis moins de trois ans. Et à partir des renouvellements en 2026, ils devront justifier d’au moins deux CSP, espacés chacun de trois ans maximum. Cela signifie que l’agriculteur devra se soucier de son CSP à partir de 2022. Ce n’est du coup pas l’urgence du 1er janvier pour lui. » Il y a aura un seul CSP par exploitation agricole ; à chaque CSP une attestation sera remise à l’agriculteur qui indiquera le nom des différentes personnes qui ont un Certiphyto-décideur sur l’exploitation. Conformément à la règlementation, des dérogations s’appliqueront (lire par ailleurs).

Une offre actuellement en test

« Le conseil stratégique ne va pas se substituer au conseil spécifique, tient à préciser Thomas Pacaud. On est sur une échelle différente. Le conseil stratégique est une analyse globale de la gestion des ravageurs à l’échelle d’une exploitation. Le CSP permet de prendre de la hauteur et de repositionner l’ensemble des problématiques de l’exploitation. » L’offre de conseil stratégique des Chambres d’agriculture est actuellement en test dans toutes les régions. Sont testés, la méthode de diagnostic et « le conseil stratégique en lui-même, c’est-à-dire le plan d’action qui est délivré à l’agriculteur, qui doit être adapté à chaque exploitation avec la recommandation d’un certain nombre de leviers à mettre en oeuvre. » La phase de tests concerne quatre grandes filières : viticulture, grandes culture, polyculture-élevage et arboriculture. L’enjeu en 2021 sera de formaliser cette offre, sensibiliser les agriculteurs et « nous faire reconnaitre en tant qu’acteur du conseil phytos en général », conclut Thomas Pacaud.

Sébastien Duperay

1. Assemblée permanente des Chambres d’agriculture.
2. Activité compatible avec les activités de la structure ; indépendance capitalistique ; séparation des droits de vote ; séparation des instances de gouvernance.

Les coopératives se tournent vers la vente...
Jean de Balathier, directeur de La Coopération agricole Auvergne Rhône-Alpes. Crédit : Coopération agricole

Les coopératives se tournent vers la vente...

COOPÉRATION / Directement impactées par la loi sur la séparation de la vente et du conseil en phytos, les coopératives ont dû faire un choix entre ces deux activités le 15 décembre dernier. D’après les premières tendances, une majorité de coopératives vont opter pour les activités de vente, plus rentables économiquement.

La France compte aujourd’hui 2 800 coopératives agricoles dont plus de 70 % sont réunies au sein de La Coopération agricole qui, en région Auvergne Rhône-Alpes, regroupe 270 entreprises. Autant de coopératives qui, au 15 décembre, ont été contraintes de choisir entre leurs activités de vente et de conseil. « Historiquement, la majorité des coopératives ont des activités de collecte et d'approvisionnement et sont positionnées sur la vente de produits d’appro, dont des phytos, et la commercialisation de céréales. À côté, il existe aussi quelques coopératives spécialisées qui font du conseil mais ne vendent pas de produits à leurs adhérents. Pour celles qui ont les deux agréments, il a fallu choisir. Les autres restent positionnées sur l’agrément qui était le leur jusqu’ici », explique Jean de Balathier, directeur de La Coopération agricole en Auvergne Rhône-Alpes.

La vente, un choix avant tout économique

Des premières tendances se dégagent d’ores et déjà au sein du réseau. D’après les remontées de terrain, très peu de coopératives devraient finalement abandonner la vente au profit du conseil. Un choix avant tout guidé par des objectifs économiques. « Le conseil est une activité réalisée à titre gratuit, nous ne pouvons pas remettre en cause l’intégralité du fonctionnement de notre entreprise au profit de cette seule activité. Nous avons donc choisi la vente, même si nous continuerons notre travail d’information. Toute la difficulté de cette nouvelle réglementation, c’est justement de rester à la frontière entre notre devoir d’informer les clients sur les produits que nous leur vendons et la production d’une activité de conseil spécifique », témoigne Olivier Mulsant, directeur agriculture de la coopérative Eurea Coop basée à Feurs (Loire). Une nouvelle donne qui, pour les coopératives, devrait transformer durablement le métier de technico-commercial. D’après Jean de Balathier, « on se dirige dans les années à venir vers un métier qui sera basé sur l’accompagnement stratégique global de l’agriculteur ».

Une réglementation contre-productive

Au-delà du chamboulement interne aux coopératives, ce sont les agriculteurs qui devraient payer le prix fort de cette nouvelle réglementation. « Concrètement, on nous demande de ne plus faire de conseil à la parcelle. À l’avenir, les agriculteurs vont donc devoir se tourner vers de nouveaux organismes ce qui va engendrer pour eux un coût supplémentaire. On peut aussi s’interroger sur l’impact qu’aura cette nouvelle configuration sur la qualité sanitaire des sols », alerte Olivier Mulsant. En effet, si le conseil stratégique est obligatoire pour les agriculteurs, le conseil spécifique ne l’est pas et de nombreux professionnels craignent que cette nouvelle réglementation ne vienne réduire le niveau de conseil global apporté à l’agriculteur. Un scénario qui irait à contre-courant des objectifs visés par cette nouvelle réglementation : la réduction de l’usage de produits phytosanitaires. « Nous pensons fondamentalement que la séparation de la vente et du conseil n’est pas une bonne chose et que surtout elle ne permettra pas de réduire l’usage de produits phytosanitaires dans les exploitations. Si les agriculteurs utilisent ces produits, c’est uniquement parce qu’ils en ont besoin. Rappelons par ailleurs que les coopératives n’ont pas attendu cette nouvelle réglementation pour aller vers une baisse des phytos », conclut Jean de Balathier.

Pierre Garcia

... Les négociants aussi !
Marie-Sophie Curtelet, directrice de la Fédération du négoce agricole. Crédit : FNA

... Les négociants aussi !

NÉGOCE / Les négociants font, eux aussi, partie des entreprises visées par la nouvelle réglementation sur la séparation de la vente et du conseil en phytos. À l’image des coopératives, le négoce a largement fait le choix de se tourner vers la vente tout en déplorant un abandon du conseil aux agriculteurs.

Nichée à Loudes, sur les hauts-plateaux volcaniques de la Haute-Loire, l’entreprise Trescarte est renommée depuis plus de soixante ans pour son expertise dans la lentille verte du Puy et les légumes secs. « Comme la plupart des négoces, nous avons cette double casquette d’approvisionnement en intrants et de collecte. Le reste de notre activité, c’est du conditionnement de légumes secs à destination des industriels », explique Huguette Trescarte, directrice de l’entreprise. Pour elle comme pour de nombreux négociants, cette nouvelle réglementation de séparation de la vente et du conseil pour les produits phytosanitaires ne passe pas. « C’est une hérésie totale de séparer vente et conseil. Vu de Paris, on a une image du monde agricole qui est complètement déformée de la réalité. Nous sommes vus comme les grands méchants mais la réalité est plus complexe », réagit-elle.

Une application au 1er janvier

Intervenant majoritairement auprès de producteurs laitiers, l’entreprise Trescarte fournissait jusqu’ici du conseil à titre gratuit. Mais les nouvelles conditions de travail engendrées par cette réglementation les ont poussés à faire le choix de la vente. Un choix économique représentatif de la majorité des négociants en France. « Nous n’avons pas encore épluché le choix de tous nos adhérents mais on sait d’ores et déjà que pratiquement toutes les entreprises vont se tourner vers la vente. Seule une minorité de petits négociants ayant une activité en phytos très réduite optent pour le conseil », explique Marie-Sophie Curtelet, directrice de la Fédération du négoce agricole. Le recours pour obtenir un délai d’application supplémentaire ayant été rejeté il y a quelques semaines, le négoce appliquera bien la séparation entre vente et conseil en phytos au 1er janvier. Pour autant, les prochains mois devraient davantage ressembler à une période de transition tant les implications sont nombreuses pour les entreprises. « Quand on est uniquement dans la vente, il y a toute une chaîne logistique derrière, que ce soit pour le stockage, la livraison ou le transport. Cette nouvelle réglementation va modifier la structuration de nombreuses entreprises et ce n’est pas évident de faire ce basculement du jour au lendemain », explique Sandrine Barot-Cortot, déléguée régionale du comité négoce Centre-Est.

Des agriculteurs « infantilisés »

« On a fait croire aux gens qu’il existait des conflits d’intérêt tout en oubliant que l’agriculteur est un professionnel qui fait lui-même ses choix. De nombreux agriculteurs se sentent infantilisés par cette nouvelle réglementation », regrette Marie-Sophie Curtelet. Représentant plus de 400 entreprises et 10 000 salariés, le négoce alerte aujourd’hui sur les conséquences engendrées par cette nouvelle réglementation. « Quand on interroge les agriculteurs, près de la moitié d’entre eux expliquent que la personne en qui ils ont le plus confiance est le technico-commercial. Mais demain, comment cela va-t-il se passer ? Au 1er janvier, ils continueront à appeler pour être conseillés mais nous ne pourrons plus leur répondre. Ce relationnel va être rompu et ils seront obligés d’être accompagnés par des conseillers indépendants qu’ils ne connaissent pas », ajoute Sandrine Barot-Cortot. À l’image des coopératives, le négoce rappelle par ailleurs que leurs adhérents n’ont pas attendu cette réglementation pour être acteurs de la transition agro-écologique, à l’image des contractualisations conclues avec les agences de l’eau en faveur d’une baisse de la consommation d’intrants.

Pierre Garcia