TRUFFE
Le renouveau de la trufficulture ardéchoise

Anaïs Lévêque
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TRUFFE / Depuis 2015, la plantation d'arbres truffiers est en nette augmentation en Ardèche. Les plans filière régional et départemental ont permis de dynamiser la filière qui consolide petit à petit sa dimension agricole.

Le renouveau de la trufficulture ardéchoise
Les plans filière permettent de bénéficier d'aides à la plantation. Fixées sur un objectif de 50 000 plants au niveau régional, ces aides ont été assez peu sollicitées jusqu'ici : 10 500 arbres plantés en Aura dont 5 900 en Ardèche. Ce plan filière entre dans sa dernière année de fonctionnement en 2021 !

Que ce soit pour se diversifier, valoriser des parcelles complexes ou par envie, la culture de la truffe présente des atouts intéressants pour les terroirs ardéchois. Longtemps intimiste, elle tend à se développer de plus en plus, soutenue par des plans filière régional et départemental. 

Viticulteur à Alba-la-Romaine, Bruno Delauzun s'est lancé en 2014 dans cette filière en plantant 150 arbres truffiers. Il souhaitait mettre à profit un terrain situé à proximité de sa maison hors exploitation, avec une culture nécessitant peu de travail et de charges. Durant les premières années, « les arbres doivent être tenus propres et travaillés, il faut enlever l'herbe mécaniquement, les arroser de temps en temps lorsqu'il fait trop sec... Une fois l'installation amortie, il y a très peu de charge sur la culture, pas d'engrais ni de traitements », explique-t-il. Il faut attendre au minimum cinq ans pour qu'une truffière entre en production. Finalement en 2019, Bruno Delauzun récoltera ses premières truffes avec « une joie immense ». « Je me suis pris de passion petit à petit pour cette culture », ajoute-t-il. « Quand on va truffer, on ne sait jamais ce que l'on va récolter, si elles seront belles ou non, c'est toujours une surprise ! » Sa production devrait grimper crescendo au fil des années. Cette saison, il a pu récolter autant de truffes que l'hiver dernier.

Un accompagnement « décisif »

Les arbres truffiers d'Aurélien Petit à Mirabel devaient suivre le même chemin d'ici quelques années. Viticulteur lui aussi et éleveur de volailles label rouge avec Les Fermiers de l'Ardèche, il vient tout juste de planter 280 arbres sur des parcelles en pente. L'accompagnement du syndicat des trufficulteurs d'Ardèche a été « décisif » dans son projet. « J'avais l'idée de produire des truffes mais je ne savais rien... Puis il n'y a pas de réelles techniques connues ou d'études scientifiques mais une grande part d'inconnu et de magie dans cette culture ! » Avec le syndicat, il se forme au travail du sol, la taille, le paillage, l'arrosage... « Cette formation m'a donné des bases et permis de rencontrer des professionnels qui m'ont conseillé sur les erreurs à éviter », indique-t-il. « Pouvoir bénéficier d'aides à la plantation avec le plan filière régional me donnait l'opportunité de faire un essai ! »

Bruno Delauzun a adhéré lui aussi au syndicat dès le début de son projet de plantation. « Ils m'ont donné toutes les clés pour m'assurer une production : accéder à des plans truffiers mycorhizés, contrôlés et certifiés par l'Inra ou le CTIFL1, bien les choisir, assurer l'entretien des arbres, les besoins en eau, etc. C'est important d'être bien accompagné quand on débute ! » 

Des plantations de qualité

Le contrôle et la certification des plants truffiers sont des atouts majeurs pour la réussite de cette culture. Ils garantissent la pureté et l'intensité de mycorhization des plants, des critères qualitatifs et quantitatifs sur l'association des champignons aux racines du plant. « Nous recommandons de ne pas commander des plants à un seul pépiniériste, et de les répartir dans son verger », conseille Serge Barruel, président du syndicat des trufficulteurs d'Ardèche. « Nous avons aussi intérêt à adapter les essences au terroir, parfois à la profondeur des sols. Il faut travailler en fonction des arbres qui poussent naturellement, à leur acclimatation... » L'irrigation des vergers est également primordiale pour maintenir leur potentiel. Sans cette ressource, mieux vaut ne pas investir dans la truffe, prévient-il. À Alba-la-Romaine, Bruno Delauzun utilise depuis 3 ans un système d'irrigation par micro-aspersion (70 litres / heure), principalement au mois d'août. 

Une campagne hivernale satisfaisante

En 2020, les pluies d'été ont été très favorables à la truffe, notamment pour les vergers qui n'ont pas pu être irrigués. Un soulagement après la succession d'années très sèches et caniculaires en 2018 et 2019. La campagne hivernale 2020 s'annonce ainsi de belle qualité, s'accordent à dire les trufficulteurs ardéchois mais le commerce s'est développé dans un contexte difficile. 

La plupart du temps, les trufficulteurs se rendent chaque semaine au marché aux truffes où ils vendent leur production à des courtiers ou en direct, comme c'est le cas à Ruoms. « Nous étions certains que nos circuits habituels allaient être perturbés, donc nous avons développé davantage les marchés de détail pour dynamiser le lien avec les consommateurs », explique Serge Barruel. Chaque samedi et durant tout l'hiver, le syndicat ardéchois tient désormais un stand sur le marché d'Aubenas, où les trufficulteurs adhérents vendent à tour de rôle leur production. « Nous avons la chance d'avoir des consommateurs présents sur les marchés ou qui nous contactent en direct, la demande est là ! Cela nous a permis de parer au marasme des marchés de gros. » En vente directe, les prix se maintiennent mais sur les marchés de gros, ils étaient très bas en tout début d'ouverture (entre 80 et 100 € / kg, soit moitié moins qu'en 2019). Ils s'améliorent au fil des jours, à hauteur de 300 € mi-décembre (contre 700 € en 2019). 

Une croissance majeure en Ardèche

Le plan truffes mis en place au niveau régional et départemental pour 2019-2021 soutient le développement de la production sur des terrains propices à cette culture. Il permet notamment de bénéficier d'aides à la plantation, fixées sur un objectif de 50 000 plants au niveau régional. Ces aides ont été assez peu sollicitées jusqu'ici : 10 500 arbres plantés en Aura dont 5 900 en Ardèche. Via les commandes groupées, le syndicat ardéchois a enregistré la plantation de 562 arbres en 2019 et 4 644 arbres en 2020 ! Une croissance majeure qui renforce la dimension agricole de la filière. Pour Bruno Delauzun qui projetait d'agrandir son verger, ces aides lui ont permis de planter 475 arbres supplémentaires en octobre dernier, bien plus que ce qu'il avait prévu.

Afin de professionnaliser et dynamiser la filière, ce plan vise également à développer la formation des trufficulteurs, à créer des sites expérimentaux et des opérations de communication. Des rencontres avec des spécialistes et des stages ont été organisés au Pradel sous l'égide du CFPPA en 2020. Quatre journées techniques ont également été réalisées : deux en février et deux en décembre dernier. L'occasion d'obtenir des conseils spécialisés et de peaufiner ses connaissances. En coordination avec l'Inra, une truffière expérimentale a aussi été créée sur une exploitation située sur le canton de Villeneuve-de-Berg.

« Nous devons avancer ! »

En 2021, ce plan filière entre dans sa dernière année de fonctionnement. Les formations, aussi, seront reconduites. « Nous devons avancer ! », souligne Serge Barruel. « Notre filière a besoin d'améliorer la communication réalisée autour de nos produits et de nos professionnels, développer les marchés de détail également, et mettre en place des partenariats avec la viticulture ardéchoise en lien avec les Offices de Tourisme. » Ce sera chose faite cette année avec la destination « Vignobles Sud Ardèche » qui propose une nouvelle expérience mêlant le vin et la truffe noire ! Deux trufficulteurs associés à 6 caves situées sur les territoires des Offices de Tourisme d'Aubenas-Vals-Antraigues et Pont d'Arc Ardèche proposeront une immersion dans leur métier tous les samedis de janvier et février2. Les visiteurs découvriront toutes les ficelles des cultures de la truffe et des vins d'Ardèche, ainsi que des accords mets et vins exceptionnels.

Anaïs Lévêque

1. Centre Technique Interprofessionnel des Fruits et Légumes.

2. Réservation en ligne sur les sites Internet des Offices de Tourisme concernées (25 € / personne).

« Développer le potentiel économique de la filière »
Serge Barruel.

« Développer le potentiel économique de la filière »

QUESTIONS À / Serge Barruel, président du syndicat des trufficulteurs d'Ardèche.

Sur quelles conditions peut-on bénéficier du plan filière régional ?

Serge Barruel : « Ces aides sont accessibles uniquement aux agriculteurs et aux cotisants solidaires. Dans le cadre de la négociation menée par la fédération régionale des trufficulteurs, à laquelle le syndicat adhère, avec la Région Auvergne Rhône-Alpes (Aura), un accompagnement et un suivi sont nécessaires pour voir aboutir des projets de culture. Il faut adhérer à un syndicat de la région pendant 5 ans afin que les demandeurs d'aides soient accompagnés et que les cultures ne soient pas abandonnées. Il y a de l'aide mais aussi du contrôle ! Il n'est pas question de planter aveuglement. Nous conseillons les jeunes planteurs pour leur éviter de faire des erreurs et qu'ils s'y retrouvent économiquement. Pour bénéficier de ce plan filière, une analyse des sols est aussi obligatoire afin de veiller à ce qu'ils soient favorables à la culture de la truffe. Les plantations se font en février/mars et octobre/novembre, mais si le dossier est accepté, les aides à la plantation sont conservées pendant 3 ans donc la priorité est de déposer un dossier avant fin 2021 ! Nous avions négocié des aides pour la plantation de 50 000 arbres eu Aura et 10 000 ont été plantés aujourd'hui. Il faut profiter de cette opportunité. »

Quels sont les objectifs de ce plan filière ?

S.B. : « Globalement, l'objectif est de créer de l'économie en Ardèche et exploiter toutes les possibilités qui existent. La truffe en est une, compte tenu de notre terroir et de la qualité de nos sols ! Quand la truffe française était à son apogée eu début du XXe siècle, il s'en produisait plus de 20 tonnes / an en Ardèche et une dizaine de marchés existaient. Elle a petit à petit disparu... Aujourd'hui, la filière ardéchoise redémarre car des plantations de qualité sont réalisées depuis une quinzaine d'années et sont désormais productives. Notre objectif est de développer le potentiel économique de la filière et professionnaliser les trufficulteurs. Qui dit truffe dit secret ! Nous voulons sortir de ça car c'est ce qui a tué les cultures. Nous devons transmettre nos savoir-faire, cumulés dans nos expériences personnelles, communiquer, mettre en lien les trufficulteurs et la recherche, se former autant que possible, car cela nous rendra visible pour tous les partenaires financiers et les consommateurs que nous pourrions avoir. »

À plus long terme, que projetez-vous pour dynamiser la filière ardéchoise ?

S.B. : « Une fois que l'aspect des surfaces sera bien lancé, que l'information, la communication et la formation seront également bien stabilisées, il faudra absolument se préoccuper de la valorisation de la production ! Définir et mettre en place un mode de commercialisation évitant une multitude d'intermédiaires. Là-dessus, il y a un gros travail à faire. Nous travaillons également sur la création d'une identification car la truffe voyage très facilement. Les consommateurs ne peuvent pas savoir d'où elle vient... Il est important que chaque terroir puisse créer son identification et se donne les moyens de contrôler sa production, de faire de la communication. Au marché de Ruoms, c'est le syndicat qui gère cela donc l'origine Ardèche y est assuré. »

Comment se porte la filière ardéchoise aujourd'hui, après une année 2020 perturbée par la crise sanitaire ?

S.B. : « Nous travaillons sur de petits volumes et en direct le plus souvent, ce qui nous permet d'amortir le choc de la Covid. Les intermédiaires – courtiers ou conserveries – n'ont pas pu écouler leur marchandise auprès des restaurateurs mais aussi des filières industrielles qui se sont approvisionnées à l'étranger, en Espagne en particulier. Les cours sont donc plus bas que les années précédentes mais les marchés en direct comme nous les organisons à Ruoms fonctionnent très bien, tellement que nous sommes en manque de truffes. »

Propos recueillis par A.L.