AGRICULTURE THÉRAPEUTIQUE
À la Ferme La Feie, les animaux sont au service du handicap

Amandine Priolet
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À Pont-de-Barret (Drôme), Laure et Nicolas Charroin sont à la tête du Gaec Ferme La Feie et élèvent un troupeau de 80 brebis laitières. Hormis l’activité de transformation du lait, ils accueillent sur leur ferme des jeunes polyhandicapés.

À la Ferme La Feie, les animaux sont au service du handicap
Le Gaec Ferme La Feie, géré par Nicolas et Laure Charroin, compte aujourd’hui 80 brebis laitières de race Lacaune.

Une ferme ouverte. Tel était le désir de Laure et Nicolas Charroin en 2006 à l’heure de leur reconversion professionnelle. Elle, était jusque-là éducatrice à l’environnement. Lui, éducateur sportif auprès de publics handicapés. Passionné de nature, le couple se lance dans l’élevage d’ovins laitiers en agriculture biologique à Pont-de-Barret (Drôme), village d’origine du néo-agriculteur devenu dans un premier temps conjoint collaborateur. Il crée rapidement un atelier de transformation fromagère et s’investit dans la création du collectif de producteurs « Au Plus Pré » en vue de l’ouverture d’un magasin à La Laupie. En 2011, le couple crée un Gaec. Très vite, l’idée de la ferme ouverte refait surface : « Je tenais vraiment à ce que l’accueil thérapeutique fasse partie de l’activité agricole. Nous étions déterminés à créer un lieu agricole pouvant avoir un potentiel intéressant auprès de jeunes en difficulté », raconte Nicolas Charroin, lui-même en situation de handicap.

L’exploitation prend un nouveau tournant en 2017 avec l’obtention d’une dérogation pour une extension d’activité sur la partie accueil de la ferme, jusqu’à 200 h annualisées. Une structure adaptée est alors construite en prolongement de la bergerie, avec un bâtiment de 100 m² destiné à accueillir les animaux éduqués à la médiation animale. En parallèle, Nicolas Charroin s’est justement formé auprès de l’Institut français de zoothérapie (IFZ), même si aucune formation n’est requise pour faire de l’accueil sur sa ferme. Au quotidien, il s’appuie sur deux ânes et une chienne, ses brebis bien sûr, mais aussi des cochons, des cochons d’Inde, des lapins, ou encore des poules. « Nos animaux sont des clés très importantes, des éléments indispensables aux yeux des jeunes qui viennent sur la ferme », explique-t-il.

Un accueil contractualisé avec les instituts thérapeutiques

La Ferme La Feie accueille chaque semaine des petits groupes de jeunes polyhandicapés (troubles psychotiques, troubles autistiques, troubles moteurs et cérébraux, maladies dégénérescentes...) provenant d’instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques médico-éducatifs (IME), d’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP), voire de familles drômoises. Des conventions sont alors signées, après devis, avec chaque établissement. « La séance dure en moyenne 1h30, en fonction des capacités de chacun. Nous nous servons des animaux pour entrer au contact d’un jeune en situation de handicap. » Lors des différentes activités de la ferme, sont notamment traités les problèmes de relations humaines, de modes d’expression violents, de verbalisation, de motricité, ou encore de confiance en soi et en l’autre. « C’est un accompagnement thérapeutique personnalisé non-médicamenteux, qui apporte de nombreux bienfaits, et qui ne nécessite rien de plus que l’environnement d’une ferme », souligne Nicolas Charroin. Et d’ajouter : « Nous sommes paysans avant tout. Nous profitons seulement du potentiel de la ferme pour proposer cet accueil ». Cette activité représente aujourd’hui 5 % du chiffre d’affaires de l’exploitation. Toutefois, le couple d’éleveurs doit concilier de multiples facettes : élevage laitier, transformation à la ferme, vente directe, cultures céréalières et fourragères (35 ha) pour l’autonomie alimentaire du troupeau et accueil thérapeutique. « Il est parfois compliqué de tout gérer. L’accueil nous a permis de créer un emploi à la ferme, avec l’embauche d’un salarié à mi-temps, puis d’un second ». Très engagé sur les valeurs humaines et le partage, Nicolas Charroin aimerait voir éclore dans la région d’autres fermes d’accueil thérapeutique qui permettraient de répondre à une demande toujours plus importante.

Amandine Priolet

Pour une reconnaissance auprès des pouvoirs publics
Jean-Paul Barithel, président du réseau Astra.
LE RÉSEAU ASTRA

Pour une reconnaissance auprès des pouvoirs publics

Développer l’agriculture sociale et thérapeutique dans la région et la faire reconnaître auprès des pouvoirs publics : ces deux missions sont portées depuis 2009 par le réseau Agriculture sociale et thérapeutique en région Auvergne Rhône-Alpes (Astra). Présidée par Jean-Paul Barithel, l’association loi 1901 est née à la suite du projet européen « So Far » (Social Farming in Europe), mené dans sept pays de l’Union européenne à la fin des années 2000. À l’époque, ce programme visait à identifier les réalités du terrain en termes d’accueil de personnes en difficulté en milieu rural et agricole.

Aujourd’hui, le recensement fait état d’une centaine d’exploitations proposant de l’accueil social et thérapeutique en région Auvergne Rhône-Alpes. « Il manque considérablement de fermes-accueil », regrette le président. Pourtant, selon lui, une ferme et ses activités agricoles sont un outil de développement intéressant pour des personnes en difficulté sociale ou porteuses de handicap. « L’idée n’est pas de transformer l’agriculteur en travailleur social. Il suffit que l’accueillant puisse se montrer disponible et à l’écoute de la personne accueillie, en lui faisant partager son expérience. C’est avant tout un partage de chemin. Au contact de la personne en difficulté, on grandit, on est dans l’échange, dans la reconnaissance l’un de l’autre », explique Jean-Paul Barithel. Nul besoin alors de réaliser une formation pour faire de l’accueil social et thérapeutique. Financé en partie par la Région Auvergne Rhône-Alpes et le Département de la Savoie, le réseau Astra accompagne notamment les agriculteurs pour mettre en place des conventions entre les structures associatives à vocation thérapeutique ou les établissements sociaux et d’insertion, et leurs exploitations.

À l’avenir, le réseau Astra espère obtenir une reconnaissance statutaire, notamment pour les personnes en difficulté sociale (non-reconnues porteuses d’un handicap), mais aussi se rapprocher des pays européens pour un partage d’expérience et des pratiques communes. Pour ce faire, Astra travaille notamment avec le réseau Accueil Paysan et les Civam1. « Notre souhait est aussi de voir se multiplier les structures d’accueil, qui peuvent être un apport financier supplémentaire à l’activité agricole des accueillants », conclut Jean-Paul Barithel.

A.P.

1. Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural.

CFPPA Terre d’Horizon / Jardin à visée thérapeutique : une formation unique en France

Sensibilisé au partage avec le monde médico-social et fort de ses connaissances en matière de végétaux, le CFPPA de Romans-sur-Isère a créé l’an passé une formation unique en France dont l’intitulé est : « Conduire un jardin à visée thérapeutique, pour créer un lieu de bien-être et d’activité ». « Il s’agit d’une certification de niveau licence, reconnue par France Compétence et inscrite au Registre spécifique. Elle est répertoriée au CPF (compte personnel de formation) depuis janvier 2021 », se réjouit Fabien Chalumeau, directeur de l’établissement. La formation s’étale sur sept mois, pour un total de 215 h. Deux fils rouges guident cette formation : le premier, sur la capacité à concevoir et gérer un jardin de soin, le deuxième sur l’animation d’activités au sein de ces jardins thérapeutiques auprès de personnes en situation de handicap. « Pour certains troubles (difficultés d’apprentissage, autisme, Alzheimer), les jardins thérapeutiques peuvent apporter une vraie plus-value aux personnes vulnérables », note le directeur. Après un démarrage poussif l’an passé, le lycée propose une nouvelle session depuis le 8 mars. En parallèle, les responsables pédagogiques s’activent pour nouer de nouveaux partenariats avec des Ehpad ou des instituts médico-éducatifs. « Nous avons déjà un partenariat avec l’unité Alzheimer de l’hôpital de jour de Romans-sur-Isère dans laquelle un espace non-utilisé est en voie de se transformer en jardin thérapeutique », indique Fabien Chalumeau. Les renseignements et inscriptions se font directement auprès de l’établissement. Le nombre de places est limité.