Dans le programme national du Fonds européen des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (FEAMPA) de la France (2021-2027), le bien-être animal en pisciculture est pour la première fois abordé dans les grandes orientations d’avenir de la filière.
Les poissons ont-ils des émotions ? Si la question peut prêter à sourire, elle a tout le mérite d’être posée dans un objectif d’amélioration du bien-être animal en pisciculture. C’est l’objet du webinaire proposé par l’Institut technique de l’aviculture, de la pisciculture et de la cuniculture (Itavi) à destination des professionnels de la filière. Selon Violaine Colson, ingénieure de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), les poissons disposent de capacités cognitives, c’est-à-dire qu’ils ont la capacité d’être en interaction avec leur environnement et sont donc en mesure de percevoir, d’apprendre, de se concentrer, de développer leur mémoire, d’avoir des émotions, etc. « Les guppies, par exemple, reconnaissent individuellement jusqu’à 40 congénères », explique-t-elle. D’après des études effectuées en laboratoire, « les truites arc-en-ciel, quant à elles, peuvent catégoriser jusqu’à 60 objets différents ». Au-delà de leurs capacités d’apprentissage, les poissons peuvent avoir des émotions. « La truite ressent par exemple de la peur dès qu’un danger est signalé, comme une épuisette qui entre dans le bassin. Cette émotion provoque la fuite ou l’immobilisation du poisson, l’augmentation de son rythme cardiaque, etc. La peur est l’émotion la plus simple à mettre en évidence chez les animaux. C’est une émotion primitive négative qui se traduit par des modifications physiologiques et comportementales immédiates en réponse à la perception d’un danger », souligne Violaine Colson.
Les poissons ont des émotions
Parmi les autres émotions observées chez les poissons, celle de la frustration. « Chez le saumon conditionné à recevoir de l’aliment après un signal lumineux, une étude a permis d’observer des comportements agressifs lors du signal si l’aliment est omis », poursuit-elle. Les truites peuvent également montrer des signes d’anxiété et ressentir le phénomène de douleur, qu’il est possible de repérer par un comportement natatoire anormal, une baisse de l’attention, des frottements de la bouche sur les parois du bassin, un arrêt de l’alimentation, une augmentation du rythme de battement des opercules, etc.
Devant une avancée assez conséquente des connaissances scientifiques sur les premiers indicateurs de bien-être animal chez les poissons, et notamment leur sensibilité à la douleur, les professionnels de la filière s’y intéressent de plus en plus. « Nous observons également une attente de plus en plus croissante des citoyens pour le bien-être des poissons, afin qu’ils soient traités au même titre que d’autres espèces d’élevage », indique Mathilde Stomp, responsable bien-être animal au sein de l’Itavi. Dans ce contexte, la filière a souhaité avancer sur le sujet et disposer d’une méthode pour évaluer le bien-être des poissons en pisciculture. Deux projets Casdar « Aqua bien-être » et le Fonds européens pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) « B ABA » (2021-2023) ont été initiés pour développer un outil applicable sur le terrain. « Nous nous sommes appuyés sur une méthode déjà existante Ebene®, développée par l’Itavi en 2018 pour les filières volailles et lapins », poursuit-elle.
Un outil d’observation du bien-être
Cette méthode permet de caractériser douze critères du bien-être animal, comme la relation entre l’Homme et l’animal, le comportement des animaux, la prévention des situations de peur ou de stress, l’alimentation, l’abreuvement, le mouvement, l’environnement et l’ambiance, etc. « L’évaluation de ces critères permet aux éleveurs d’identifier des axes de progrès pour améliorer continuellement l’état de bien-être des animaux dans les élevages », déclare Mathilde Stomp. Inspirée de l’outil Ebene®, la filière a adapté les grilles de principes et les critères du bien-être aux poissons. Grâce à des enquêtes terrains, l’Itavi a notamment étudié la variabilité des systèmes d’élevage pour pouvoir proposer une méthode adaptée à tous. « Nous avons dressé une liste d’indicateurs à tester en piscicultures (dans des élevages de truites, NDLR) avec l’objectif d’aboutir à une sélection d’indicateurs sensibles, fiables et répétables », note la responsable bien-être animal. Avant de conclure : « Cette méthode est en cours de construction, mais nous allons vers une validation d’indicateurs à la fois physiques et comportementaux de bien-être chez la truite. D’autres étapes vont suivre : la consolidation des analyses regroupant l’ensemble des suivis réalisés, l’étude des facteurs explicatifs (qualité de l’eau, pratiques d’élevage, etc.), un travail sur le scoring des indicateurs retenus (avec une note de bien-être de 0 à 5), et enfin le développement de l’outil sous forme d’application smartphone. A long terme, l’objectif est de poursuivre ces travaux sur d’autres espèces (poissons marins, esturgeons) ».