CRISE AGRICOLE
« Nous veillerons à ce que les engagements soient tenus »
S’il se félicite que le gouvernement ait pris la mesure du malaise agricole et des nécessaires changements de cap à opérer, y compris pour l’élevage, Patrick Bénézit, président de la FNB, prévient : « après dix jours d’une mobilisation d’une telle ampleur, les actes seront scrutés avec une extrême attention ».
La seconde intervention du Premier ministre sur la crise agricole vous a-t-elle convaincu ?
Patrick Bénézit : « De manière globale, à la différence du vendredi 26 janvier en Haute-Garonne, le Premier ministre et son gouvernement ont apporté, jeudi 1er février, des éléments de réponses plus sérieux et étayés, ce qui a amené le réseau FNSEA-JA à suspendre leur mouvement. Suspendre mais pas lever car chat échaudé, craint l’eau froide… Ça a été un mouvement assez historique. Que chacun est bien conscience que rien n’aurait bougé si les gens n’étaient pas montés au créneau. Les agriculteurs et les agricultrices se sont mobilisés en nombre, et pour cela, ils méritent d’être salués. Personne ne peut imaginer que ce qui va se passer à partir de maintenant soit la même chose qu’avant. Dans les propos du gouvernement, il y a des mesures d’urgence, à court terme, et à moyen terme, et la volonté de changer de cap. En gros, des sujets immédiats, d’autres qui nécessitent des modifications législatives, et des sujets européens qui requiert un engagement fort de la France. »
Sur les prix, la revendication principale des agriculteurs, quel bilan peut-on faire des annonces ?
P. B. : « Le prix c’était la question centrale. Nous avons obtenu l’engagement de l’État de contrôler la loi Égalim, mais pas seulement, de la renforcer aussi pour arriver à un non-contournement des indicateurs de coûts de production interprofessionnels ou de l’Institut de l’élevage. Pour cela, il faut réouvrir la loi. Ensuite, le ministre de l’Économie et des Finances a annoncé vouloir multiplier le contrôle des origines France des produits et des ingrédients, en annonçant jusqu’à 10 % de sanctions sur le chiffre d’affaires pour les contrevenants. Encore une fois, nous travaillerons dans les jours qui viennent à faire en sorte que les choses prennent forme le plus vite possible. »
Lorsque Gabriel Attal affirme, à propos de l’accord de libre-échange avec le Mecorsur : « Pas question pour la France de l’accepter, c’est clair, net, et ferme », c’est plutôt rassurant, non ?
P. B. : « La position du chef de l’État et de la France de ne pas signer l’accord de libre-échange avec le Mercosur est désormais ferme et assumée, avec l’idée que tant que les mesures miroirs ne seront pas calées, il ne pourra y avoir d’accord. C’est une avancée. Nous suivrons de près la concrétisation de cette volonté de régulation du commerce internationale que la France souhaite insufflée à Bruxelles. »
Annoncée lors du dernier Sommet de l’élevage, qu’en est-il de la mesure fiscale en faveur de l’élevage ?
P. B. : « Ce qui nous avait été promis au Sommet de l’élevage, n’avait jamais été inscrit correctement dans le projet de loi de finances. La mesure était inutilisable en l’état car non assortie du volet social, nous étions d’ailleurs montés au créneau à plusieurs reprises sur ce sujet. Aujourd’hui, il y a la promesse de réviser cette mesure, de la pérenniser dans le temps, sous forme de déduction fiscale, étendue à l’assiette des cotisations sociales, non réintégrée en cas de hausse du cheptel en valeur ou effectif. Cela devra être inscrit dans un projet de loi de finances rectificatif. »
Quid sur les mesures d’urgence relatives notamment à la MHE ?
P. B. : « Nous avons avancé sur les mesures sanitaires avec d’une part une prise en charge portée à 90 % sur les frais vétérinaires et les indemnités mortalité liés à la MHE, et d’autre part, des prises en charge de pertes indirectes avec une enveloppe de 50 millions d’euros pour les éleveurs touchés. »
Sur les prairies, quelles sont les avancées ?
P. B. : « Sur le ratio prairie, nous avons gagné un an, mais c’est un sujet européen que le Premier ministre souhaite porter à Bruxelles. Sur les prairies sensibles, le sujet, même européen, peut se régler en France. »
En revanche, le statu quo demeure sur l’assurance prairies ?
P. B. : « Sur l’assurance prairies, nous réitérons notre demande de pouvoir recourir aux fermes de références et ce partout en France pour pallier les erreurs du satellite. Sur ce sujet, les choses devront bouger d’ici le printemps. »
Propos recueillis par Sophie Chatenet
Ils ont dit...
VERBATIM / Alors que les réseaux syndicaux ont suspendu les blocages partout en France, nous avons recueilli la réaction de plusieurs responsables professionnels. Tous sont satisfaits des annonces faites par le gouvernement, mais se disent attentifs à la suite des évènements.
Michel Joux, président de la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes : « Nous serons extrêmement vigilants »
« Nous sommes assez satisfaits des annonces. Le Premier ministre, Gabriel Attal, a réaffirmé la place de l’agriculture au centre de la société, au même niveau que le reste des activités économiques de notre pays. Il a rappelé que nous devions produire plus mais mieux. Nous sortons du cercle de la décroissance. C’est une véritable reconnaissance de l’agriculture. Toutefois, nous resterons extrêmement vigilants dans les jours qui viennent pour que la simplification promise soit réellement effective. Dans le cas contraire, nous réappuierons sur le bouton. Par ailleurs, la loi Égalim est un outil qui aujourd’hui n’est pas assez performant pour assurer du revenu aux agriculteurs. Il faut améliorer et renforcer cette loi. Nous voulons savoir où passent les marges. Nous devons obtenir des choses concrètes, palpables. Le chef de l’État doit faire preuve de courage politique rapidement si nous voulons encore avoir des agriculteurs demain. Le prix demeure le nerf de la guerre. »
Jérôme Volle, vice-président de la FNSEA en charge de l’emploi : « Point par point, toutes les annonces doivent se concrétiser »
Viticulteur dans l’Ardèche, Jérôme Volle a en charge le dossier emploi à la FNSEA. Quelques jours après la suspension des barrages agricoles, il salue toutes les agricultrices et agriculteurs « qui durant des jours et des nuits ont tenu la baraque d’un mouvement historique ». Ce temps d’expression était « vital ». Qu’il ait bénéficié d’un écho assez inédit dans les médias est une bonne chose. Mais pour lui, l’enjeu est ailleurs. « Dans un premier temps, le gouvernement n’avait pas pris la mesure du désarroi des agriculteurs. Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre a esquissé des pistes, mais pas suffisantes. Enfin, le 2 février, lors de la conférence de presse de Gabriel Attal, on a senti enfin une vraie prise de conscience. » Reste, qu’aussi belles et nombreuses soient les promesses, encore faut-il qu’elles se traduisent dans les faits et rapidement. « D’ici le Salon de l’agriculture, un certain nombre de mesures peuvent être mises en place à travers des décrets, un projet de loi de finances rectificatif. Il y a les mesures de court terme que peut actionner le gouvernement, d’autres qui relèvent d’un second temps d’ordre législatif, et enfin un troisième temps européen ». Le responsable syndical comme ses homologues départementaux, régionaux et nationaux, sont à pied d’oeuvre avec un objectif : « Point par point toutes les mesures doivent être travaillées avec évidemment le concours de l’administration. Autrement dit, les services de l’administration doivent suivre la cadence imposée par le gouvernement afin que les décisions politiques soient suivies des faits. Cela implique de lever les freins qui perdurent au niveau français et européen ». Et de prévenir, si tel n’était pas le cas, et si les décisions tardaient à venir, « les mobilisations reprendront ».
Bernard Mogenet, président de la FDSEA des Savoie et responsable du dossier loup à la FNSEA : « Le diable se cache toujours dans les détails »
Après la série d’annonces du gouvernement présentée le jeudi 1er février, le président de la FDSEA des Savoie, Bernard Mogenet, estime l’ensemble « plutôt positif, les mesures répondent en grande partie à nos revendications. Mais on reste méfiants car le diable se cache toujours dans les détails ». Jugeant que le Premier ministre a fixé un cap et a ouvert des chantiers intéressants, il salue la pause décidée par les réseaux nationaux dans les actions syndicales. Il appelle maintenant la profession à consacrer son énergie au travail de fond à conduire avec les préfets. « Si on sent que ça ne se concrétise pas, on se réserve le droit de refaire monter la pression avant le Salon de l’agriculture de Paris », prévient l’éleveur. « Le grand absent du discours du Premier ministre, c’est la prédation. Rien de nouveau sur le renforcement des moyens de protection des troupeaux, ni sur le déclassement du loup des espèces protégées. »
Jocelyn Dubost, président de Jeunes agriculteurs Auvergne-Rhône-Alpes : « Nous devons poursuivre le travail »
« Nous ne devons pas crier victoire ou défaite tout de suite. Nous avons mis le mouvement en pause pour engager le travail avec les préfets. Les annonces ne sont pas toutes encore à la hauteur, mais elles vont dans le bon sens. Nous devons poursuivre le travail pour faire évoluer les différents procédés engagés. Il reste encore beaucoup de choses à faire en local, sur le terrain. Nous allons continuer et ne rien lâcher. »