RURALITE
Usagers de la campagne : une cohabitation difficile

Depuis plusieurs mois, des actes malveillants ou non intentionnels se sont multipliés à proximité des parcelles agricoles. Vols de fruits, déchets sauvages, piétinement de légumes, déjections canines, affolement de troupeaux … Le liste est longue et le désarroi des agriculteurs à son comble !

Usagers de la campagne : une cohabitation difficile
Les restes d’un Mac Do laissés au bord d’un champ. DR

À quelques kilomètres du lac Léman, les 18 ha de légumes de Karine Bidal du Gaec La Renouillère à Sciez (Haute-Savoie) sont presque devenus un bien commun. « Depuis quelques mois nous assistons à un retour en force d’actes malintentionnés dans nos champs », lâche-t-elle désabusée. Des quads qui se croient sur un terrain de rallye, des maîtres qui lancent des bâtons à leurs chiens et qui piétinent les salades, des voitures qui font demi-tour au milieu des cultures, des déjections canines et des passants qui se servent dans les champs comme ils le feraient dans leur frigo… « Il y a quelques semaines nous avons jeté une cinquantaine de pieds de pommes de terre ruinés à la poubelle. Les passants ne comprennent pas que la culture est foutue si on l’écrase, que leurs déchets peuvent abîmer notre matériel », explique la maraîchère qui a récemment fermé un chemin pour limiter la casse. « Nous avons investi dans quatre panneaux pour indiquer qu’il s’agit d’une propriété privée mais ils n’ont pas l’air d’avoir fait grand effet. Certains pensent que la nature leur appartient et ne se rendent pas compte qu'elle est notre outil de travail. Les panneaux, encore faut-il vouloir y prêter attention ! », regrette-t-elle.

« La ferme n’est pas un zoo libre d’accès »

Ce manque de civisme a souvent lieu les week-ends ou en soirée. « Nous retrouvons tous types de déchets, de la canette de soda à la bouteille en verre, du bidon pH pour piscine aux mouchoirs, morceaux de ferraille, gravats et préservatifs usagés… Ces actes ne sont pas nouveaux mais se sont exacerbés lors du premier confinement », indique Marie-Christine Duparc, femme d’éleveur à Poisy. Il y a une dizaine d’années, elle s’est « amusée » à peser les déchets retrouvés sur les parcelles familiales où travaille aussi sa fille : « une tonne en un an après j’ai arrêté de compter ! » lâche-t-elle. Ce qui agace le plus Marie-Christine, c’est cette normalité des passants à « se croire partout chez eux, en terrain conquis ». « La ferme n’est pas un zoo libre d’accès. C’est un lieu qui peut être dangereux si on ne le connaît pas, où l’on peut transporter et ramener des maladies. Je pense aux crottes de chiens qui au contact de nos vaches peuvent véhiculer la néosporose, responsable de leur avortement. Ce n’est pas rien, il en va de la santé de nos troupeaux. » Si elle a l’habitude d’expliquer les pratiques agricoles auprès du grand public, elle pointe régulièrement un sujet délicat qui rend la vie des agriculteurs compliquée au quotidien : le comportement des conducteurs et des cyclistes sur les routes. « Un tracteur c’est gros, les outils agricoles aussi. Lorsqu’on en croise un, il me semble logique de ralentir, tout comme à l’approche d’un troupeau. Je ne compte plus le nombre de fois où nous avons dû courir après nos vaches pour les récupérer affolées. Il suffirait juste de baisser sa vitre, de se parler pour mieux s’organiser sur les routes mais les gens roulent vite, n’ont pas le temps… », constate-t-elle.

La méconnaissance des codes de la montagne

Bernard Marchand, éleveur à la chèvrerie de Vesonne à Faverges (Haute-Savoie) est, lui, confronté à l’acceptation de son patou par les passants apeurés. « Les gens sont assez agressifs, ils ne comprennent pas qu’on ait des chiens qui ne soient pas attachés. On leur explique que ce sont des chiens de travail qui restent avec les chèvres, qui sont intégrés au troupeau et qui nous permettent de nous protéger du loup mais ce n’est pas suffisant. Je pense qu’il y a avant tout une méconnaissance des codes de la montagne. Les citadins viennent ici parce que nos paysages sont beaux, ils profitent de nos lieux sans se poser la question s’ils sont privés ou pas ! Ils campent dans nos champs, installent leur table de pique-nique sans demander l’autorisation… », témoigne l’éleveur installé en alpage en plein coeur du Massif des Bauges. Grâce à son intervention par la société d’économie alpestre (SEA), en lien avec le parc naturel des Bauges et les Offices de tourisme installés sur le territoire, l’éleveur a pu s’impliquer dans une formation pour sensibiliser le public à adopter un comportement adéquat avec le patou. « La plupart des traileurs font partie de ces personnes qui ignorent nos codes. Ils regardent leur vitesse de course et ne ralentissent pas à l’approche des troupeaux. Nos chiens leur courent après. Du coup, ils courent encore plus vite et ça dégénère. Nous sommes en décalage complet avec cette population, c’est compliqué de faire passer des messages », témoigne Bernard Marchand.

« Il suffit d’un peu de bon sens ! »

Des premières cerises aux dernières pommes, tous les ans, Philippe Dumont, arboriculteur installé à Vourles dans la vallée du Garon (Rhône), subit des vols dans ses parcelles. Avec la possibilité de télétravailler et de s’éloigner des centres-villes, l’épidémie de la Covid-19 a engendré une recrudescence de comportements malpolis ou simplement ignorants et inexpérimentés de la part des citadins. L’arboriculteur rhodanien retrouve régulièrement ses arbres dépouillés. « Les passants se servent, remplissent leur sac à dos ou leurs cagettes et repartent comme si de rien n'était. Les pertes se chiffrent en dizaines de tonnes. Je ne préfère même pas calculer le manque à gagner », explique-t-il d’un ton blasé. « Ce n’est même plus de la colère, on est complètement désabusés, reprend Marie-Christine Duparc, nos numéros sont écrits en gros à l’entrée de nos fermes. Appelez-nous, posez-nous des questions avant de vous servir ou de vous approprier nos champs. Je pense qu’on peut tout régler en se parlant. Je garde espoir. Il suffit d’un peu de bon sens et de communication ! »

Alison Pelotier