Le maillage territorial en abattoirs de toutes tailles s’avère indispensable au maintien de l’élevage dans les massifs.
« La première chose qui ressort de nos échanges, c’est faire vivre l’élevage », martèle Amandine Vial, membre du Suaci Montagn’Alpes, au terme d’un séminaire sur la valorisation de la viande de montagne. En région Auvergne-Rhône-Alpes comme en région Provence-Côte-d’Azur se posent les mêmes questionnements quant à la structuration de la filière des élevages alpins, bovins, ovins, caprins ou porcins. Le séminaire qui s’est déroulé en Matheysine, dans le sud de l’Isère, s’est d’abord intéressé au maillage des abattoirs au service des différentes productions. Parmi les outils moteurs, le nouvel abattoir de Gap dans les Hautes-Alpes (11 M € d’investissement), est dédié aux filières bovines et porcines. « Un dossier lourd », reconnaît Olivier Lhermie, directeur de l’équipement géré par la Société d’intérêts collectifs agricoles du bétail alpin qui était la seule candidate pour piloter l’outil. L’abattoir ouvrira cet été avec une délégation de service public (DSP) de onze ans et apportera une capacité de 4 500 t/an. Dans la même échelle, l’abattoir multi-espèces de Chambéry produit 3 000 t par an. C’est un outil neuf, qui appartient à un syndicat mixte (Chambéry et agglo), qui a nécessité un investissement de 8 M € en 2014.
Un projet d’agrandissement de 4 M € est dans les cartons pour l’extension de la salle de découpe, des stabulations et des chambres froides. L’atelier découpe produit 250 t/an (saucisses, merguez etc.) ainsi que 25 t de pâté. « Nous devons évoluer pour fidéliser les équipes, améliorer les conditions de travail, avancer en protection animale, faire des choses adaptées et adaptables », insiste Alexis Ferreira, le directeur de l’établissement. Il pointe une marge de progression sur la valorisation des coproduits et s’inquiète de la présence de nombreux petits ateliers de découpe concurrentiels.
Le tâcheronnage
De taille beaucoup plus modeste, l’abattoir de La Mure, en Isère, réalisait 350 tonnes d’abattage en 2023 (et 285 t de découpe). « Notre spécialité, c’est le mouton à cinq pattes », plaisante Paul-Dominique Rebreyend, le gestionnaire de l’association d’éleveurs producteurs de viande Isère (Provi). Construit en 1997, l’abattoir a été conçu au service des circuits courts et de la vente directe. Il a été équipé d’une salle de découpe en 2001. Elle propose la fabrication de saucisses, merguez et viande hachée salée. Après avoir connu une forte progression, cette activité connaît un coup d’arrêt, concurrencée, elle aussi, selon Paul-Dominique Rebreyend « par des salles de découpes privatives ». En dépit de l’envolée des coûts de l’énergie, et même si l’abattoir est équipé des panneaux photovoltaïques pour produire son électricité, la structure reste à l’équilibre. « Nous n’avons jamais tapé dans l’argent public pour notre fonctionnement, nous avons consolidé nos fonds propres et nos bénéfices sont restés dans l’entreprise, nous n’avons pas d’emprunt, mais la rentabilité pose des soucis », explique le dirigeant de l’abattoir.
Autre modèle, autres pratiques
Dans les Hautes-Alpes, l’abattoir de Guillestre a été repris par des éleveurs en 2016. « Le nord du département est tourné vers l’élevage, si l’abattoir avait été condamné cela aurait mis à mal les éleveurs », indique Véronique Dubourg, éleveuse retraitée. Avant sa reprise en SCIC par 166 sociétaires, cet abattoir, qui appartient à un syndicat mixte intercommunal, avait bénéficié d’un lourd investissement dans une salle de découpe. « Les éleveurs ont souhaité se réapproprier ce maillon et c’est par le tâcheronnage que nous sommes à l’équilibre », commente l’éleveuse. L’abattage a lieu un seul jour par semaine. L’activité s’élève à environ 140 t annuelles et 40 t de découpe. « Nous sommes une dizaine le mardi. C’est de la prestation de service. Il y a un prix par bête divisé par le nombre de tâcherons présents. Il n’y a pas de cadence et nous sommes présents du début jusqu’au nettoyage. » Aujourd’hui, les éleveurs souhaitent régler la question des coproduits qui ne sont pas valorisés. Ils portent un projet de mégisserie afin de tanner les peaux des petits ruminants. Les études de faisabilité sont concluantes. « Nous menons aussi une réflexion sur le sang. L’objectif est de se réapproprier tout ce qu’apportent les animaux pour le territoire ». Encore plus modeste, l’abattoir de Bourg-d’Oisans est dans une situation délicate. Il produit 70 t/an et découpe 60 t pour les éleveurs en vente directe. Mais le bâtiment et les équipements sont vieillissants et les besoins des éleveurs en découpe et transformation sont importants. Valorisation des coproduits, concurrence de salles de découpes privées, coût de l’équarrissage dans un marché totalement captif, coût de l’énergie, quelle que soit la taille des outils d’abattage qui maillent les territoires de montagnes, ils partagent les mêmes problématiques et sont une condition au maintien de l’élevage.