BIOCONTRÔLE
Des végétaux fermentés pour soigner la vigne

Pauline De Deus
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La lactofermentation pour des plantes plus résistantes... Une solution efficace pourtant méconnue. Mardi 21 novembre, Milène Souvignet, agronome et consultante indépendante, a présenté cette technique à une quinzaine de viticulteurs ardéchois, dont plusieurs membres du groupe Dephy, à l'occasion d'une formation organisée par la chambre d'agriculture de l'Ardèche.

Des végétaux fermentés pour soigner la vigne
Les mesures du potentiel redox Eh/pH sont notamment utilisées pour évaluer l’efficacité des préparations lactofermentées. Ici sur un verger de pommiers. ©DR_MSouvignet

La fermentation des végétaux est une technique de conservation ancestrale. Dans un milieu anaérobie (sans oxygène), l'acidification provoquée par les lactobacilles ralentit la multiplication des bactéries pathogènes et évite les processus de putréfaction. Outre son intérêt de conservation, la lactofermentation présente de nombreux bienfaits. Elle permet, entre autres, de développer et de multiplier les bactéries et levures bénéfiques qui appartiennent au groupe des probiotiques en plus de générer de nombreux nutriments dans la solution lactofermentée.

Ces bénéfices, reconnus pour l'organisme humain, le sont aussi pour celui des animaux, des végétaux et même, ceux des sols. En l'occurrence, pour les sols, les solutions lactofermentées ont un intérêt très complémentaires des apports de matière organique. Et pour les agriculteurs qui ne disposent pas de fumier, source très riche en microbiologie, cela représente une bonne alternative. « Un troupeau bien géré [NDLR : avec un pâturage tournant dynamique] est le nec plus ultra pour nourrir la microbiologie du sol », précise la chercheuse Milène Souvignet, face aux viticulteurs1.

Fermentation et compost : des techniques complémentaires

Faute d'élevage, la gestion de l’activité microbiologique de ses sols peut donc s'appuyer sur ces ferments lactiques, de même que d'autres techniques, plus communes, telles que les thés de compost oxygéné (TCO).  « La lactofermentation et les TCO fonctionnent bien ensemble », ajoute l'agronome. Pour ce qui est des ferments lactiques, Milène Souvignet assure que les résultats sont quasi systématiques, études à l'appui : « Les premiers résultats sont souvent visibles sur la structure du sol : l'infiltration de l'eau s'améliore, la structure du sol devient plus grumeleuse, plus souple... »

Tout en un seul passage

En viticulture, la lactofermentation permet de réduire l'usage de cuivre et de soufre. Pour les viticulteurs, le traitement peut se faire aisément, puisque les solutions fermentées peuvent être mélangées au soufre et au cuivre, le tout dilué dans l'eau, et pulvérisé en un seul et même passage. « Cette technique de traitements fermentés est d'autant plus intéressante si elle est appliquée chaque année, précise Milène Souvignet. On remarque qu'au fil des années, le sol et les plantes se bonifient et se renforcent de plus en plus. »

Pauline De Deus

1 Cf. travaux de régénération de sols de Gabe Brown aux US.

La lactofermentation en pratique

Comment préparer une solution lactofermentée ?

Parmi les solutions lactofermentées, on peut notamment réaliser des préparations à base de plantes (l'ortie, la consoude, la luzerne), de céréales (le son de blé, etc.), ou encore d'humus (lifofer). Privilégiez les céréales et/ou le lifofer pour le traitement du sol, et les végétaux pour les applications foliaires. À  l'aide d'une débroussailleuse, coupez la partie aérienne de la plante choisie, de préférence avant la floraison. Une fois cette matière première disponible, il faut la diluer dans l'eau. Comptez 10 % de matière environ pour 100 litres. De préférence, utilisez une eau non-issue du réseau ou laissée à l'air libre 48 h pour limiter la présence de chlore, aux effets oxydants et bactéricides. Idéalement, l'eau doit être chauffée à 30 degrés, il est toutefois possible de réaliser la préparation à température ambiante (15-20°C à minima). L'usage de mélasse est recommandé pour amplifier le processus de fermentation. Laissez ensuite agir plusieurs jours. La préparation doit atteindre un pH inférieur à 4 (dans l'idéal), avant d'être filtrée et conservée jusqu'à utilisation.

Où et quand l'appliquer ?

Les traitements lactofermentés sont plus efficaces s’ils sont appliqués au sol en priorité. Ils augmentent la porosité du sol, améliore la quantité de bactéries, améliore la capacité des végétaux à résister au stress hydrique, etc. L’application sur les plantes est bien sûr possible : elle permet à la plante de mieux résister aux ravageurs et aux maladies, a un effet fertilisant, augmente le système racinaire et permet une meilleure reprise. Il est recommandé d’appliquer les solutions lactofermentées au sol au printemps et à l’automne, lorsque la température du sol est supérieure à 10 degrés, avant la pluie ou avec la rosée du matin (humidité nécessaire). Des essais menés en viticulture avec une litière forestière fermentée (lifofer) ont montré une amélioration de la qualité du raisin. Attention toutefois à ne pas appliquer directement la solution sur les bourgeons qui peuvent être fragiles. Notez également que les solutions lactofermentées ne sont pas compatibles avec les traitements phytosanitaires. Pour lier les deux, il faut commencer par traiter avec les traitements phytosanitaires, puis 8 à 10 jours plus tard, traiter avec la préparation lactofermentées.

Milène Souvignet, agronome et consultante indépendante autour de l'eau structurée et des techniques de mesures de potentiel redox en agriculture. ©AAA_PDeDeus