INTERVIEW
Fruits : « Une cartographie des risques pour réagir avant d’être dans le mur »

Propos recueillis par Christophe Ledoux
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À quelques jours du 75e congrès de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF) organisé dans la Drôme, sa présidente, Françoise Roch, nous explique comment sa fédération agit pour répondre aux problématiques des arboriculteurs.

Fruits : « Une cartographie des risques pour réagir avant d’être dans le mur »
Françoise Roch.

Dans quel contexte s’inscrit le prochain congrès de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), organisé du 15 au 17 février à Valence ?

Françoise Roch : « Le contexte est tendu car bousculé par une multitude de dossiers, en particulier les sinistres climatiques exceptionnels de l’an dernier et des injonctions sociétales toujours plus fortes. Une minorité d’écologistes fait croire à la population que les paysans sont des pollueurs. Or les producteurs, parmi lesquels les arboriculteurs, font énormément d’efforts pour préserver l’environnement, et ce sans retour économique probant. Nous sommes dans une société qui demande toujours plus au point de mettre nos fermes dans des impasses. Les élus prennent des décisions sur du court terme alors que nous sommes dans une production où les investissements se raisonnent à long terme. Nous perdons ainsi de la visibilité. La loi Agec(1) qui met fin aux emballages plastiques a été votée sans réelle concertation. Les ZNT nous laissent dans une impasse sur le devenir de ces zones non traitées. Quant au plan pollinisateur adopté dans la précipitation, nous avons échappé au pire en réagissant très vite et très fortement auprès du gouvernement. »

Est-ce à dire que les arboriculteurs font face à une prise de risque grandissante ?

F. R. : « Tout à fait et c’est la raison pour laquelle le conseil d’administration de la FNPF a décidé d’établir une cartographie des risques, qu’ils soient économiques, géopolitiques, climatiques, sociaux, environnementaux… Nous avons missionné un cabinet qui, habituellement, travaille avec le monde de l’industrie. Les résultats de cette étude seront présentés lors du congrès. L’idée est d’être davantage proactif et moins misérabiliste face aux risques, comme l’est le secteur de l’industrie. C’est-à-dire anticiper et ne pas attendre d’être dans le mur pour réagir. »

Pour nombre d’arboriculteurs, la pénurie de main-d’œuvre est actuellement citée comme un risque majeur qui entrave le développement des exploitations. Que fait la FNPF pour atténuer ce risque ?

F. R. : « C’est en effet un des risques forts du métier. À la FNPF, nous avons d’abord agi pour obtenir le maintien du dispositif TODE(2), qui permet de baisser les charges sur les emplois saisonniers et d’être ainsi moins en décalage avec d’autres pays de l’Union européenne. Comme il est difficile de fidéliser de la main-d’œuvre européenne, nous recherchons des pistes sur la main-d’œuvre étrangère, tant avec les réfugiés politiques bénéficiant du droit d’asile qu’avec les contrats Ofii(3). Sur ce dernier point, nous poussons le gouvernement à passer des accords avec les pays du Maghreb afin de sécuriser sur le long terme la venue de salariés du Maroc et de Tunisie. Par ailleurs, sur l’emploi des permanents, nous travaillons sur la formation avec la création de certificats de qualification professionnelle (CQP). La Drôme a d’ailleurs inauguré le CQP agent arboricole. Enfin, nous sommes très investis au sein du CTIFL(4) pour faire avancer la robotisation. Où en serait la viticulture si, dans les années 1980, il n’y avait pas eu la machine à vendanger ? Notre recherche doit avancer sur les machines à récolter les fruits. »

Les distorsions de concurrence pèsent sur la compétitivité des exploitations françaises. Pensez-vous que les clauses miroirs que défend la France au sein de l’Union européenne (UE) soient une solution pour les résorber ?

F. R. : « Si la France va trop loin dans la réduction des produits phytosanitaires, nous ne pourrons plus produire. Dans ce cas, les clauses miroirs - qui imposeraient réciproquement les mêmes normes sanitaires et environnementales sur les biens échangés entre pays - ne serviraient à rien. Il faut donc d’abord agir chez nous pour préserver les productions et donc les producteurs. »

Comment ?

F. R. : « La France ne doit pas interdire le recours à des matières actives tant qu’il n’y a pas d’alternative. Or, aujourd’hui, tout est mis en œuvre pour interdire car on confond risque et danger. Si un produit est avéré dangereux, il faut en arrêter sa commercialisation. Mais si un produit est jugé à risque, alors au lieu de l’interdire on devrait plutôt chercher à se protéger du risque. Le ministre de l’Agriculture vient de proposer la création d’un poste dans ce sens, avec une recherche de solutions en lien avec la technologie. C’est bien mais l’échéance est à vingt ans. Entretemps, je le répète, il faut arrêter d’interdire en l’absence d’alternative crédible. »

La recherche est importante et votre congrès consacrera une matinée à visiter la Station expérimentale fruits Rhône-Alpes (Sefra). Comment réagissez-vous au manque de moyens de ces outils ?

F. R. : « La FNPF et son réseau mettent en permanence la pression au niveau de l’État, des Régions, des Départements afin d’obtenir des moyens financiers importants pour la recherche fruitière. Nous poussons aussi les interactions entre le CTIFL et les stations expérimentales afin d’éviter les doublons dans les programmes et être au plus près des besoins des producteurs. Le plan France 2030 est un axe important pour mobiliser des ressources, nous l’avons redit au ministre de l’Agriculture. Les recherches sur les nouvelles techniques de sélection (NBT) menées par l’Inrae, celles sur la robotique par le CTIFL sont complémentaires. Nous insistons aussi sur la surveillance sanitaire afin de reconstruire un modèle de financement. Comme elle l’avait fait avec le Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental (FMSE), la FNPF prône une initiative similaire pour faire face au désengagement de l’État. »

À quelques jours du congrès FNPF, quel message adressez-vous aux arboriculteurs ?

F. R. : « D’abord, je voudrais leur indiquer la venue à notre congrès du député Frédéric Descrozaille, auteur du rapport sur la réforme de l’assurance récolte qui a inspiré le gouvernement pour son projet de loi. La FNPF sera très attentive aux décrets qui suivront la loi afin qu’ils soient en phase avec les besoins des arboriculteurs. Aujourd’hui, seuls 5 % sont assurés. Le nouveau système devra être accessible à tous. Ensuite, je souhaite rappeler la force du collectif, sachant que la FNPF est le seul syndicat à représenter les arboriculteurs en France. Être fort ensemble permet et permettra de faire avancer les dossiers. »

(1) Loi Agec : loi anti-gaspillage et économie circulaire.
(2) TODE : travailleur occasionnel demandeur d’emploi.
(3) Ofii : Office français de l'immigration et intégration.
(4) CTIFL : Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes.

Qui est Françoise Roch ?

Exploitante à Moissac (Tarn-et-Garonne), Françoise Roch et ses deux associés non familiaux (Gaec de Labarthe) produisent des raisins de table (AOP Chasselas Moissac), des prunes et des pommes, ces trois espèces étant équitablement réparties sur 18 hectares. Ancienne conseillère dans un groupement de producteurs, Françoise Roch s’est installée en 1994. Pendant quinze ans, le Gaec a fonctionné à deux associés, le troisième est arrivé en 2008 (réunion de deux fermes distantes de quatre kilomètres). Tous les volumes sont vendus en coopérative, un choix assumé par les associés qui souhaitent se concentrer sur la production et limiter les risques financiers (la faillite d’un expéditeur a laissé des traces douloureuses).

De 2001 à 2021, Françoise Roch a présidé la coopérative Quercy Soleil (Moissac). Elle est devenue administratrice de la FNPF pour le Tarn-et-Garonne en 2015. En 2020, elle a été élue présidente de la FNPF. « L’arrivée d’un troisième associé sur notre exploitation a permis cet engagement, confie Françoise Roch. Pour éviter tout malentendu au sein de la FNPF, j’ai arrêté la présidence de ma coopérative afin de représenter l’arboriculture quels que soient les systèmes de production et de commercialisation. »

C. L.