INTERVIEW
Régis Aubenas : « La charge mentale des producteurs est forte »

Propos recueillis par Christophe Ledoux
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Régis Aubenas préside la section fruits de la FDSEA de la Drôme. Il livre sa réflexion sur les défis et atouts de la filière arboricole locale.

Régis Aubenas : « La charge mentale des producteurs est forte »
« Nous avons besoin de prix pour passer les hausses de nos coûts de production », souligne Régis Aubenas, président de la section fruits de la FDSEA Drôme.

Quels sont, selon vous, les défis auxquels est confrontée la filière arboricole locale ?

Régis Aubenas : « J’en citerais quatre : les ressources humaines, le changement climatique, les phytos et le marché. En matière de ressources humaines, outre le renouvellement des générations chez les arboriculteurs, nous avons estimé que dans les dix ans à venir, sur la Drôme, près de mille permanents seront à remplacer. L’attractivité de notre métier est un enjeu sur lequel nous travaillons déjà avec, entre autres, la FDSEA, la chambre d’agriculture et l’Adefa(1). S’ajoute la difficulté récurrente à trouver de la main-d’œuvre saisonnière. »

Qu’en est-il du changement climatique ?

R. A. : « D’après les projections de la chambre d’agriculture à cinquante ans, la moyenne Vallée du Rhône serait le territoire le plus impacté par le changement climatique. En 2070, nous aurions le climat de la Sicile ! L’échéance peut paraître encore lointaine, en fait elle est toute proche. Déjà depuis plusieurs années, certains territoires sont restés sans récolte. Entre aujourd’hui et 2070, nous devons traverser une phase transitoire et résister en adaptant et protégeant nos vergers des risques climatiques, en optimisant l’eau pour produire autant mais avec moins de ressource. Grâce au travail syndical, la Région Auvergne-Rhône-Alpes et le Département de la Drôme accompagnent fortement la filière arboricole dans ses adaptations. Cela se poursuivra avec la programmation Feader(2) 2023-2027 dont l’axe majeur est le climat. »

Que pensez-vous de la suppression de matières actives phytosanitaires ?

R. A. : « Ce que je pense, c’est qu’il ne faut pas vider l'armoire à pharmacie sans solution de rechange efficace sous peine d’impasses pouvant conduire à l’abandon de certaines espèces, comme la cerise. On peut produire des précoces, la mouche n'est pas encore présente pour faire des dégâts, mais c'est fini pour la seconde partie de saison, la plus rémunératrice, sauf à installer des filets insectproof. Dans ce cas, le ticket d'entrée est à 100 000 euros l’hectare, donc pas à la portée de tous. Et quand bien même, le temps d'entrée en production ne permettra pas de faire le joint entre les deux. La cerise française pourrait donc bien devenir un produit de luxe face à celles provenant de Turquie ou d’autres pays des Balkans. »

Pensez-vous que les clauses miroirs sont une solution pour éviter les distorsions de concurrence ?

R. A. : « Je ne crois pas aux clauses miroirs, c'est compliqué d'un point de vue géopolitique et vis-à-vis de l’Organisation mondiale du commerce. »

L’état des marchés vous inquiète ?

R. A. : « Depuis trois à quatre ans, sur l’ensemble de nos espèces fruitières, les marchés sont plutôt détendus en raison d’une offre basse liée aux sinistres climatiques exceptionnels que nous avons connus. Qu’en sera-t-il en année de production normale sachant que la consommation des fruits et légumes en ce début d’année est en berne et que les tensions sur les prix à la consommation sont fortes ? Je ne suis pas serein. A la production, les fondamentaux sont bons - la montée en gamme a été faite avec plus de bio, de démarches tracées - mais la question du prix au détail reste posée. Nous avons besoin de prix pour surmonter les fortes augmentations de nos coûts de production. Je ne suis pas sûr que nous soyons suffisamment armés pour passer ces hausses. »

La pression sociétale est forte aussi. Pensez-vous que les consommateurs soient prêts à payer leur demande d’exigence ?

R. A. : « Effectivement, nous devons aussi gérer les injonctions liées aux demandes sociétales, souvent paradoxales, le tout avec des prix serrés. Un exemple : on nous a dit de produire plus de bio et aujourd’hui la valeur de l’offre bio est dégradée avec une demande qui ne suit pas. Ajouté aux transitions climatiques et agroécologiques, cela impose aux exploitations agricoles des capacités d’adaptation fortes et davantage de capitaux à mobiliser, ce qui d’ailleurs peut avoir un impact sur les transmissions. Pour les producteurs, la charge mentale est si forte que certains se posent la question de jeter l’éponge. »

Le dernier recensement agricole montre une quasi-stabilité du verger drômois depuis 2010. Les arboriculteurs semblent donc plutôt bien tenir le coup, n’est-ce pas ?

R. A. : « Nous avons des raisons d’espérer car notre territoire est hyper bien positionné en matière de logistique routière. De plus, malgré le changement climatique, nos ressources en eau sont encore assez abondantes. Et puis, notre recherche locale est forte et nous avons des moyens pour rénover, protéger et moderniser nos vergers et outils de travail. Nous sommes d’ailleurs la seule région à avoir autant. Enfin, et c’est sans doute le plus encourageant, nous avons beaucoup de jeunes motivés et bien formés avec un niveau d’analyse élevé. Ils sont plus ouverts et disponibles que nous l’étions dix ans en arrière. Un autre point positif est le plébiscite des consommateurs pour l’origine France, avant même le mode de production. Comme l’indique une récente enquête d’Interfel(3), les Français font confiance aux producteurs. »

(1) Adefa : Association départementale emploi formation en agriculture.
(2) Feader : fonds européen agricole pour le développement rural.
(3) Interfel : Interprofession de la filière fruits et légumes frais.