FORÊT-BOIS
Pour une gestion forestière adaptée au changement climatique

Marine Martin
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Les forestiers privés de l’Ardèche (Fransylva 07) se sont réunis lors de leur assemblée générale, vendredi 20 septembre à Privas. Le thème choisi pour être à l’ordre du jour était l’adaptation au changement climatique des forêts privées.

 

Pour une gestion forestière adaptée au changement climatique
De gauche à droite, les membres du conseil d'administration : Marc-Henri Bouchet, Christian Pascal, Hervé Chappat, Gérard Chaurand et Denis Blanchard . ©AAA_MM

La forêt ardéchoise, c’est d’abord 57 % du territoire, 90 % de propriétaires privés (49 000 propriétaires pour 264 000 hectares) et 10 % de forêts gérées par le domaine public. Avec ses 1 376 adhérents pour une surface totale de 30 800 ha, Fransylva Ardèche représente le plus important regroupement de propriétaires forestiers.

La sylviculture mélangée à couvert continu (SMCC) pour l’avenir

L’heure n’est plus uniquement à la productivité, mais à une gestion mettant en valeur une diversité des essences pour un meilleur fonctionnement des écosystèmes. Paul, gérant d’un groupement forestier à Saint-Cirgues-en-Montagne, venu assister à l’assemblée générale, se remémore : « Dans les années 1960-1970, l’objectif était de produire du bois résineux. On a remplacé le hêtre par de l’épicéa, avec l’idée que le pétrole allait supplanter le bois, et on pratiquait des coupes rases et la monoculture. Aujourd’hui, on remet en question cette gestion et on replante des feuillus. »

Devant une assemblée de propriétaires forestiers, témoins du changement climatique entraînant parfois un dépérissement de leur forêt, Stéphane Grulois, ingénieur au CRPF, a presenté les résultats d’un travail mené sur 400 peuplements et 23 essences principales, afin d’orienter et d’informer au mieux les propriétaires forestiers. Il a souligné l’importance « d’une gestion forestière multifonctionnelle, en complexifiant les écosystèmes en combinant production de bois, maintien d’une ambiance forestière favorable à la biodiversité et préservation des paysages ». Le dépérissement de certaines essences, comme le sapin et l’épicéa, est en partie dû aux pratiques de gestion passées et aux conditions climatiques changeantes, notamment l’augmentation des températures et les sécheresses prolongées. « Les propriétaires ont désormais deux options : la monoculture, plus risquée face aux aléas climatiques, mais offrant des revenus conséquents tous les  20 ans pour les peupliers, à 100 ans pour les chênes », explique le président de Fransylva 07, Marc-Henri Bouchet, « ou la sylviculture mélangée à couvert continu (SMCC), qui permet des revenus plus faibles mais réguliers réguliers, tous les 10 à 15 ans et une meilleure résilience des forêts ». En Ardèche, des espèces comme le cèdre de l’Atlas, le pin Laricio et le chêne rouge d’Amérique montrent un intérêt confirmé. Des fiches techniques ont été développées pour guider les propriétaires.

Une gestion multifonctionnelle

L’appui des aides publiques et privées aux opérations sylvicoles permet de faciliter cette transition vers une gestion durable et multifonctionnelle. Preuve que le changement de paradigme s’opère, les cabinets de gestions forestières proposent une remise en question de la gestion forestière à leurs clients. Olivier Allagnat, gestionnaire forestier, présente un projet d’expérimentation mené par son cabinet de gestion forestière. « Par exemple, sur une forêt de 600 ha près du Cheylard, notre approche consiste à convertir une futaie régulière de Douglas en futaie irrégulière. » Le cabinet prend en compte tous les indicateurs pour proposer des itinéraires sylvicoles adaptés aux propriétaires forestiers, allant des options les plus risquées aux plus sûres (conversion en futaie irrégulière mélangée avec des essences mieux adaptées).

L’après-midi de cette journée s’est vu consacré aux différentes aides qui existent, afin de guider au mieux les propriétaires forestiers privés dans ce « maquis d’aides » (voir ci-contre).

M.M.

GESTION FORESTIÈRE

Simplifier les démarches pour les propriétaires

Un simulateur et des dispositifs pour aider les propriétaires à naviguer parmi les aides

Neosylva, une nouvelle façon d’envisager la gestion forestière

Cette société affirme apporter de la valeur à la forêt en proposant aux propriétaires forestiers des solutions de financement et de gestion à long terme, tels que des baux forestiers de longue durée, afin de valoriser les petites parcelles (à partir de 2 ha). Un contrat est signé entre le propriétaire et Neosylva, qui prend en charge la gestion forestière. « Neosylva ne facture pas de frais de gestion, mais se rémunère à hauteur de 50 % des recettes futures liées à l’exploitation du bois, en partage avec le propriétaire », explique Cedric Mimran, ingénieur forestier de la société Néosylva. Lors de la présentation de cette nouvelle offre, de nombreuses questions surgissent dans la salle. Les propriétaires expriment leurs inquiétudes, craignant de ne plus pouvoir se retirer du projet ou de perdre leurs droits de chasse. « Le propriétaire conserve la jouissance de ses terres et de ses usages. Il est régulièrement informé des opérations effectuées », rassure l’ingénieur. Une question sur la vente des terrains émerge dans l’assemblée : « En cas de vente, l’acheteur est informé en connaissance de cause », précise Cédric Mimran.

Le label Bas Carbone pour l’avenir des forêts

Les forêts françaises capturent environ 15 % des émissions nationales de carbone. Le label Bas Carbone encourage les projets de plantation sur des terres non forestières, avec des bénéfices pour la biodiversité, la préservation de l’eau, la protection des sols, et des retombées socio-économiques positives. Ceux qui peuvent y contribuer peuvent être des entreprises, des établissements publics, des collectivités ou des particuliers dans le cadre d’une démarche de développement durable. Le label Bas Carbone, initié par le ministère de la Transition écologique, certifie les projets visant à compenser par absorption par la forêt des émissions de carbone en France. Son objectif est de faciliter le financement de projets respectueux du climat en mesurant précisément leur impact. Il existe trois types de projets forestiers soutenus par ce label : Le boisement de terres non forestières (friches, terres agricoles), la reconstitution de forêts dégradées par des événements climatiques et la gestion de taillis, en sélectionnant les arbres qui produiront du bois d’œuvre. Chaque projet fait l’objet d’une évaluation carbone, basée sur des données de terrain et des études scientifiques. La capacité des arbres à séquestrer du CO₂ sur les 30 premières années détermine la quantité de carbone valorisable.

Un simulateur pour s’y retrouver dans un « maquis d’aides »

Fransylva a développé un simulateur pour aider les propriétaires forestiers à s’y retrouver dans le « maquis » des aides disponibles. Ce simulateur, créé en collaboration avec des partenaires tels que l’ONF, le CRPF et des coopératives, offre une vision globale des différents dispositifs. Disponible sur le site de Fransylva, il répond à la difficulté de naviguer entre les aides régionales, nationales, départementales, publiques et privées. Lucas Ellens, de Fransylva Service, explique que parmi 200 propriétaires interrogés dans le cadre de la construction de ce simulateur, moins de la moitié a demandé des aides en raison de la complexité et des lourdeurs administratives. Pourtant, la plupart des aides sont cumulables. Le simulateur recense actuellement 34 aides et 171 dispositifs différents, régulièrement mis à jour. En une dizaine de minutes, avec des filtres adaptés, il permet d’obtenir des informations claires et simplifiées.

M.M.

ÉCONOMIE

Quid du marché du bois en Ardèche

Patrick Desormeaux, président du syndicat des exploitants forestiers et des scieurs de l’Ardèche (SEFSA) et vice-président de Fibois 07-26 a abordé le marché du bois au niveau du département : « Le prix à l’achat se maintient, mais la conjoncture actuelle est morose ». Selon lui, il y a plusieurs facteurs à cela : « l’incertitude politique et bancaire, l’immobilier en chute libre, le manque d’investissement, etc. Puisqu’il n’y a pas d’achat, même le secteur de la rénovation va connaître une baisse » constate-t-il. Mais pour le moment, les artisans ont encore du « travail à venir » et le marché local n’est pas en proie à la concurrence par les gros scieurs, puisque ceux-ci se tournent davantage vers « les marchés à l’export ».

ILS ONT DIT /

« Valoriser le bois local et renforcer l’attractivité »

Matthieu Salel, vice-président en charge de l’agriculture au Département, a réaffirmé l’engagement du Département en faveur de la filière Forêt Bois, en rappelant le Plan Départemental 2024-2028, structuré autour de deux volets : la gestion et la valorisation des forêts, ainsi que la protection et l’adaptation au changement climatique. Il a également souligné l’existence de dispositifs d’aides pour accompagner la filière afin de « valoriser le bois local et renforcer l’attractivité. La forêt s’accroît chaque année, et le volume de bois exploité est bien inférieur à la croissance de la forêt ».

Jean-Pierre Graule, directeur de la DDT, représentant les services de l’État, a rappelé la spécificité de l’Ardèche, où l’exploitation forestière est freinée par le morcellement des parcelles, le relief et l’accessibilité limitée : « L’exploitation ne représente que 15 %, il y a un travail à faire pour mieux exploiter cette ressource », a-t-il précisé. Il a également évoqué plusieurs défis à relever : le regroupement de nombreux petits propriétaires, l’adaptation au changement climatique avec la menace croissante des incendies, et la nécessité de sensibiliser le public à l’importance de la forêt, ainsi qu’à « l’acceptation des coupes rases, parfois indispensables ». Enfin, il a mentionné les aides publiques disponibles, avec la réouverture du guichet pour le renouvellement forestier, visant à planter un milliard d’arbres pour renouveler 10 % des forêts.

Exemple de chêne rouge d'Amérique planté à plus de 1 000 mètres d'altitude dans le cadre d'une forêt qui se diversifie (SMCC). ©AAA-MM.
De nombreux propriétaires forestiers ont participé à l'assemblée générale de Fransylva. « Il est essentiel de rester informé, en particulier sur les textes législatifs qui se multiplient avec les enjeux liés au changement climatique », témoigne Yvette, propriétaire de 11 hectares de forêts en montagne ardéchoise. ©AAA_MM

La forêt, gardienne de l'histoire familiale et coffre-fort de toute une génération

Si la façon de percevoir la forêt évolue pour de nombreux Ardéchois, elle reste un pilier du patrimoine familial, historique et économique. Cela fait 180 ans que la forêt d’Yvette sur la montagne ardéchoise est témoin de l’histoire de la famille. « Nous la parcourons au moins une fois par an, il y a un lien sentimental avec cette forêt. Elle a servi de charbonnière pendant la guerre et fournissait le chauffage. » Mais la forêt n’avait pas seulement cette fonction : pour de nombreuses familles rurales, elle était un véritable coffre-fort en cas de coup dur. « La forêt était comme un livret de caisse d’épargne. » Aujourd’hui, la forêt familiale est en « cours de vente, les enfants ne sont pas intéressés ». Pourtant, que la montagne est belle, pour reprendre les paroles de Jean Ferrat.