VISITES DE TERRAIN
En quête de stratégie et de visibilité

Anaïs Lévêque
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VISITES DE TERRAIN / En poste à la direction de la DDT depuis début octobre, Jean-Pierre Graule n'imaginait pas découvrir « tant de variétés d'agriculture en Ardèche », à l'issue des visites de terrain organisées le 2 décembre par la FDSEA et les JA. Direction le piémont ardéchois et les pentes du Haut Vivarais !

En quête de stratégie et de visibilité
Au Gaec Chèvrerie de Chomaise à Préaux, il devient de plus en plus difficile pour Jean-Philippe et Rolande Fourel de concilier efficacité technique et économique sur les rations hivernales du troupeau.

Mercredi 2 décembre, la FDSEA et Jeunes agriculteurs (JA) Ardèche ont souhaité présenter les dynamiques portées par l'agriculture ardéchoise et ses contraintes au nouveau directeur de la DDT, Jean-Pierre Graule, en poste depuis début octobre. Des visites de terrain ont été organisées en matinée dans le nord du département, notamment à la Chèvrerie de Chomaise à Préaux. Réunis en Gaec, Jean-Philippe et Rolande Fourel y élèvent 168 chèvres laitières de race alpine sur 65 hectares de SAU. Une exploitation « vertueuse » parmi tant d'autres, ont souligné les élus syndicaux, qui valorise une spécialité ardéchoise en lait de chèvre : le Caillé doux de Saint-Félicien !

Une autonomie fourragère mise à mal par la sécheresse

Chaque année, 130 000 litres de lait sont produits par la Chèvrerie de la Chomaise, dont 70 000 l sont transformés par la laiterie de Saint-Félicien située à une dizaine de kilomètres, le reste sur l'exploitation. Les fromages sont commercialisés en circuits courts et bénéficient d'une bonne valorisation. Mais depuis quelques années, il devient de plus en plus difficile de concilier efficacité technique et efficacité économique sur les rations hivernales du troupeau. « Chaque année, la sécheresse s'accentue et nous oblige à acheter du fourrage. En 2020, elle a été plus marquée que les années précédentes », a rappelé Jean-Philippe Fourel. Cette année, il a dû acheter 60 tonnes de fourrage pour assurer l'alimentation de ses chèvres. « L'hiver a été doux, le mois d'avril très chaud et sec, et nous sommes exposés sud ici, donc la végétation part très vite. » Il produit en moyenne 1,7 t / ha de matière sèche, contre 4 à 5 t / ha au début des années 2000. « Aujourd'hui, nous arrivons à faire un déprimage de-ci de-là, les chèvres sortent un petit peu mais la plupart du temps elles sont nourries à l'intérieur. » Au fur et à mesure des années de sécheresse, la qualité des prairies et du fourrage se dégradent, ajoute-t-il, posant de très sérieuses inquiétudes sur les potentielles pertes à venir.

L'irrigation au cœur des enjeux à venir

Ce manque de fourrage pose indéniablement le sujet de l'irrigation au cœur des enjeux à venir, a souligné le président de la Chambre, Benoit Claret : « L'autonomie et la qualité fourragère étaient le socle des exploitations, en permettant d'équilibrer les coûts de ration, de bien valoriser des productions qui, liées à des AOP, réclament une autonomie fourragère concentrique, et de bénéficier de bons critères environnementaux. Nous avons été très bons sur ces choses-là, mais aujourd'hui tout se dérègle... Nous devons trouver une véritable stratégie qui donne de la visibilité aux agriculteurs, potentiels repreneurs et futurs exploitants ». Ce besoin en eau touche toutes les filières, a rappelé la présidente de la FDSEA, Christel Cesana, qui ont besoin de sécuriser leurs productions et de nouvelles méthodes pour s'adapter au changement climatique. Parmi ces méthodes, figure « la pertinence de récupérer une partie du ruissellement excédentaire pour le stocker en perspective d'une utilisation ultérieure ».

Pour une politique « raisonnée » de l'utilisation de l'eau

À Préaux, la Chèvrerie de Chomaise réfléchit en effet à la création d'un lac collinaire en amont de l'exploitation afin d'alimenter en eau et de façon gravitaire une partie de ses prairies. Un tel projet reste encore très difficile à mettre en œuvre malgré les atouts topographiques dont dispose cette exploitation, et la qualité de son système de production. 

Plusieurs démarches initiées par la Chambre d'agriculture sont mises en place afin de coconstruire une politique « raisonnée » de l'utilisation de l'eau et faire face aux difficultés rencontrées lors de la réalisation de projets de retenues de stockage à usage agricole ou de modification de retenues existantes, qu'elles soient réglementaires ou administratives. Depuis l'automne 2020, un protocole a été signé entre la Chambre, la préfecture, les délégations locales de l'Agence de l'Eau Rhône Méditerranée Corse et Loire Bretagne, le conseil régional, le conseil départemental et l'Office français de la biodiversité. L'un des objectifs de ce protocole vise à définir les conditions permettant de conduire des projets de retenues et de mobilisation de ressources de substitution par transfert tout en conciliant les enjeux environnementaux et économiques. Ainsi, les agriculteurs connaitront plus précisément les modalités expliquant la validité ou non de tels projets. Le second objectif a pour ambition d'inscrire la création de nouvelles retenues de stockage à usage agricole ou de nouveaux transferts/modification de retenues existantes dans une logique de développement durable, en conciliant enjeux agricoles et enjeux environnementaux des milieux aquatiques présents. Une inscription qui permettrait de dynamiser les solutions à apporter sur ces différents enjeux. 

« Avancer au cas par cas »

Les agriculteurs ont besoin de réponses et de retrouver du moral sur le terrain, a indiqué Benoit Claret. « Nous devons impulser une politique d'accompagnement par l'eau dans certains secteurs agricoles, là où les exploitations en ont le plus besoin ». Un appel repris par le directeur de la DDT, Jean-Pierre Graule, qui a rappelé la complexité des procédures liées aux bassins versants situés en amont des cours d'eau. « Il faut trouver le bon équilibre sur l'ensemble du territoire en tenant compte de l'ensemble des enjeux », a-t-il indiqué, qu'ils soient liés à la volumétrie ou à l'adaptation des territoires. « Il faut avancer au cas par cas. L'idée est d'arriver à faire sur le terrain, pas de débattre sur des sujets nationaux. »

Anaïs Lévêque

La Chèvrerie de la Chomaise élève 168 chèvres laitières sur 65 hectares de SAU. En 2020, l'achat de 60 tonnes de fourrage a été nécessaire pour assurer l'alimentation du troupeau

La Chèvrerie de la Chomaise élève 168 chèvres laitières sur 65 hectares de SAU. En 2020, l'achat de 60 tonnes de fourrage a été nécessaire pour assurer l'alimentation du troupeau
La Chèvrerie de la Chomaise élève 168 chèvres laitières sur 65 hectares de SAU. En 2020, l'achat de 60 tonnes de fourrage a été nécessaire pour assurer l'alimentation du troupeau.

LE CHIFFRE / 0,3 %

C'est le taux pluviométrique stocké aujourd'hui dans le département de l'Ardèche sur 130 000 hectares de SAU, a indiqué Sylvain Bertrand, élu à la Chambre, « dont 2 % sur la vallée du Doux ».

« Il faut trouver des alternatives »

« Il faut trouver des alternatives »

ARBORICULTURE / En fin de matinée, le directeur de la DDT s'est rendu sur l'exploitation arboricole d'Emmanuel Sapet à Colombier-le-Vieux. Un secteur de forte pente où les conditions de travail et d'entretien des parcelles, mais aussi la sécurité des professionnels, sont particulièrement difficiles. 

Malgré les difficultés de travail sur des parcelles situées en forte pente, de nombreux agriculteurs sont présents à Colombier-le-Vieux (105 sur 600 ha de SAU). Ici aussi, l'eau est essentielle pour pérenniser une activité agricole. L'irrigation y a été développée dès les années 1970. 

Sur 22 hectares, les vergers d'Emmanuel Sapet situés en forte pente produisent en moyenne 60 tonnes de cerise et 200 tonnes d'abricot chaque année. Il dispose de 1 700 m3 d'eau / ha grâce au regroupement de lacs sur la commune, sachant qu'au moins 2 500 m3 / ha seraient nécessaires face à la sécheresse subie ces trois dernières années. « Sans ce système d'irrigation, je n'aurai pas pu ramasser d'abricots cette année », assure-t-il. « Nous économisons au maximum, nous ne consommons pas beaucoup, mais il n'y a que des sols graveleux ici et les années sont de plus en plus arides, ce qui pose des problèmes de production, de mortalité des arbres et de rendements », explique-t-il. 

« L'irrigation permet aussi de diversifier les productions et de rebondir, d'évoluer vers d'autres cultures si l'une d'entre elles ne fonctionne pas », ajoute Aurélien Soubeyrand, président de la fédération départementale des producteurs de fruits (FDPF). « C'est la base pour créer de la valeur ajoutée sur nos productions, et donc de l'emploi et du développement économique sur un territoire. »

« L'irrigation n'est pas la seule solution pour sécuriser les productions », ajoute la présidente de la FDSEA, Christel Cesana, évoquant les systèmes de protection par filets, par aspersion, mais aussi les méthodes de traitements. Sur ces parcelles en pente, le désherbage mécanique est « compliqué » car il ne faut surtout pas abimer les sols en grattant la terre. Pour autant, « il faut pouvoir maintenir les terrasses désherbées pour les protéger des ravageurs », prévient Emmanuel Sapet. « Des solutions doivent être trouvées rapidement pour maintenir ces productions et leur permettre de faire face à la concurrence étrangère qui, elle, continue d'utiliser des traitements qui nous sont interdits », ajoute Christel Cesana. « Il faut aussi s'améliorer, trouver des alternatives, comme celle expérimentée par la Chambre sur les traitements par drone des vignes en forte pente (voir ci-contre) et continuer d'aller dans le bon sens ! »

A.L.

1. Association syndicale autorisée.

Sur les vergers d'Emmanuel Sapet situés en forte pente, les conditions de travail et d'entretien des parcelles sont particulièrement difficiles

Sur les vergers d'Emmanuel Sapet situés en forte pente, les conditions de travail et d'entretien des parcelles sont particulièrement difficiles
Sur les vergers d'Emmanuel Sapet situés en forte pente, les conditions de travail et d'entretien des parcelles sont particulièrement difficiles.
VIGNOBLE DE FORTE PENTE / Des essais d'épandage par drone

VIGNOBLE DE FORTE PENTE / Des essais d'épandage par drone

Lors de ces visites de terrain, l'expérimentation de traitement par drone des vignes situées en forte pente, portée par la Chambre d'agriculture de l'Ardèche en partenariat avec l'Institut français de la vigne et du vin (IFV) et la MSA, a été présentée au directeur de la DDT. Une démarche innovante visant à répondre aux difficultés de travail et à la sécurité des viticulteurs sur les coteaux, pour qui les traitements sont réalisés avec des pulvérisateurs à dos et canons oscillants. Comme l'a rappelé Amandine Fauriat, technicienne viticulture à la Chambre, l'objectif de cette expérimentation est double. Elle vise également à « améliorer la précision et la régularité des traitements, et ainsi réduire la dose de produit phytosanitaire appliquée et limiter leur dérive vers l'environnement ». Dans le cadre de ce projet expérimental, des essais dérogatoires ont été réalisés en 2020 sur des parcelles situées en pente, à plus de 30 %, à Cornas et à Saint-Jean-de-Muzols. « Nous n'avons pas forcément observé de grandes différences entre un traitement avec des pulvérisateurs à dos et un autre par drone », a-t-elle indiqué. « Nous espérons pouvoir continuer d’expérimenter d'autres solutions alternatives de ce type. Il y a de grands besoins dans cette filière. »

Jean-Pierre Graule, directeur de la DDT

Jean-Pierre Graule, directeur de la DDT
Jean-Pierre Graule, directeur de la DDT.