TÉMOIGNAGES
L’agriculture au féminin : paroles d’Ardéchoises

Mylène Coste
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« Agricultrice ». Le mot n'est apparu dans le Larousse qu'en 1961. C'est dire le chemin parcouru ! Si les femmes ont toujours été présentes dans les exploitations, leur rôle et le regard porté sur elles ont beaucoup évolué. Comment perçoivent-elles aujourd’hui leur place au sein du monde agricole ? 

L’agriculture au féminin : paroles d’Ardéchoises
Les femmes représentent 22 % des chef(fes) d'exploitation en Ardèche.
« On me demande souvent : « puis-je parler à Monsieur ? » »
Christel Cesana

« On me demande souvent : « puis-je parler à Monsieur ? » »

Christel Cesana, arboricultrice et vigneronne à Orgnac-l’Aven, présidente de la FDSEA et de la cave coopérative d'Orgnac-l'Aven.

« J’ai repris l’exploitation de mon père, ce qui s’est fait de manière assez naturelle puisque c’était mon souhait depuis toute petite, et que je n’avais pas de frères. Lorsque j’ai effectué mon Bac pro agricole  à Aubenas, nous n’étions que trois filles, quatre seulement en BTS oeno-viti à Montpellier ! Aujourd’hui, les filles sont beaucoup plus représentées dans les cursus agricoles et c’est une bonne chose. Il est vrai que les femmes sont moins présentes dans les organisations professionnelles agricoles (OPA) et syndicats : selon moi, ce n’est pas dû à des freins que nous mettraient les hommes, mais plutôt au poids des mœurs et à une autocensure que s’imposent les femmes elles-mêmes. En effet, lorsqu’on élève des enfants, on culpabilise davantage qu’un homme à s’absenter de la maison, et c’est dommage ! Moi-même, j’ai pris des responsabilités syndicales assez tardivement, une fois mes enfants élevés. Pour le reste, je n’ai jamais senti de barrières de la part de mes confrères. Au début, il a bien sûr fallu faire mes preuves, mais c’est la même chose pour un homme ! Par ailleurs, je crois que dès lors qu’on ne se pose pas la question, nos interlocuteurs en face ne se la posent pas non plus. Toutefois, il m’arrive souvent de recevoir des coups de fil de commerciaux ou conseillers qui me demandent : « puis-je parler à Monsieur Cesana ? » ; ce qui a le don de m’agacer ! »

« Les femmes se tournent davantage vers les caprins que les bovins »
Amélie Bevengut

« Les femmes se tournent davantage vers les caprins que les bovins »

Amélie Bévengut, installée depuis le 1er avril 2020 à Creysseilles en bovins, ovins allaitants et poulets de chair Label rouge.

« Je suis associée avec mon père, qui n’a jamais vu mon installation d’un mauvais œil, bien au contraire. Il m’a encouragée et se montre assez ouvert, même si nous avons des différences de points de vue, qui tiennent davantage à un décalage générationnel qu’au fait que je sois une fille. Ma mère, qui est aide-soignante, était en revanche plus inquiète de me voir choisir ce métier qu’elle jugeait difficile, très physique et peu rémunérateur. Aujourd’hui, elle est rassurée ! J’ai toujours voulu devenir éleveuse, même si à l’école, ce n’était pas un métier considéré comme très féminin. Lors de mes études en BTS Acse, il y avait une bonne mixité dans les filières d’élevage, mais il est vrai que les filles choisissaient davantage la filière caprine que les bovins ou les ovins, qui, avec leurs gros gabarits, rendent les manipulations plus physiques et difficiles. Pour moi, cela n’a pas été un frein. Au contraire, j’essaie de proposer des aménagements pour amener plus de confort dans le travail quotidien et le rendre moins physique. »

« Le congé maternité n’existait pas ! »
Denise Dragon

« Le congé maternité n’existait pas ! »

Denise Dragon, ancienne agricultrice (petits fruits, vaches laitières, châtaignes et arbres fruitiers) à Silhac

« Avec mon époux, nous nous sommes installés à la ferme avec mon beau-père en 1969, avant de nous mettre à notre compte en 1971. Mon mari s’occupait principalement des vaches laitières, et je me consacrais aux framboisiers et fruitiers, ce qui ne m’empêchait pas d’aider à la traite et de m’occuper des petits veaux. À cette époque, les hommes ne s’occupaient guère de la partie administrative qui était l’affaire des femmes. Malgré tout, les femmes n’étaient pas reconnues pour leur travail, mais considérées comme femmes au foyer ! En tant que mère de 6 enfants, j’avais aussi toutes les tâches domestiques à organiser. Il n’y avait pas de transports scolaires et il fallait accompagner chaque matin les enfants à Vernoux ! Le congé maternité n’existait pas, et pour chacun de mes enfants, j’ai continué à travailler jusqu’au dernier jour de grossesse. Toutefois, il était possible de recourir aux services de remplacement et il y avait beaucoup de solidarité et d’entraide entre paysans. Aujourd’hui, la vie des agricultrices est plus facile et elles sont davantage reconnues. C’est une bonne chose ! »

« Ne pas hésiter à s’imposer et à prendre sa place en tant que femme »

« Ne pas hésiter à s’imposer et à prendre sa place en tant que femme »

Audrey Biscarat, vigneronne indépendante au sein du Domaine Cassagnole à Berrias-et-Casteljau

« Lors de mon BTS viti-oeno, nous n’étions que deux filles sur 20 lycéens. En revanche durant mes études en école d’ingénieur agronome, à Montpellier, les filles étaient largement majoritaires. Pour ma part, je n’ai jamais eu de mal à trouver des stages ou un emploi en viti, ni ressenti de différences d’avec les hommes. Si les femmes sont encore minoritaires dans le milieu de la production viticole, elles sont nombreuses à graviter autour, dans des postes de commerciales ou de management par exemple. La viticulture est un métier très varié dont les contraintes physiques ont été atténuées avec les nouvelles technologies. Bien sûr, il arrive que certains interlocuteurs s’adressent à mon frère plutôt qu’à moi pour les questions techniques, alors que c’est plutôt moi qui suis compétente en la matière : mais je n’hésite pas à me manifester ! C’est aussi une question de génération. J’ai également pris des responsabilités au sein des Vignerons indépendants de l’Ardèche, mais nous sommes encore peu nombreuses à le faire. Inconsciemment, les femmes s’excluent parfois d’elles-mêmes des responsabilités, pourtant, elles ont toute leur place ! Pour ma part, je n’ai jamais hésité à m’imposer. Les femmes ne doivent pas douter, et oser s’engager ! »

« On accorde moins de crédit aux femmes dans les sphères de pouvoir »
Karine Mourier

« On accorde moins de crédit aux femmes dans les sphères de pouvoir »

Karine Mourier, éleveuse caprine en transformation fromagère à Preaux et présidente du syndicat du Picodon.

« J’ai d’abord travaillé avec mon mari en tant que conjointe collaboratrice, jusqu'à ce que la loi a permette de créer des Gaec entre conjoints. Je me suis donc installée en 2010 avec un projet de transformation fromagère et un atelier de porc charcutier. La transformation et la vente directe sont souvent impulsées par les femmes. Jusqu’aux années 1980, les femmes s’occupaient déjà de la basse-cour, de la transformation fromagère et fermière. Je remarque toutefois que la partie transformation est souvent jugée moins prenante que la production, moins masculine, et moins valorisante. De même pour la vente : par exemple, pour la création du magasin de producteurs de Peaugres, les réunions étaient très fréquentées par les hommes mais une fois le projet lancé, ce sont majoritairement des femmes qui ont mis la main à la pâte pour gérer la vente en magasin. C’est un peu la même chose dans les organisations professionnelles ou syndicats, où l’on trouve beaucoup de femmes dans les postes d’animation mais majoritairement des hommes aux responsabilités. Je constate qu’on accorde souvent moins de crédit aux femmes dans les sphères de pouvoir. Ce n’est pas le seul frein à l’engagement des femmes dans les organismes agricoles : celles qui s’impliquent sont souvent celles qui n’ont pas d’enfants ou qui les ont déjà élevés ! Toutefois, être mère et agricultrice comporte aussi des avantages : on peut organiser son temps de travail comme on veut et on a davantage de souplesse pour se libérer en journée pour une sortie à l’école par exemple. Nous avons eu trois enfants, et travailler avec mon conjoint a été un avantage, car il a pu reprendre une part de mon travail lorsqu’il a fallu lever le pied, pendant mes grossesses. Lorsque mon dernier enfant est né, j’ai installé un lit parapluie dans la fromagerie ! »

« Il y a de plus en plus d’exploitations 100 % féminines »
Mylène Massaudet et Léa Bruguier

« Il y a de plus en plus d’exploitations 100 % féminines »

Mylène Massaudet et Léa Bruguier, en cours d’installation à Etables en caprin avec transformation fermière. 

« S’installer à deux femmes ne nous a jamais posé questions : en caprin, il y a de plus en plus d’exploitations 100 % féminines ! Les contraintes physiques sont moindres aujourd’hui, il y a toujours des moyens pour adapter son outil de travail et s’économiser. Par ailleurs, à aucun moment nous n’avons ressenti de difficultés, et nos interlocuteurs nous ont toujours prises au sérieux (banques, assurances), notre projet tient la route ! Certes, le milieu caprin est plus féminisé et il est sans doute plus facile de s’y intégrer en tant que femmes. La transformation fromagère, la vente en circuits courts, l’accueil à la ferme ou encore la conversion à l’agriculture biologique sont aussi souvent le fait de femmes, qui impulsent des choses souvent très en phase avec les attentes des consommateurs. Les femmes sont certainement plus tournées vers la clientèle. Aujourd’hui, nous n’avons pas d’enfants mais la maternité ne nous fait pas peur : avec les services de remplacement, groupement d’employeurs ou les Cuma, il y a toujours des moyens de se faire remplacer. Tout est une question d’organisation, et nous sommes confiantes ! »

Propos recueillis par Mylène Coste

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