COVID-19
« C'est vite devenu catastrophique »

Anaïs Lévêque
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COVID-19 / Le 5 juin à Borne, le Conseil de l'agriculture départementale (CAD) de l'Ardèche, les syndicats FDSEA et Jeunes Agriculteurs, ont organisé une visite de terrain avec le préfet dans l'exploitation caprin lait d'Aurélie Michel. Entre avril et mai, cette jeune éleveuse a dû jeter son lait faute de collecte. À l'image de cette situation dramatique, les impacts de la crise du Covid-19 sur les exploitations ardéchoises ont été exposés lors de cette visite.

« C'est vite devenu catastrophique »
Le président de la FDSEA Benoit Claret, le député Fabrice Brun, le préfet de l'Ardèche, le président de la Chambre d'agriculture Jean-Luc Flaugère, la conseillère départementale Bernadette Roche, entre autres, en compagnie d'Aurélie Michel dans son exploitation.

L'ensemble de l'agriculture ardéchoise a été impactée par la crise liée au Covid-19. Globalement, les prix de vente n'ont pas pu répercuter les coûts d'adaptation des exploitations agricoles face aux mesures de protection sanitaire (masques, gel, organisation des chantiers, déplacements, aménagement des locaux de transformation et de vente...). Toutes les filières ardéchoises demandent des appuis à une communication positive de leurs produits afin de dynamiser leur consommation, un soutien particulier pour les plus impactées et des solutions rapides pour les exploitations les plus en difficulté. « Le gouvernement doit prendre ses responsabilités face aux impacts sociaux et économiques engendrés. Les agriculteurs et les PME agroalimentaires du territoire ont peu sollicité l'État pour le chômage partiel. Dans l'après Covid et les difficultés commerciales persistantes, les agriculteurs doivent avoir le soutien de l'État quoi qu'il en coûte », ont martelé les syndicats FDSEA et Jeunes Agriculteurs Ardèche.

Une perte de 30 % de lactation

Chez Aurélie Michel, installée depuis 2014 en élevage caprin lait sur 90 hectares sur les terres du Tanargue à Borne, cette crise a impacté dès le début ses ventes de chevreaux puis « cassé » sa ligne de production laitière faute de collecte. Inexorablement, l’éleveuse a dû jeter son lait pendant trois semaines.

La mise bas commençait tout juste au début du confinement mais son engraisseur n’a pas pu récupérer ses chevreaux avant le 15 avril, entraînant de grandes problématiques à la ferme pour assurer leur élevage et leur engraissage. Parallèlement, la Fromagerie du Dolmen située La Bastide Puylaurent (Lozère) à qui elle vend son lait voit ses circuits de commercialisation vivement perturbés et stoppe la collecte le 16 avril. Contrainte de passer en monotraite en plein pic de production, la jeune éleveuse réduit ses volumes de lait produit à 500 l / jour à partir du 18 avril, contre 700 à 750 l / jour avant le confinement. Ses 180 chèvres perdent 30 % de lactation alors que 2020 aurait dû être sa « meilleure année de lactation », ajoute Aurélie Michel.

50 % de pertes économiques malgré la reprise de la collecte

« Les chevreaux ont écoulé beaucoup de lait puis c’est vite devenu catastrophique, il a fallu le jeter tous les deux jours pendant trois semaines. » L’éleveuse cherche tant bien que mal d’autres circuits de vente. Aurélie Michel trouvera finalement un appui auprès de la Laiterie Rissoan située à Luc (Lozère). Centrée sur la commercialisation et transformation de lait de vache, cette laiterie décide alors d’ouvrir une nouvelle ligne de vente en lait de chèvre. La prise en charge du lait de l'exploitation d'Aurélie Michel est très longue dans ces conditions. Son lait sera collecté en totalité dès le 25 mai, lui permettant de remonter à nouveau à deux traites. Aujourd’hui, Aurélie Michel a remonté ses volumes de lait produit à 600 l / jour, de quoi couvrir tout juste ses frais. Les pertes économiques sont immenses. En avril, l'éleveuse a vendu 8 370 litres de lait, contre 23 000 litres habituellement, soit une baisse de rendements de 64 %. Avec la reprise de la collecte en mai, ses pertes économiques sont de 50 %.

« Quel que soit le prix qu’ils me proposeront, je le prendrai »

Pour l’heure, Aurélie Michel n’a pas reçu le paiement de sa production laitière de mars et avril par la Fromagerie du Dolmen, celle du mois de mai lui sera payé d’ici trois semaines. « Quel que soit le prix qu’ils me proposeront, je le prendrai », indique-t-elle. Quant aux 300 chevreaux âgés d’une semaine à un mois et demi qui ont pu partir à partir de mi-avril, l'éleveuse ne connait pas encore leur prix de vente : « Ils ne sont pas payés pour le moment mais ce n’est pas grave, nous avons besoin d’engraisseurs, il faut les soutenir ! ».

La trésorerie d'Aurélie Miche a été grandement mise à mal depuis fin mars, d'autant plus qu'elle avait réalisé beaucoup d'investissements en automne. Économies, livret A... Elle a écoulé toutes ses réserves financières pour sauver son exploitation.

Anaïs Lévêque

Personne ne sera oublié

PERSPECTIVES / Face aux difficultés rencontrées par les filières, la profession espère bénéficier du soutien de l'État, notamment sur les coûts de production et les prix payés aux producteurs.

« Si le déconfinement a eu lieu, le confinement économique des exploitations ardéchoises est encore bien présent, sur la production arboricole, en viticulture, en élevage caprin, bovin, ovin, dans le tourisme...Nous n'oublierons personne dans cette nouvelle étape », prévient Benoit Claret, président de la FDSEA. Dès le début de la crise du Covid-19, diverses productions ardéchoises se sont retrouvées en grande difficulté mais aussi, et surtout, isolées des nouvelles habitudes de consommation et des lois du marché centré sur la GMS et le libre-service. Certains jeunes agriculteurs connaissent également des problématiques financières par manque de trésorerie, comme Aurélie Michel qui a été contrainte de jeter sa production laitière pendant trois semaines (voir ci-contre). « Il est important de les soutenir et de trouver des solutions adaptées pour les jeunes installés », a ajouté Benoit Breysse, récemment élu président de Jeunes Agriculteurs Ardèche.

La filière laitière est l'une des filières les plus touchées. « Les négociations commerciales se sont énormément tendues. Nous avons besoin de soutien sur les coûts de production : les prix à la consommation se sont maintenus voire ont augmenté alors que les prix aux producteurs ne sont pas fixés et les tendances sont à la baisse », a indiqué Benoit Claret. En arboriculture, les coûts de production sont plus élevés, sur la récolte et les chaines de conditionnement. La profession espère que le coût des emballages pourra être répercuté sur le prix payé au producteur. « Les agriculteurs ont continué de travailler, aucune production ne s'est arrêtée. C'est maintenant que le gouvernement doit être dernière nous "quoi qu'il en coûte" ! », a rappelé Christel Cesana, vice-présidente de la FDSEA. « Il faut nous faire remonter les bilans des difficultés rencontrées par les filières, nous essaierons de proposer des aides », a annoncé le préfet Françoise Souliman. « Nous avons travaillé avec les GMS pour mettre en avant les produits locaux, nous avons maintenu un maximum de marchés de plein air aussi et nous continuerons de le faire.»

« Nous sommes aujourd'hui dans une nouvelle étape »

La Chambre d'agriculture non plus n'a pas économisé ses efforts pour accompagner au mieux les agriculteurs dans cette crise, via Facebook notamment, pour favoriser le lien entre producteurs et consommateurs, pour résoudre les problématiques d'emploi... Avec D'Ardèche & De Saison (DADS), elle a pu anticiper certains besoins et proposer des solutions aux producteurs en sensibilisant la GMS sur la vente de produits locaux. « Sur certains produits néanmoins, comme le lait de chèvre, nous n'avons pas su faire... Il ne faudra pas oublier que des agriculteurs ont jeté leur production ! », rappelle le président de la Chambre et de DADS Jean-Luc Flaugère.

« Nous sommes aujourd'hui dans une nouvelle étape », a ajouté Benoit Claret. « La banque, les assurances, la MSA doivent nous aider. » L'urgence est de répondre aux agriculteurs les plus en difficulté : ceux qui ont jeté leur production, ceux qui ont investi ou se sont installés récemment, pour le député de l'Ardèche Fabrice Brun. Il réclame une exonération « puissante » des charges sociales, un observatoire des prix et des marges contraignant, et une dimension souveraine à l'autonomie de l'économie française, notamment alimentaire.

A.L.