Co-construit avec l’ensemble des acteurs de l’eau et de l’agriculture, un protocole d’accompagnement des projets de retenues en Ardèche a été signé le 6 août. Il impulse l’émergence de projets vertueux pour les productions agricoles, la préservation des milieux et les autres usages de l’eau.

Faire consensus !
La signature de ce protocole a eu lieu le 6 août chez Anthony Talas et Mederic Tracol (Gaec du Colonier) à Saint-Victor. De gauche à droite : Benoit Claret, président de la Chambre d’agriculture de l’Ardèche, Olivier Amrane, président du Département, le préfet Thierry Devimeux, et le représentant de l’Office français de la biodiversité (OFB).

La ressource en eau est devenue un élément majeur pour préserver la capacité et la qualité des productions agricoles, mais sa raréfaction saisonnière amène à réfléchir à la constitution de réserves pour l’irrigation. Dans le cadre d’une démarche régionale lancée en 2019, des protocoles départementaux sont mis en place afin de développer le stockage hivernal de l’eau pour l’agriculture dans le respect des autres enjeux environnementaux et usagers de la ressource.

Proposer des solutions adaptées…

En Ardèche, cette ambition vient de s’illustrer par la signature d’un protocole sur l’accompagnement de projets de retenues d’eau à usage agricole. Il réunit tous les acteurs de l’eau et de l’agriculture, dont l’État, le Département, la Région Auvergne Rhône-Alpes, l’Agence de l’Eau, l’Office français de la biodiversité (OFB) et la Chambre d’agriculture de l’Ardèche. De nombreux partenaires ont participé à la construction de ce protocole, tels que les syndicats agricoles et de rivières, la fédération départementale de la pêche et la Frapna1.

Ce protocole détermine « une méthodologie pour répondre aux enjeux d’une agriculture résiliente, de biodiversité et de productions agricoles de qualité, en proposant un consensus et des solutions adaptées », a annoncé le préfet de l’Ardèche, Thierry Devimeux. « Nous devons arriver à trouver des solutions pour chacun au cas par cas, pour faire perdurer les exploitations et défendre les jeunes qui s’installent », a ajouté le président du Département Olivier Amrane. L’ensemble des installations et des ouvrages permettant de stocker de l’eau sont concernés (réserve, stockage d’eau, retenues collinaires, retenues de substitution), quel que soit leur mode d’alimentation (cours d’eau, nappe phréatique, ruissellement ou résurgence), ainsi que la mobilisation de ressources de substitution par transfert d’eau à partir d’une ressource non déficitaire. « L’idée est de profiter des périodes de hautes eaux pour remplir les nouvelles retenues collinaires avec des débits dont le prélèvement n’impacte pas les milieux aquatiques à l’aval. »

… et des principes fondamentaux

La réussite des projets est conditionnée par une concertation le plus amont possible de l’ensemble des acteurs et usagers du territoire concerné, stipule ce protocole. Le rôle de chaque acteur est précisé (voir ci-contre) afin de partager les principales caractéristiques d’un projet dès son émergence, d’identifier les conditions et procédures réglementaires et financières, et de cerner au mieux les délais d’élaboration des dossiers techniques et leur instruction. « Au-delà de l’objectif collectif d’accompagnement, ce protocole décrit sur le plan technique la démarche appropriée à suivre pour assurer la réalisation des projets de stockage. Il intègre des démarches concrètes et pragmatiques adaptables à chaque projet, des niveaux de priorité, et contient trois principes fondamentaux », a ajouté le directeur adjoint de la DDT, Jérôme Pejot.

Le premier principe et préalable obligatoire concerne la rationalisation des besoins en eau, l’ajustement maximal des cultures et systèmes d’élevage, l’adaptation du matériel et la réhabilitation des ouvrages inutilisés. La création d’une nouvelle retenue lorsqu’elle reste nécessaire repose sur un second principe majeur : éviter de concerner les secteurs de zones humides et les secteurs de cours d’eau dans la mesure du possible. Deux principes techniques s’imposent alors, quel que soit le lieu de construction de la retenue : la transparence hydraulique et l’absence de prélèvements entre juin et septembre, ainsi qu’un débit minimum biologique hors étiage. Autre principe fondamental de ce protocole : réaliser la mise aux normes des retenues existantes dans une logique de développement durable, en priorisant les plus impactantes, en rationnalisant le parc et en limitant les fuites sur les réseaux. « Avec près de 1 000 retenues existantes, le bassin versant du Doux est tout à fait représentatif de cet enjeu », a rappelé Jérôme Pejot.

A.L.

1. Fédération régionale des associations de protection de la nature de l’Ardèche.
Vers un meilleur équilibre entre la ressource et ses usages
Une retenue d’une capacité de 8000 m3, équipée d’une trappe de fermeture et d’un canal de contournement pour la saison estivale, a été construite au Gaec du Colonier (Saint-Victor).

Vers un meilleur équilibre entre la ressource et ses usages

ZOOM / Deux visites de terrain étaient organisées à Arlebosc et Saint-Victor, afin d’illustrer la recherche de solutions et « l’intelligence collective » portées par ce protocole.

Afin d’illustrer « ce qu’était l’irrigation jusqu’ici » et la recherche de solutions, une visite de terrain était organisée dans la vallée du Doux. Ce territoire compte de nombreuses retenues anciennes, parfois hors d'usage et non utilisées, pouvant impacter les milieux ou présenter une faible efficacité en matière d'irrigation. « La réutilisation des retenues anciennes est aussi complexe et coûteuse, incitant à se tourner vers la création de nouveaux ouvrages, mais il y a un vrai blocage là-dessus qui pose soucis pour le développement des exploitations », a rappelé Sylvain Bertrand, élu à la Chambre d’agriculture. « Dans ce secteur, nous avons des difficultés aussi à trouver des sites pour faire de la substitution ou bien repartir les points de pompage. » Cette situation a incité Grégory Grangier, arboriculteur à Arlebosc, à déplacer une partie de son exploitation à Saint-Jean-de-Muzols. « L’eau, c’est notre revenu, et la crainte d’en manquer est grande ici. Les vergers sont situés à 90 mètres de dénivelé du cours d’eau, ce qui ne me permet pas de sortir de grands débits. » Un projet collectif pourrait répondre à sa problématique, mais reste très difficile à monter. Une retenue non utilisée est située à proximité également, mais dont il n’est pas propriétaire. « Il faut trouver le système le moins impactant pour le milieu et l’agriculture la plus résiliente », a martelé le préfet qui a rappelé « l’intelligence collective » que cherche à impulser le protocole d'accompagnement.

« Nous avons besoin d'irrigation »

Une autre visite de terrain a mis en lumière la « réussite » d’un projet de création de retenue, à Saint-Victor chez Anthony Talas et Mederic Tracol (Gaec du Colonier). Installés en élevages caprin lait, volaille (sous label Fermiers de l’Ardèche), bovin allaitant, en arboriculture et petits fruits, « nous avons besoin d’irrigation car nous produisons beaucoup d’herbe, de maïs grain, de tournesol et de luzerne, ce qui nous permet d’être autonome à 100% quasiment sur l’alimentation des troupeaux », indique Anthony Talas. Entamé en octobre 2018, leur projet d’irrigation a pris forme récemment avec la construction d’une retenue d’une capacité de 8 000 m3, équipée d’une trappe de fermeture et d’un canal de contournement pour la saison estivale. Son exploitation n’est pas située près d’un cours d’eau ou d’une zone humide, favorisant la validation de son projet. Sa retenue retiendra environ 10% des eaux pluviales durant l’hiver. « Il faut avoir de la patience mais on a pu trouver des solutions. C’est un investissement sur le long terme, nous en aurons de plus en plus besoin », présage-t-il. « L’irrigation permet aussi de rebondir sur d’autres productions si nécessaire en cas de transmission d’exploitation. »

ACCOMPAGNEMENT / Le rôle clé des signataires

Les signataires de ce protocole tiennent chacun un rôle dans l’élaboration et le suivi des projets de retenues collinaires. La Chambre d’agriculture assure un rôle de « porte d’entrée » lors de la phase initiale du projet. Elle apporte ses conseils pour définir les besoins en eau, l’analyse territoriale et la prise en compte des ouvrages existants, l’approche économique du projet, la réalisation des études techniques nécessaires au dimensionnement des retenues et à l’évaluation des besoins et des conditions de mobilisation de la ressource. Elle peut aussi assurer le montage du dossier technique et administratif, dans le cadre de son activité commerciale. Une fois le dossier constitué, les solutions proposées sont analysées par les services de l’État, chargés d’évaluer leur compatibilité avec les enjeux agricoles et environnementaux, le plan régional de l’agriculture durable, en lien avec les SDAGE1, SAGE2 et les PGRE3. Ils communiquent également tout élément porté à leur connaissance sur l’hydrologie des cours d’eau, les prélèvements réalisés, la sensibilité environnementale des milieux et la caractérisation des zones humides. L’Office français de la biodiversité (OFB) mobilise également son expertise sur les conditions environnementales de réalisation des projets. La DDT et l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse (RMC) ou Loire Bretagne (LB) renseignent quant à eux sur les critères et conditions de financement des projets. Enfin, le Département partage ses connaissances des milieux naturels, équipements de stockage et d’irrigation existants, de ses différents schémas départementaux en lien avec l’agriculture et/ou la ressource en eau, et de ses aides pour le financement des projets. La Région contribue au soutien technique et financier aux projets, ainsi qu’à leur émergence via son expertise sur l’éligibilité aux aides du PDR4.

1. Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux.
2. Schéma d'aménagement et de gestion de l’eau.
3. Plan de Gestion de la Ressource en eau.
4. Programme de développement rural.