SYLVICULTURE
Colombie : ils sèment des arbres contre la déforestation

Mylène Coste
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Depuis de nombreuses années, les forêts colombiennes font face à la problématique quasi institutionnalisée de la déforestation. Loin de se décourager, des locaux se mobilisent pour replanter des variétés afin d’œuvrer à la préservation d’une ressource en danger.

Colombie : ils sèment des arbres contre la déforestation
À gauche, les terrains réservés à l’élevage bovin. A droite, l’espace reboisé depuis douze ans pour lutter contre l’érosion, désormais reconnu comme la réserve naturelle de la société civile de Buenavista. ©MC

La brume se laisse doucement transpercer par les premiers rayons de soleil. Il est 6 h du matin, et Charly charge sur son dos une première caisse remplie de plants d’arbres. « J’ai là plusieurs variétés : Cambulo, Guayacan, ou encore Caracolí. » L’objectif est simple : planter ! Comme Charly, un petit groupe de se- meurs gravit chaque matin les mon- tagnes de Roldanillo, dans la vallée colombienne du Cauca, pour planter des arbres. « Tout a commencé il y a treize ans », explique Fernando, l’un des initiateurs du projet. « Une poignée de propriétaires ont voulu sanctuariser ces terrains boisés face à la menace de la déforestation et de l’extension de l’élevage. L’objectif était aussi de lutter contre l’érosion des sols, qui a conduit à de graves catastrophes, notamment en 2000 avec un glissement de terrain meurtrier. » Il poursuit : « Le projet a d’abord obtenu le soutien de l’autorité environnementale du département, la CVC, qui a financé l’achat de plants pour la reforestation. C’est ainsi que nous avons commencé à planter des arbres ». C’est aussi le début d’une course contre la montre entre les petites mains de la restauration écologique, dont Fernando fait partie, et la déforestation galopante qui se poursuit depuis des années dans la région. Les artisans de la déforestation sont divers : l’élevage bovin et le surpâ- turage, pratiqués dans les hauteurs de Roldanillo, ont fortement appauvri les sols, tandis que les monocultures d’avocats, qui se multiplient depuis environ six ans, grignotent chaque jour un peu plus de forêt. Sans oublier les projets miniers et industriels qui se développent dans la région.

La reforestation, un apprentissage

« Nous avons commencé à replanter sur 3 ha », raconte Fernando. « Petit à petit, le projet a suscité l’intérêt, voire l’enthousiasme des voisins, qui ont accepté volontairement de semer sur leurs terres. » Aujourd’hui, la zone de reforestation s’étend sur une dizaine d’hectares, et a été officiellement reconnue en mai 2020 comme « réserve naturelle de la société civile ». Il poursuit : « Au début, nous n’avions pas vraiment de connaissances sur les techniques de semis, sur les espèces les plus appropriées. Nous avons fait des erreurs, en plantant des espèces non-adaptées, y compris venues d’autres pays, comme l’Uruapan du Japon, ou encore le Tulipier du Gabon, ce qui a provoqué d’importantes mortalités d’abeilles ».

Les semeurs volontaires ont alors sollicité l’accompagnement de la corporation des paysages ruraux de Colom- bie, organisme pionnier en matière de restauration écologique, pour acquérir davantage d’expertise. Il y a quelques années encore, le terrain était nettoyé à l’aide d’une houe avant plantation. « Maintenant, on laisse le sol tel qu’il est, on prend soin de bousculer la nature le moins possible », indique Charly. Côté espèces, exit les pins, tulipiers ou eucalyptus, on privilégie les espèces endémiques, et le plan de semis est finement étudié, comme l’indique Charly : « Selon l’ensoleillement du lieu, les plantes qui sont présentes autour, on choisira tel ou tel arbre ».

Favoriser les espèces endémiques

Les artisans de la reforestation ne se contentent plus de replanter. « Nous avons désormais le projet de produire nos propres semences d’espèces endémiques de la zone », explique Fernando. « Nous recherchons des graines dans la forêt pour pouvoir les multiplier et les semer. » Aujourd’hui, la commune de Roldanillo compte quatre réserves naturelles de la société civile : Itaca, Villa Juliana, Buenavista et la Reforestación. La Colombie en dénombre 983, de tailles variables. Il faut dire que les travaux de restauration écologique portent leurs fruits : « Nous avons vu les paysages se métamorphoser, passant de terrains surpâturés à des espaces boisés », se satisfait Charly. « De nombreuses plantes que l’on ne voyait plus sont réapparues, de même que de multiples espèces d’insectes et d’animaux, d’oiseaux et de reptiles. C’est toute une biodiversité qui peu à peu s’est remise en place ! »

Mylène Coste

Charly
Charly charge sur son dos des plants d’arbres et arbustes pour démarrer une journée de replantation. ©MC

Produire des fleurs… en détruisant des arbres

Bien souvent, les travaux de reforestation répondent à l’obligation de « compensation écologique » des entreprises, qui s’engagent à compenser les impacts des effets néfastes de leurs projets sur l’environnement en conduisant des actions en faveur de la biodiversité. C’est le cas à Roldanillo, dans la réserve d’Itaca, où la société hollandaise Florious entend replanter 3 500 arbres. Le projet vise à compenser l’implantation dans la région de 100 ha de fleurs pour l’export, cultivées sous serre, en monoculture et avec un recours massif aux intrants chimiques. Si l’implantation de cette activité a créé de nombreux emplois (1 000 emplois directs selon Florious SAS), les impacts pour l’environnement et les eaux souterraines sont colossaux. Le projet de compensation écologique de l’entreprise hollandaise va toutefois plus loin que la loi ne l’y oblige. Depuis le début des années 1990, les fleurs sont devenues l’une des plus importantes exportations de la Colombie, talonnant de peu l’or et le café. Le pays est le plus gros fournisseur de fleurs au monde après les Pays-Bas, et le premier exportateur de fleurs aux États-Unis.

Perte de forêt amazonienne en 2020

Perte de forêt amazonienne en 2020
En rouge, les zones dans lesquels la perte de forêt a été très forte en 2020, en orange, forte, et en jaune, moyenne. ©MAAP

La déforestation s’accélère dans l’Amazonie colombienne

Trois-cents écosystèmes, 56 330 espèces de plantes et d’animaux, trois cordillères andines, deux océans et des forêts tropicales… Véritable paradis vert, la Colombie est le deuxième pays le plus riche au monde en biodiversité après le Brésil. Mais cette biodiversité continue de subir des attaques affectant particulièrement les forêts. Ces dernières années, on constate même une augmentation de la déforestation en Colombie. L’an dernier encore, le pays a perdu 171 685 ha de forêt par rapport à 2019 (+ 8 %), selon le ministère de l’Environnement colombien. Près de 70 % de ces déboisements concernent la forêt amazonienne, qui couvre 40 % de la superficie de la Colombie, dans le Sud-Est du pays.

Accord de paix, guerre en forêt

Paradoxalement, les accords de paix signés en 2016 entre le gouvernement et les guérillas (notamment les Farcs), mettant fin à soixante ans de conflit armé, ont accéléré la déforestation. Près de 925 000 ha de forêt auraient disparu depuis la signature de ces accords historiques. Soit l’équivalent de l’île de Chypre ! En effet, les Farcs, qui occupaient la forêt, ont rendu les armes et se sont retirés. Leur absence a laissé un vide dont profitent aujourd’hui d’autres acteurs : contrebandiers, narcotrafiquants, grands propriétaires terriens et entrepreneurs, parfois avec la complicité de dirigeants politiques et locaux. Les terres déforestées sont utilisées à diverses fins : élevage bovin, agriculture intensive (notamment soja, maïs, palmier à huile), culture de la coca pour le narcotrafic, trafic de bois pour la construction de routes ou encore extraction minière (notamment l’or), légale ou illégale. Le 6 décembre dernier, le gouvernement colombien a annoncé de nouvelles mesures pour lutter contre la déforestation, et notamment la création d’une police spécialement dédiée. Des peines alourdies ont été décrétées pour les responsables. Mais la corruption rend difficile l’application réelle de ces mesures. Les populations vivant dans les régions amazoniennes, agriculteurs et indigènes, sont bien souvent victimes de déplacements forcés et d’accaparement de leurs terres. Par ailleurs, les crimes contre les militants et défenseurs de l’environnement sont incessants : rien qu’en 2020, soixante-cinq assassinats ont été recensés par l’ONG Global Witness. 

M.C.