QUESTIONS À
« Les risques ne peuvent plus être considérés séparément »
Éric Rigolot, ingénieur de recherche dans l’unité Écologie des forêts méditerranéennes rattachée au Département Écologie et biodiversité (ECODIV) de l’Inrae. Il interviendra en septembre en Ardèche auprès de la DDT et des services du Sdis, dans le cadre d’une réunion réunissant les différentes parties prenantes des feux pastoraux et du brûlage dirigé.
Vous travaillez actuellement sur les multirisques en forêt. Comment se caractérisent-ils ?
Éric Rigolot : « Le principal risque pour les montagnes et collines méditerranéennes, qui les menace depuis de nombreuses années, c’est celui de la disparition des pratiques agricoles et de l’élevage, la déprise rurale… Pourtant, un territoire protégé par des activités agricoles et pastorales, qui maintiennent des paysages où le combustible est maîtrisé, c’est vraiment un objectif de gestion qu’il faut arriver à maintenir. Sinon, le combustible s’accumule, et cet embroussaillement peut, les années de grande sécheresse, aboutir à des feux extrêmes qui menaceraient les biens et les personnes, les écosystèmes, de façon drastique.
Aujourd’hui, les risques naturels ne peuvent plus être considérés séparément. Il faut prendre en compte les interactions, les effets de cascades entre des risques abiotiques (sécheresse, incendie) et des risques biotiques (ravageurs forestiers) et proposer une vision globale de leur gestion. Par exemple, après les grands feux de l’été 2022 dans les Landes de Gascogne, on est confronté deux ans après à des foyers de multiplication d’insectes ravageurs, des attaques de scolytes, qui ont profité pour proliférer des troncs laissés empilés sur place après les coupes de bois brûlés. La connaissance des enchaînements de risques permet d’apporter des réponses plus adaptées, comme l’évacuation rapide des bois brûlés dans ce cas précis. »
Quels intérêts présente le recours au brûlage dirigé ?
E.R. : « Traditionnellement, le feu fait partie des modalités d’entretien des espaces ruraux pour accompagner la pratique de l’élevage et notamment renouveler les parcours qui finissent par s’embroussailler à cause soit des refus de pâturage, soit du fait d’une pression de pâturage trop faible par rapport à la dynamique naturelle des écosystèmes. Aujourd’hui la pratique se perpétue et elle est accompagnée par l’équipe de brûlage dirigé départementale parce que ce faisant il y a un bénéfice à la maîtrise du combustible qui est une action clé de la prévention des incendies de forêts. Le combustible nécessite d’être contrôlé, réduit de façon que, l’été venu, les incendies soient moins puissants et puissent être maîtrisés en sécurité par les sapeurs-pompiers. Le brûlage dirigé est l’une des techniques dans la palette du forestier, de l’aménagiste, pour ce contrôle du combustible. »
Le débroussaillement est parfois difficile à réaliser pour les éleveurs de montagne. Comment équilibrer les besoins liés à la prévention des incendies et ceux du monde agricole ?
E.R. : « Il y a plusieurs moyens de débroussailler. Les techniques mécaniques sont les plus classiques, mais elles sont limitées par les contraintes du relief. Quant à lui, le brûlage dirigé est une technique de débroussaillement tout terrain, qui peut être pratiquée quelle que soit la pente, la densité des arbres, la pierrosité. Même si ce n’est pas sa finalité première, le pastoralisme, contribue aussi au contrôle du combustible, il est aussi tout terrain et même tout temps car on peut mener un troupeau sous la pluie. Le feu, cependant, n’est pas tout temps, on ne pourra brûler qu’en cas de conditions météorologiques favorables. C’est la complémentarité entre ces différents moyens de contrôler le combustible qui est intéressante à rechercher. On peut même envisager une succession dans le temps de ces techniques. Par exemple, sur une lande très embroussaillée, difficile à brûler car pouvant générer un feu peut-être trop intense lors de la réouverture, on peut envisager un broyage mécanique si les autres conditions sont réunies et par la suite un entretien par le pastoralisme et par le brûlage. Il faut distinguer les phases d’ouverture et celles d’entretien dans une opération de reconquête des milieux naturels pour contrôler le combustible. »
Un accompagnement est-il indispensable dans le cadre d’un projet de réouverture par le brûlage ?
E.R. : « En général les équipes de brûlage dirigé institutionnelles, qui réunissent plusieurs services des départements (agriculture, forêt, élevage, pompiers, ...) apportent l’expertise technique pour répondre aux demandes et évaluer chaque dossier. Il peut être fait appel aussi à des spécialistes de la flore et de la faune pour évaluer d’autres impacts environnementaux. Des préconisations sont données, un mode opératoire est arrêté en prenant en compte l’ensemble des facteurs issus de ces différents services. Pour l’Ardèche, je pense qu’il y a une bonne partie des brûlages qui restent à la main de la profession, et une autre partie qui se fait par des équipes de spécialistes, dont la phase opérationnelle est essentiellement conduite par les services de pompiers au bénéfice des demandeurs. L’avantage d’avoir ces cellules inter établissements est de pouvoir avoir un avis adapté à chaque demande, multicritères et le plus complet possible. »