CASTANÉICULTURE
Biocontrôle : un virus contre le chancre du châtaignier

Marine Martin
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Avec un printemps humide et frais, le chancre du châtaignier a été moins ravageur cette année. Mais la lutte se poursuit. Dans son parc à greffons, le Syndicat de Défense de la Châtaigne d’Ardèche (SDCA) soigne cette maladie fongique avec un champignon hypovirulent.

Biocontrôle : un virus contre le chancre du châtaignier
Application des souches hypovirulentes pour contrer le chancre de l'écorce du châtaignier. © AAA _MMartin

Le parc à greffons de Saint-Sernin, propriété du Syndicat de défense de la Châtaigne d’Ardèche (SDCA), sert à la distribution de greffons de variétés ardéchoises traditionnelles aux castanéiculteurs, à l’instar de la « Bouche Rouge, l’Aguyane, la Garinche ou encore la Pourette, revenue en grâce par la récolte mécanique, du fait de son petit calibre et de sa faible sensibilité à la pourriture », énumère Julien Massias, nouvel animateur du SDCA. Le parc sert aussi à la pépinière et au conservatoire de Vernoux, où l’on « greffe sur des plants qui sont résistants à l’encre ». Alors, pour ne pas distribuer de baguettes contaminées ni transmettre au conservatoire le champignon, la vigilance quant à l’apparition du chancre dans le verger est accrue.

Modus operandi du chancre du châtaignier

Le chancre est un parasite de blessure, occasionné via des éléments naturels comme la grêle, le gel ou par l’Homme au cours des opérations de taille, d’élagage ou de travaux du sol. « Le virus est présent dans la plupart des vergers et se développe souvent au point de greffe », ajoute Julien Massias. L’arbre ainsi fragilisé, le champignon va alors attaquer l’écorce du tronc et les branches du châtaignier. Il forme un éventail de mycélium jaune entre le bois et l’écorce malade. Sur les jeunes arbres encore lisses, la partie infectée prend alors une couleur rouge et s’affaisse. Sur les semis et jeunes arbres, la maladie peut être létale. Ces symptômes sont moins visibles sur les branches âgées. Sur les arbres adultes, certaines branches vont se dessécher et provoquer un affaiblissement général de l’arbre, entraînant une baisse de production. En effet, le chancre détruit les tissus conducteurs en « étouffant » la branche et provoque un ralentissement puis un arrêt de la sève. La partie va donc mourir par manque d’eau et d’éléments minéraux. Cependant, l’issue létale n’est pas une fatalité, certains chancres restent superficiels, surtout pour les arbres plus âgés. Si une « boursouflure » se forme, « c’est que la guérison est déjà en court. Mais si le chancre se propage trop vite et fait le tour de la branche, alors la branche dépérira, et il ne restera plus qu’à la supprimer », précise l’animateur du syndicat.

Dissémination du champignon par spores

L’extension du chancre se manifeste par un dessèchement de l’écorce qui se fissure et se soulève en lame. L’arbre réagit en essayant de cicatriser. Sur l’écorce desséchée, des fructifications se développent sous forme de pustules jaunes-orangées-rouges. Lorsque l’air est humide, ces pustules libèrent des spores disséminées par le vent, ce qui accroît la propagation du virus.

Un champignon hypovirulent pour contrer le chancre

« Au moins 50 % de nos arbres greffés sont impactés », témoigne Émilien Aymard, castanéiculteur installé près d’Antraigues-sur-Volane. « Cela fait 7 à 8 ans que nous greffons. En voyant dépérir ce que l’on produit, parfois jusqu’à la mort de l’arbre, nous avons décidé cette année d’appliquer le mélange de souches hypovirulentes. »

Le seul moyen de lutte curative utilisé, hormis l’élagage et le curetage, est une méthode de lutte biologique mise au point dans les années 1970 par un chercheur de l’Inra de Clermont-Ferrand, Jean Grente. Le principe consiste à propager un virus existant naturellement dans la châtaigneraie qui affecte le champignon parasite lui-même et rend les souches « hypovirulentes », donc très peu agressives, pour que les parties infectées puissent cicatriser. Une seule application suffit. Après avoir délimité la partie malade, il faut effectuer des trous à l'emporte pièce ou griffer l’écorce avant « l' application de cette souche virosée », précise Julien Massias, tout en étalant le liquide sur la partie atteinte. Ce soin est effectué pendant la période de végétation, entre avril et juin. Le traitement peut être réalisé avec des outils de taille désinfectés à chaque utilisation. Le Syndicat de Défense de la Châtaigne d’Ardèche diffuse des souches hypovirulentes aux castanéiculteurs qui en font la demande.

La technique du griffoir, simple et efficace

La Sefra (station d’expérimentation fruits Auvergne-Rhône-Alpes, basée dans la Drôme), l’Ulrac (Union Languedoc-Roussillon des associations castanéicoles) et le Cirea (Centre inter-régional d’expérimentation arboricole) ont mis au point dans les années 2000 une méthode de traitement plus simple que celle employée auparavant, avec une application du traitement à l’emporte-pièce, technique longue et délicate. À l’aide d’un griffoir, la scarification du chancre permet de repérer la limite entre les zones saines et nécrosées. D’autre part, les « stries » créées permettent de retenir le produit appliqué et de mieux pénétrer.

La lutte biologique, un allié de taille

Cette lutte contre le chancre, qui favorise une certaine régulation, met en lumière d’autres réussites de la filière castanéicole dans le domaine de la lutte biologique. À l’instar du cynips, maîtrisé grâce à l’introduction de la micro-guêpe Torymus sinensis. « La réussite du biocontrôle peut-être due à la rusticité du châtaignier, au faible emploi de pesticides qui agiraient contre la lutte biologique (en tuant les torymus par exemple), et à des agro-écosystèmes très intéressants sous les châtaigniers », développe Julien Massias.

Certes, cette solution curative n’est pas parfaite, car elle ne permet pas la propagation de l’hypovirulence sur toute une parcelle traitée. En effet, la solution actuelle concentre un très fort taux de virus responsables de l’hypovirulence, mais ces virus sont trop affaiblis pour se multiplier, ce qui bloque leur dissémination. À l’heure actuelle, des recherches sont menées pour améliorer la qualité du produit utilisé.

M.M.

Origine et propagation du chancre du châtaignier
Visualisation du chancre sur un jeune arbre. ©AAA_MMartin
VIRUS

Origine et propagation du chancre du châtaignier

Le chancre du châtaignier, ou endothia, est une dangereuse maladie causée par le champignon Cryphonectria parasitica.

Originaire d’Extrême-Orient, le chancre du châtaignier a été introduit dans le monde entier et a pratiquement décimé le châtaignier d’Amérique des États-Unis dans les années 1925. La maladie transite ensuite en Europe, par l’intermédiaire d’importations de poteaux de châtaigniers contaminés en Italie. C’est aux alentours de 1952 que le chancre du châtaignier s’implante dans les zones castanéicoles ardéchoises avec plusieurs foyers découverts dans le département. Ses conséquences néfastes sont rapidement constatées à partir de 1955. Dès le milieu des années 1950, on découvre que des formes pathogènes moins virulentes (hypovirulentes : diminution de la virulence d’un agent pathogène) se sont spontanément établies quelques années après l’apparition de la maladie. Une lutte biologique se met alors en œuvre en 1978, permettant depuis de continuer la production en freinant l’évolution de l’endothia. Une méthode de curetage et de protection des plaies se met alors en place.

Chancre griffé. ©SDCA