TERRITOIRES
« Habiter en milieu rural, ce n’est pas une malchance »

La Première ministre, Élisabeth Borne, a présenté le plan France ruralités, le 15 juin dernier, dans la Vienne. Il vise à répondre de manière adaptée aux besoins des territoires ruraux et à davantage d’équité territoriale. Cédric Szabo, directeur de l’association des maires ruraux de France, revient sur les mesures annoncées dans ce plan.

« Habiter en milieu rural, ce n’est pas une malchance »
Dans le cadre du plan France ruralités, un fonds de 90 millions d’euros sur trois ans va être débloqué pour aider les collectivités à déployer des services de mobilité « innovants et solidaires ». ©Cerema
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Cédric Szabo, directeur de l’association des maires ruraux de France. ©LR_Apasec

Le mois dernier, Élisabeth Borne a déclaré au Figaro : « La ruralité est une chance pour notre pays ». Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?

Cédric Szabo : « C’est paradoxal. Les communes rurales sont attractives, ceux qui y habitent les trouvent agréables à vivre, et elles accueillent même de plus en plus d’habitants. Mais de l’autre côté, cela fait des années que nous expliquons que la question centrale de la ruralité, c’est le déplacement. À ce sujet, la ministre répond avec un fonds de 90 millions d’euros par an sur trois ans pour 88 % du territoire français métropolitain… Est-ce que vous croyez vraiment que le problème de la mobilité dans le monde rural va être réglé avec ce budget ? L’investissement du Grand Paris Express a été estimé à 36 milliards d’euros
d’investissements. Il y a une réelle disproportion des outils, des budgets et des moyens alloués par l’État. Habiter en milieu rural, ce n’est pourtant pas une malchance. »

Ce plan comporte des mesures pour protéger la biodiversité, réduire la dépendance à la voiture et accéder à de meilleurs soins. Selon vous, quelle est l’action la plus urgente à mener ?

C. S. : « Lors la dernière élection présidentielle, nous avions travaillé sur des actions prioritaires. Ce qui en était ressorti, c’est le besoin d’avoir des moyens d’ingénieries et financiers pour s’occuper du coeur du village. Cela passe notamment par l’engagement citoyen : comment donner envie à des personnes d’intégrer le conseil municipal en 2026 ou de devenir maire ? Une autre priorité, c’est de créer un programme « Villages d’avenir ». Le plan annoncé par la Première ministre est un début, mais nous voudrions une prime pour les communes qui, par exemple, font l’effort de rénover leurs bâtiments. Je pense également aux communes qui souhaitent mieux intégrer l’école dans leur projet de village : est-ce que nous ne pourrions pas avoir un nombre d’enfants maximum par classe pour ces communes qui fournissent des efforts particuliers, et ainsi éviter les fermetures dictées par l’Éducation nationale ? L’exode urbain augmente le besoin de classes et d’enseignants en zone rurale. »

Ce plan a annoncé l’ouverture de 150 maisons France Services supplémentaires d’ici la fin de l’année. Cette mesure est-elle suffisante pour répondre aux besoins de la population rurale ?

C. S. : « Beaucoup de maisons France Services ne rencontrent pas leur public, car elles sont loin du domicile de la population. Il faudrait que cela prenne la forme d’un réseau d’acteurs, plus qu’un point où il est possible d’aller faire son dossier et récupérer des informations. De plus, les maisons France Services sont des outils créés par des associations locales ou des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), ce n’est donc pas un service de l’État. Ce dernier paye 30 000 € par an pour couvrir une partie du coût de fonctionnement de ces structures, alors que le coût réel d’une maison France Services, qui a l’obligation d’avoir deux salariés à temps plein, est d’en moyenne de 120 000 à 150 000 € par an. Il faudrait que l’État augmente sa contribution. »

Pensez-vous que la création de 100 « médicobus », annoncée par la Première ministre, puisse limiter les conséquences de la désertification médicale dans les zones rurales ?

C. S. : « S’il n’y a pas de médecins dans ces bus, cela ne va pas régler le problème… Il faut que la profession soit d’accord pour s’investir. Selon moi, il s’agit d’une fausse bonne idée. Nous connaissons trop l’État pour savoir qu’il va mettre en place un appel à projets et n’en financera pas la totalité. La question reste donc : qui va financer ? À l’inverse, je pense à un projet qui a fonctionné dans la Creuse. Il s’agit d’un cabinet médical qui a été mis en place avec un système de permanence de soins, où différents médecins officient tour à tour. Les contrats ne sont pas gérés par la collectivité, mais par un opérateur intermédiaire, qui permet qu’il y ait toujours un médecin face aux patients. Même les personnes âgées, habituées à la figure du médecin de famille, n’ont pas été offusquées, puisque l’essentiel pour eux, c’est d’avoir un médecin pour répondre à leurs besoins. Ce modèle nous paraît acceptable, car il répond à une demande des médecins : ne pas être obligés de rester longtemps au même endroit. »

Ces critiques veulent-elles dire que ce plan ne vous satisfait pas ?

C. S. : « Nous sommes conscients que ce n’est pas le grand soir, mais nous sommes également dans une logique de co-construction. Ce plan contient des marqueurs positifs, comme le volet « Villages d’avenir » et les aménités. Mais il ne faut oublier que l’essentiel de ces mesures comporte un paramétrage financier qui sera voté durant le projet de loi de finances 2024. Les actions ne seront donc pas mises en oeuvre avant. Avec ce plan, nous remarquons également une rupture dans la stratégie de l’État. L’embauche de 100 chefs de projet supplémentaires dans les préfectures et sous-préfectures rurales met un coup d’arrêt à la suppression des fonctionnaires d’État dans les territoires. Il y a également une première série de réponses qui doivent être travaillées au Parlement, telle que la dotation biodiversité qui a été augmentée au Sénat. C’est plus que ce que l’État avait promis. »

Propos recueillis par Léa Rochon

Une sous-traitance à géométrie variable
Patrick Chaize (Les Républicains), sénateur de l’Ain. ©Sénat/Cécilia Lerouge
NUMÉRIQUE

Une sous-traitance à géométrie variable

Tandis que les politiques ont pris à bras-le-corps la question de l’accès au réseau mobile pour tous les habitants du territoire français, le raccordement à la fibre (réseau fixe) par des sociétés sous-traitantes pose encore de nombreux problèmes dans les zones rurales.

Accéder à une bonne couverture numérique depuis son habitation est devenu une priorité politique. D’autant plus depuis l’annonce du plan France très haut débit en 2013 et la signature du New Deal mobile en 2018 ; date à laquelle l’Arcep a exigé des opérateurs de densifier leurs réseaux. Selon les données du « gendarme des télécommunications », les opérateurs de téléphonie mobile Free, Orange, SFR et Bouygues assuraient une « bonne couverture » en 2G et 3G à 99 % de la population au 31 décembre dernier. La situation dite de « bonne couverture » doit permettre de « téléphoner et d’échanger des SMS à l’extérieur des bâtiments dans la plupart des cas, et, dans certains cas, à l’intérieur des bâtiments ». Quant à l’accès à la 4G, l’Arcep affirme que plus de 97 % des sites du programme « zones blanches centres-bourgs » existants en 2018, étaient équipés en 4G au 31 mars dernier. En matière de réseau mobile, la dynamique semble donc enclenchée. Concernant la fibre optique, également appelée « réseau fixe », le constat semble bien différent. Ancien maire de Vonnas, dans l’Ain, le sénateur Patrick Chaize (Les Républicains), a fait des télécommunications son cheval de bataille. En juillet 2022, le président de l’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (AVICCA) avait adressé une proposition de loi au Sénat. Son objectif ? « Assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique ». La chambre haute a adopté en première lecture cette proposition de loi le 2 mai dernier. Une satisfaction pour celui qui souhaite remettre le consommateur au coeur des préoccupations des opérateurs. « En termes de fibre optique, les territoires ruraux sont dynamiques, puisque les travaux et les déploiements y sont plus forts que dans les territoires urbains. » Selon l’homme politique, le problème serait en réalité lié à la sous-traitance des raccordements à la fibre optique. Près de 15 000 raccordements seraient effectués chaque jour en France. « Les raccordeurs sont, la plupart du temps, payés à la tâche. Ils cherchent donc la rentabilité et l’optimisation de leur temps. » Les zones rurales, où les trajets entre chaque prestation sont plus longs, sont devenues les premières victimes de ce phénomène. Longueur d’attaches des câbles non respectée lors du raccordement, clés manquantes, boîtiers fibres ouverts à coups de pied-de-biche sans être refermés… Autant d’actes qui dégradent la qualité de la fibre optique dans ces territoires. « Je reçois des témoignages de ce genre de la France entière », affirme avec un certain dépit Patrick Chaize.

Protéger l’intérêt du consommateur

Parmi les mesures phares contenues dans sa proposition de loi, figure notamment la certification ou la labélisation des prestataires de services. « Dans certains secteurs, il est impossible de trouver quelqu’un pour venir faire le travail. Les sociétés se rabattent sur qui le veut bien, mais les problèmes de qualification dégradent la qualité du service et empirent le mécontentement et l’insatisfaction des consommateurs. J’ai donc proposé de donner à l’Arcep un moyen de contrôle, afin qu’elle soit en mesure de sanctionner un opérateur qui gère mal ses sous-traitants. » Le sénateur a également inscrit la possibilité, pour le consommateur, de suspendre et de ne plus payer son abonnement en cas de dégradation continue du service. « Actuellement, même si une panne persiste, le consommateur continue à payer », argumente-t-il. Si la proposition de loi du sénateur aindinois n’est pas encore inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, un second volet sera bientôt examiné au Sénat. Il concernera cette fois les diverses problématiques et dérives liées à l’utilisation du numérique. Selon un rapport de l’Agence nationale de la Cohésion des territoires (ANCT) sorti en 2022, le nombre de personnes « éloignées du numérique » ou touchées par « l’illectronisme » a augmenté au cours des cinq dernières années. Elles seraient désormais 16 millions.

Léa Rochon

Un nouveau plan pour la ruralité dévoilé
Le Plan France ruralités a été présenté par la Première ministre, Élisabeth Borne, afin d’améliorer le quotidien des communes rurales. ©Matignon_ Benoît Granier
POLITIQUE

Un nouveau plan pour la ruralité dévoilé

Le 15 juin dernier, la Première ministre, Élisabeth Borne, a annoncé le contenu de son plan France ruralités, visant à répondre aux enjeux du monde rural.

Près de 22 millions de Français vivent actuellement dans des territoires ruraux, soit plus de 30 000 communes. Depuis un an, la ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales, Dominique Faure, a entamé une consultation auprès d’acteurs de la ruralité, afin de réfléchir aux actions à mener pour mieux accompagner les territoires ruraux. Cette démarche a ainsi donné naissance au plan France ruralités et a été détaillé par la Première ministre le 15 juin dernier dans la Vienne (Nouvelle-Aquitaine).

Augmentation de la dotation biodiversité

La stratégie repose sur quatre principaux axes. Tout d’abord, le programme « Villages d’Avenir », va être doté d’un budget de 15 M€, afin d’aider les petites communes à mener leurs projets, à l’instar des programmes de « revitalisation » des centres-villes comme « Action coeur de ville ». Cette mesure s’appuiera sur le recrutement de 100 chefs de projets, installés dans les préfectures et sous-préfectures des territoires les plus ruraux, avec la mission d’accompagner les maires de petits villages à passer de l’idée au projet. « Les maires pourront candidater auprès de leur préfet de département, par groupe de 2 à 8 communes, afin de constituer un groupement de petits villages, unis par un projet collectif autour de l’habitat, des transports, du patrimoine ou encore de la santé », indique le service de presse de la Première ministre. La dotation biodiversité, dont l’objectif est de reconnaître et de rémunérer la contribution des
territoires ruraux à la planification écologique, a également vu son budget augmenté. Ce dernier va passer de 42 à 100 millions d’euros et pourra être utilisé pour les espaces naturels protégés (zone Natura 2000 ou Parc naturel régional), mais également les forêts, les étangs et les sols. Les communes devront s’engager à valoriser ces aménités rurales en contribuant aux objectifs de la transition écologique.

Réduire la dépendance à la voiture

Afin d’améliorer le quotidien des habitants des zones rurales, le plan France ruralités va déployer un plan d’action interministériel. Un fonds de 90 millions d’euros sur trois ans va être débloqué pour aider les collectivités à déployer des services de mobilité « innovants et solidaires » (vélo, transport à la demande, mobilité solidaire). L’objectif ? Diminuer la dépendance à la voiture. Concernant les centresbourgs, une « prime de sortie de la vacance » d’un budget de 5 millions d’euros sera instaurée pour remettre des biens immobiliers sur le marché de la résidence principale. Cette action sera portée par l’Agence nationale de l’habitat (Anah). Le gouvernement souhaite également développer les commerces de proximité dans 20 000 communes qui n’en disposent plus. Un budget de 36 millions d’euros sur trois ans sera déployé afin d’aider l’implantation de ces commerces. Le dernier axe concerne les enjeux de santé. Le gouvernement s’engage à lancer 100 médico-bus dans lesquels des spécialistes seront mis à disposition, là « où il est le plus difficile d’accéder » aux soins.

Léa Rochon sur communiqué

FISCALITÉ / Les zones de revitalisation rurale reconduites
Les zones de revitalisation rurale concernerait 17 662 communes. ©CD_Apasec

FISCALITÉ / Les zones de revitalisation rurale reconduites

Le sujet est loin d’être nouveau. Votées en 1995, puis réformées une première fois en 2015, les zones de revitalisation rurale (ZRR) permettent d’exonérer fiscalement les entreprises créatrices d’emplois qui s’implantent dans des zones reculées. Selon le sénateur aveyronnais, Jean-Claude Anglars (Les Républicains), ce dispositif concernerait 17 662 communes, 15 % de la population en France, et même 100 % des communes du département de l’Aveyron, mais devrait s’achever le 1er janvier 2024. Sa pérennisation était donc devenue le fer de lance de nombreux responsables locaux qui réclamaient une redéfinition de son zonage.

Déprise démographique et économique

Actuellement, la classification des ZRR repose sur la densité démographique et le revenu médian. Néanmoins, une récente proposition de loi sénatoriale proposait d’ajouter « la prise en compte de l’évolution et de l’âge de la population, le taux de chômage, les services accessibles aux habitants, le taux de vacance des logements, la difficulté d’accès aux soins, la part d’agriculteurs, d’artisans et de commerçants et les contraintes spécifiques aux communes de montagne ». Une demande prise en compte par le gouvernement, qui assure, dans un communiqué de presse annonçant les contours du plan France ruralités, que « le nouveau zonage identifiera un certain nombre de territoires, en déprise démographique et économique depuis 1999, dans lesquels l’appui de l’État sera renforcé. »

Une communication jugée insuffisante

Ces annonces ont forcément suscité la réaction de l’association des maires ruraux de France. « Les entreprises installées dans des zones de revitalisation rurale n’ont pas forcément connaissance de ce dispositif et ne l’utilisent pas, a assuré un de ses responsables, lors
d’une conférence de presse donnée en visioconférence le 26 juin dernier. C’est une politique qui tape à côté. » L’association demande à l’État une plus grande clarté, afin que les entreprises puissent connaître les conditions exactes d’attribution de ces aides. Selon le gouvernement, les règles de définition du futur zonage (niveau de zonage, critères de
classement en ZRR, niveaux de zonage en fonction du degré de vulnérabilité du territoire), seront prochainement proposées, « en lien étroit avec le Parlement et les associations d’élus ».

Léa Rochon