ANALYSE
Lacs collinaires, retenues d’eau : l’assurance climat, mais à quel prix ?

Autonomie en fourrage, abreuvement des animaux, sécurisation des rendements, valorisation de l’exploitation : derrière ce tableau idyllique se cache un monde de complexité. Avis de spécialistes de la Drôme et de la Loire.

Lacs collinaires, retenues d’eau : l’assurance climat, mais à quel prix ?
Retenue collinaire réalisée par le Lycée agricole de Ressins basé à Nandax (Loire). ©Chambre d’agriculture de la Loire

Face au dérèglement climatique et aux événements météorologiques extrêmes (sécheresse, canicules), nombre d’agriculteurs envisagent l’investissement dans un stockage d’eau pour sécuriser le fonctionnement de leur exploitation. Le mode de stockage dépend de la topographie du lieu. En montagne, on profite du relief en plaçant une digue qui retiendra les ruissèlements du bassin versant amont. En plaine, le bassin creusé sera alimenté par une source ou un ruisseau.

Autonomie et sécurisation

« La question de la création d’une retenue d’eau concerne surtout les exploitations de l’arrière-pays, mais aussi les zones de montagnes sèches où seules 30 % des exploitations sont irriguées. Toutes les filières sont concernées : l’arboriculture, les grandes cultures, le maraîchage et même les élevages pour sauver des prairies. Celles du couloir rhodanien bénéficient des réseaux collectifs d’irrigation alimentés par le Rhône, l’Isère et la Bourne », indique François Dubocs, conseiller spécialisé agronomie irrigation à la Chambre d’agriculture de la Drôme. Dans la Loire, Didier Grivot, chargé de mission eau et irrigation, explique que dans la plaine du Forez, les infrastructures du canal du Forez permettent d’alimenter la rive gauche de la plaine. A contrario, les zones de monts (Lyonnais, Forez, Jarez) sont irriguées par des retenues collinaires. « Dans ces secteurs vallonnés, des demandes émanent d’éleveurs bio pour acquérir l’autonomie en fourrage. Ce sont aussi des maraîchers diversifiés qui vendent en circuits courts. »  « Tout le monde reconnaît que le stockage d’eau présente de nombreux intérêts », s’accordent à dire nos deux spécialistes. De l’eau à disposition permet d’être autonome en fourrage, de sécuriser les rendements en valorisant les intrants, d’assurer l’abreuvement des animaux sans avoir recours au réseau d’eau potable et de diversifier l’activité. Dans la Loire, un éleveur laitier a ainsi pu se lancer dans la culture de petits fruits. « Cette assurance climat apporte aussi une plus-value à l’exploitation dans le cas d’une transmission », ajoute Didier Grivot. Avantage annexe, les retenues d’eau représentent une défense incendie qui bénéficie à l’exploitation comme à la commune.

Un investissement conséquent

Derrière ce tableau idyllique se profile un monde de complexités. « La Chambre d’agriculture de la Drôme a signé un protocole avec l’ensemble des partenaires1 : Agence de l’Eau, DDT, Département… C’est le premier interlocuteur à contacter pour entreprendre les démarches. Nous examinons d’abord la faisabilité du projet. Nous informons l’agriculteur de la réglementation et s’il est toujours partant, nous le dirigeons vers un bureau d’étude géotechnique », explique François Dubocs. « Sur les vingt sollicitations annuelles, seules deux ou trois aboutissent ». Dans la Loire, cinq ou six projets voient le jour chaque année. « Ils concernent soit le maraîchage, à savoir une retenue de 5 000 m3 pour l’irrigation d’un à deux hectares, soit l’élevage laitier bio, un stockage de 15 à 30 000 m3 pour irriguer 8 à 15 ha », décrit Didier Grivot. Pour les deux spécialistes, ce qui explique le nombre restreint de projets menés à leur terme, c’est d’une part le cadre réglementaire de plus en plus contraignant2. D’autre part, c’est le poids de l’investissement. Le coût moyen d’un bassin s’élève à 10 € le m3 stocké, avec des écarts compris entre 6 et 12 € le m3 stocké selon la topographie du projet, la nature et la qualité des matériaux disponibles pour faire la digue. A cela, s’ajoute le matériel d’irrigation, la station de pompage et l’alimentation électrique. « Il faut enfin savoir que c’est une charge de travail supplémentaire », rappelle Didier Grivot. « La pérennité de l’ouvrage demande un entretien régulier des organes de sécurité (vanne de fond, déversoir de crue) ainsi que des abords ». Jusqu’ici, les aides débloquées dans le cadre du PDR (Programme de développement rural) 2014-2022 au travers du Feader finançaient en moyenne 30 % de l’investissement. On ne connaît pas encore ce que réserve le PDR 2023-2027.

Magdeleine Barralon

1. Il existe un protocole identique dans la Loire.

2. Dans le cas des plans d'eau alimentés par prélèvement en cours d'eau et nappe d'accompagnement, le remplissage est interdit du 15 juin au 30 septembre (arrêté du 9 juin 2021 fixant les prescriptions techniques générales applicables aux plans d'eau).

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Réserve d’eau de 20 000 m3 réalisé à Bellecombe Tarendol (Drôme). ©Chambre d’agriculture de la Drôme