VITICULTURE
Les AOC viticoles en difficulté

Mylène Coste
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VITICULTURE / Frappées par la crise du Covid-19 et la fermeture de leurs débouchés traditionnels, les appellations d'origine contrôlée (AOC) viticoles ardéchoises sont aussi des victimes collatérales du virus. Les présidents des organismes de défense et de gestion des AOC veulent cependant garder l'espoir d'un sursaut.

Les AOC viticoles en difficulté
Les AOC viticoles ardéchoises sont des victimes collatérales du Covid-19.
« Nos débouchés sont au point mort »

« Nos débouchés sont au point mort »

Anne Colombo, présidente de l'AOC Cornas

« La situation est très délicate : d'un côté, la restauration hors-domicile, qui constitue l'un de nos principaux débouchés, est au point mort et ne devrait pas redémarrer de sitôt. Et même lorsqu'ils reprendront leur activité, les restaurateurs ont été mis en difficulté et seront certainement prudents dans leurs dépenses, ce qui peut avoir des conséquences à plus long terme sur les achats de vins de niche. Les ventes auprès de particuliers se maintiennent globalement. L'export, qui peut représenter 20 à 50 % du chiffre d'affaires de nos vignerons en AOC Cornas, subit également un nouveau coup dur qui vient s'ajouter à la taxe américaine sur les vins français, au Brexit et au repli du marché chinois. On ne peut plus démarcher les clients étrangers, et les salons internationaux qui sont l'occasion de promouvoir nos vins sont annulés. Nous sommes par ailleurs très peu présents en GMS (moins de 10 % de nos débouchés).

« Nous avons grand besoin d'un frémissement »

« Nous avons grand besoin d'un frémissement »

Benoit Nodin, président de l'AOC Saint-Péray

« Quand le confinement a été décrété, on n'a pas immédiatement saisi ce qui nous attendait. On a cru que cela durerait une quinzaine de jours tout au plus, on s'est rassuré en se disant que nos vins n'étaient pas des produits périssables, et on a fait le dos rond... Mais le confinement s'est prolongé et a duré ! Nous n'avons quasiment pas vendu pendant un mois et demi, nos canaux de mise en marché étant totalement verrouillés : la vente directe représente 30 % de nos débouchés, la restauration hors-domicile 30 %, et l'activité des cavistes 20 %. Le Saint-Péray est aussi un vin de fête, et le contexte n'est pas aux festivités ! L'export, qui représente 18 % de notre chiffre d'affaires, est quasiment à l’arrêt ; d'autant plus que nos débouchés principaux, Royaume-Uni et Etats-Unis, étaient déjà bien mis à mal par le Brexit et la taxe Trump. Quant à la GMS, nos vins y sont peu présents (5 % de nos débouchés).

On ne peut pas non plus compter sur les salons et événements, et la suite s'annonce incertaine : qu'en sera-t-il du salon de notre traditionnelle Fête des vins de Saint-Péray prévue le premier week-end de septembre, alors que le gouvernement annonce une limitation des rassemblements à 5 000 personnes? Et des autres événements et salons de la saison ? Nous avons aussi beaucoup de doute sur la saison touristique. Beaucoup de questions se posent, et le moral des vignerons en prend un coup. Mais il nous faut aussi souligner les signes positifs : petit à petit, certains cavistes et caves particulières réouvrent, les ventes se relancent doucement. Nous attendons également de voir ce qu'il en sera avec le déconfinement. Nous avons vraiment grand besoin d'un frémissement, et donnons rendez-vous à nos clients dans nos caves pour venir se changer les idées ! »

« Plusieurs mois de commercialisation perdus »

« Plusieurs mois de commercialisation perdus »

Joël Durand, président de l'AOC Saint-Joseph

« Jusqu'au troisième trimestre 2019, le Saint-Joseph était dans une forte dynamique, avec très peu de stocks, voire un peu de mal à alimenter le marché ! Cette dynamique a été un peu ralentie fin 2019 au regard du contexte international (Brexit, taxe US, marché chinois), car même si nous sommes peu présents à l'export (moins de 20 % des découchés), les négociants avec lesquels nous travaillons se sont retrouvés avec plus de stocks. Puis est arrivé le Covid-19 qui a totalement bouleversé les circuits traditionnels de vente (cavistes, restaurants, GMS) qui représentent une grande majorité de nos débouchés. Les producteurs présents en GMS, peu nombreux, s'en sont un peu mieux sortis et c'est encore très relatif, car les achats en grande surface se sont surtout tournés vers les vins de consommation courante plus que sur le haut de gamme. Les sorties de bouteilles sont donc au ralenti. Certains cavistes et restaurants ont inventé de nouvelles formes de vente (drive, livraisons) mais il est difficile de savoir à quel rythme sortent nos bouteilles. Le redémarrage de l'activité, après le confinement, sera long et timide et ne permettra pas de compenser les pertes.

En attendant, les vignerons doivent poursuivre le travail. Beaucoup ont recours aux prêts garantis de l'Etat, mais qu'en sera-t-il des délais de remboursement si l'activité reste faible ? Nous avons cependant la chance de ne pas avoir trop de stock. Mais avec tous ces événements, ce sont plusieurs mois de commercialisation qui seront perdus, et qu'il nous faudra assumer par un portage de stock. On peut aussi s'attendre à un impact sur les prix, ce qui serait un nouveau coup dur pour nous, car malgré les prix soutenus du Saint-Jospeh, nos marges sont faibles, notamment du fait de l'application de nouvelles contraintes environnementales qui nécessitent des investissements.

Il faut cependant voir le bon côté des choses : nous avons pu sortir librement durant cette période de confinement qui a été moralement pesante pour nombre de Français qui ont dû rester enfermés. C'est un privilège. »

Propos recueillis par Mylène Coste

« Des surstocks inquiétants à plus long terme »
Pierre Champetier, président de l'IGP Ardèche.

« Des surstocks inquiétants à plus long terme »

VINS IGP / Entretien avec Pierre Champetier, président de l'IGP Ardèche.

« Les indications géographiques protégées (IGP) ne sont pas les plus mal loties. Certes, l'activité commerciale tourne au ralenti mais les vins de consommation courante - notamment les bibs - continuent de sortir, davantage sans doute que les vins hauts de gammes. Nous sommes assez présents en GMS, ce qui nous permet de tenir le cap. Nous sommes surtout tournés vers le marché intérieur, et souffrons relativement moins que d'autres comme les vins du Var ou de Bordeaux, principalement tournés vers l'export. Toutefois, nos caveaux, coopérateurs ou indépendants, sont en souffrance. Les systèmes de drive et d'expédition gratuite qui ont été mis en place ne suffisent pas à compenser la baisse drastique de la clientèle. En Sud-Ardèche, nous n'avons pas bénéficié de l’afflux des touristes qui sont souvent déjà nombreux au printemps (Pâques, ponts du mois de mai...) et l'incertitude plane sur la saison touristique estivale.

Mes craintes sont surtout portées à plus long terme. Les caves accumulent les stocks, et tous ces excédents ne trouveront pas preneurs. Avec la vendange qui arrive, je crains que ces surstocks de vins ne se répercutent sur les prix à plus long terme. D'autant plus que l’Italie et l’Espagne, qui sont nos concurrents directs, sont dans une situation similaire. Malgré toutes ces inquiétudes, les vignerons ne baissent pas les bras et s'activent dans le vignoble pour préparer la prochaine récolte. Le déconfinement qui s’amorce nous ramènera-t-il à une situation normale ? »

Propos recueillis par M.C.

Un premier volet d’aides à la filière vin de 160 millions d'euros

COVID-19 / « Au moins 500 millions d’euros (M €) de budget » : c’est ce que demandait la filière viticole pour surmonter la crise du Covid-19. Mais la réponse du gouvernement semble bien en-deçà des attentes. Les ministres de l’Agriculture et de l’Economie ont annoncé le 11 mai un premier volet d’aides de 160 M € pour le secteur. Sur ce montant, 100 M € concernent des exonérations de charges patronales qui pourront aller jusqu’à 100 % pour les entreprises viti-vinicoles les plus touchées par la crise. 60 M € sont ensuite consacrés à la distillation de crise en complément de 80 M € pris sur l’enveloppe viticole annuelle allouée à la filière française. Cette somme permettrait de distiller 2 millions d’hectolitres de vin, tandis que la filière réclamait la distillation d'au moins 3 Mhl. « C’est un premier volet, mais les ministres nous ont dit qu’il y en aura d’autres », a souligné Jean-Marie Barillère, président du Comité national des interprofessions viticoles (Cniv) devant nos confrères d’Agrapresse. Déjà fragilisée par les taxes américaines, le Brexit et la baisse des exportations vers la Chine, la viticulture française a été frappée de plein fouet par la crise sanitaire. Didier Guillaume n'a pas fait d’annonce sur le fonds de compensation à la surtaxe américaine, mais a signalé qu’il défendrait ce dossier au conseil des ministres de l'Europe. Rappelons que la filière viti-vinicole française génère à elle seule 500 000 emplois directs et indirects, tandis que la France figure comme deuxième producteur mondial de vin en volume derrière l’Italie, le premier exportateur en valeur.