Du 8 au 10 février, s’est tenu l’événement « histoire d’H2O et d’agriculture », porté par la communauté de communes Rhône-Crussol. Trois jours pour réfléchir à des solutions concrètes pour les agriculteurs des filières alimentaires et viticoles, mais aussi, pour sensibiliser le grand public au partage de la ressource en eau.

Des alternatives pour mieux gérer l'eau
« Les cépages Marsanne et Roussane adoptent deux comportements différents en situation de sècheresse », note Cyril Courvoisier au sujet des besoins et de l'adaptation des vignes. ©AAA_MMartin

Après une conférence à destination du grand public, animée par l’hydrologue Emma Haziza, ce vendredi était consacré aux professionnels des filières alimentaires et viticoles. « L’idée étant de réfléchir ensemble aux moyens d’action qui existent, face aux enjeux importants du changement climatique et à l’urgence de travailler sur le sujet de l’eau », énonce Albéric Mazoyer, viticulteur et membre du comité de pilotage de cet événement. Deux formes d’ateliers sont proposées : la filière viticole et la filière alimentaire. Chacun des thèmes faisant l’objet de débats autour du partage de la ressource en eau. Pour la filière viticole, l’évolution des pratiques à travers l’hydrologie régénérative engendre un nouveau paradigme.

Ralentir, répartir, infiltrer et stocker dans les sols

« Pendant longtemps, on a drainé nos sols, car on avait peur du mildiou, aujourd’hui, c’est l’effet inverse. Ne faudrait-il pas planter en terrasses au lieu des pentes ? », s’interroge Benoit Nodin, président de l’AOC Saint-Péray. Désormais, la question du stockage de l’eau est au cœur des débats, alors que la sécheresse fait des ravages dans les vignes. « D’ici la fin de siècle, il y aura deux fois plus de sécheresse et elle durera plus longtemps », prévient Emmanuel Forel, conseiller agronomie et fourrage à la chambre d’agriculture de l’Ardèche.

L’importance de l’infiltration de l’eau dans les sols à l’aide de l’hydrologie régénérative est au cœur de la réflexion du jour. La science s’appuie sur un triptyque : eau, sol et arbre. Pour une meilleure infiltration de l’eau dans les sols, plusieurs critères sont à réunir : un sol vivant, grâce à l’apport de matières organiques, avec la mise en place d’un pâturage tournant dynamique, mais aussi l’importance pour les sols de racines qui descendent en profondeur, avec des porte-greffes qui ont le temps de bien s’enraciner avant de recevoir un greffon. Le sous-solage en pointillé, permet également d’améliorer le drainage naturel. Avec un sol mieux drainé, les arbres peuvent remplir leur rôle de protecteur et empêcher l’érosion en fabriquant des terrasses. Pour l’eau, la construction de courbes de niveau à travers des noues ou béalières (keyline design), permet de créer un circuit naturel. Les mares peuvent stocker l’excédent. Le keyline design n’en est pourtant qu’à ses balbutiements en Ardèche : « Pour l’instant, cela a été expérimenté chez quelques agriculteurs, il faudrait pouvoir le tester à l’échelle d’un territoire », note Emmanuel Forel. L’hydrologie régénérative n’apporte pas aux agriculteurs de solution miracle. Elle s’accompagne d’une évolution des pratiques. « On gagne 40 % de jus à ne pas écimer sur un terrain sec », note par exemple Alain Malard, viticulteur et consultant vitivinicole spécialisé sur l’hydrologie régénératrice. « Les pratiques de tailles peuvent être améliorées », indique de son côté Cyril Courvoisier, président de l’AOC Cornas.

Mais malgré des changements de pratiques et une agroécologie pertinente, pour sauver la récolte face à la sécheresse, la question de l’irrigation revient, même du côté des vignerons en AOC1 de la partie septentrionale de l’Ardèche.

Quid de l’irrigation ?

Si irriguer les vignes ne fait pas l’objet d’un consensus au sein de la filière, certains l’utiliseraient en dernier recours pour éviter la « rupture », quand d’autres se questionnent de l’impact sur la qualité des vins : « On se pose la question de la pertinence de l’irrigation compte tenu de la réputation des vins », tique Laure Colombo du Domaine de Lorient, productrice de vins Saint-Péray, Cornas et Saint-Joseph. Les cahiers des charges des trois AOC interdisent pour le moment l’irrigation. « Il faut retarder le plus possible l’irrigation, ou alors si on n’a pas le choix, enterrer le goutte-à-goutte et arroser les sols, et non la vigne », conseille de son côté Alain Malard.

Puisqu’il n’existe pas de solution miracle, pour s’adapter, les agriculteurs n’ont d’autre choix que de mener des actions communes et combiner plusieurs stratégies mises en avant lors des débats. En agroécologie, il faut penser à nourrir l’ensemble, pas que la vigne », clôture Alain Malard.

M.M.

1. AOC Saint-Péray, AOC Cornas, AOC Saint-Joseph.

STOCKAGE

Gestion des retenues collinaires

Quand il s’agit du partage de la ressource de l’eau sur le territoire, la question des retenues collinaires n’est jamais loin. Petit rappel de leur gestion sur le bassin-versant du Doux.

Renaud Dumas, chargé de mission au Syndicat mixte du bassin-versant du Doux (SMBVD), part d’un constat : « Il y a plus de prélèvements que de ressources existantes, il est important de définir un plan d’action qui rééquilibre le volume prélevé et le volume laissé dans les milieux aquatiques ». Le technicien rappelle à toute l’assemblée la distinction entre retenues d’eau et bassins écrêteurs. « Le bassin écrêteur doit être vide pour écrêter les crues en période de hautes ou basses eaux. » S’il existe différents types de bassins, l’impact sur le milieu aquatique est réel : « Plus le débit est faible, plus l’impact des retenues de prélèvement est important, d’où la nécessité d’améliorer le parc de retenues déjà existant, car en période d’étiage, les retenues se remplissent », avertit Renaud Dumas. Une problématique pour la température de l’eau qui augmente : avec le réchauffement climatique et l’impact des retenues sur les cours d’eau, la truite et l’écrevisse sont en souffrance : « Au-delà de 24°C, la truite meurt. Le réchauffement impacte aussi la période de reproduction de la truite l’hiver. Mais l’objectif n’est pas de supprimer les retenues, mais de les améliorer pour qu’elles soient compatibles avec l’agriculture », insiste Renaud Dumas. En 2021, a été convenu un protocole réunissant les associations environnementales, l’État, les acteurs de l’agriculture et les syndicats de rivières pour déterminer les critères à mettre en place autour du stockage de l’eau.

Chiffres clés sur les retenues

1 047 retenues ont été répertorié sur le bassin-versant du Doux.
33 % pour un usage agricole.
22 % pour d’autres usages.
34 % d’usage inconnus.
11 % sans usage.
Capacité de stockage de ces eaux : 3,76 millions de m3 (55 % du volume est consacré à l’usage agricole, qui utilise les plus grosses retenues).

Expérimentation de Keyline design sur 11 ha de prairies à Champis. ©AAA_PDDeus