Auvergne Rhône-Alpes
Un engagement collectif au service du pastoralisme alpin

Isabelle Doucet
-

ÉVÈNEMENT / Les Assises euro-alpines du pastoralisme ont rassemblé le 8 octobre à Grenoble tous les acteurs du monde d’en haut, éleveurs, experts et politiques. L’avenir de cette activité en transition est au coeur de défis pluriels : changement climatique, partage des espaces et valorisation des produits pastoraux.

Un engagement collectif au service du pastoralisme alpin
Si la prédation du loup est stable depuis trois ans, la population lupine est en forte croissance et colonise de nouveaux territoires.
Article
Christiane Barret, présidente déléguée à la Stratégie de l’Union européenne pour la région alpine.

Les Assises euro-alpines du pastoralisme se sont déroulées le 8 octobre à Grenoble. Elles étaient organisées par la Fédération des alpages de l’Isère (FAI), le Suaci Montagn’alpes1 et le réseau pastoral2 Auvergne Rhône-Alpes et placées sous l’égide de la Suera3. « Les enjeux dépassent les frontières », a lancé Christiane Barret, déléguée à la présidence française de cette structure coopérative interrégionale et interétatique. « C’est un paradoxe, il n’est pas possible d’avoir des produits de qualité, de l’élevage extensif et de virer les éleveurs de montagne. La Pac doit soutenir un élevage de qualité et résilient au changement climatique », a déclaré Luc Falcot, président du Cerpam4. Car ces assises ont non seulement le mérite de compiler et de partager toutes les avancées en matière de sauvegarde et de développement de l’activité pastorale, mais également l’ambition d’être force de proposition dans le cadre des politiques publiques, dont la Pac. Trois axes ont plus particulièrement été développés : les solutions pour le pastoralisme face au changement climatique ; la souveraineté alimentaire et la valorisation des produits pastoraux ; la cohabitation entre métropoles et espaces pastoraux.

Écosystème en danger

Euromontana5, association européenne des zones de montagne, a recensé plusieurs études financées par le programme européen Life sur les prairies permanentes. « C’est un écosystème en danger, a lancé Marie Clotteau, la directrice. 75 % des prairies permanentes sont dégradées. » Elle a rappelé que sans intervention humaine, il n’y a pas de prairie et encore moins de biodiversité. L’association a collecté 31 bonnes pratiques, parmi lesquelles, la Suisse qui, dans le cadre de sa propre politique agricole, a instauré le paiement direct pour contribution au paysage cultivé et à la biodiversité. L’Italie, quant à elle, lutte contre l’abandon des territoires en mobilisant plusieurs fonds de façon à favoriser l’accès à la terre. La Slovénie s’est engagée à réhabiliter les surfaces abandonnées tout en veillant à leur rentabilité. Le Portugal a fait du pastoralisme un moyen de lutte contre les incendies : les unités de gestion du bétail sont devenues les nouveaux soldats du feu. La Grèce équipe son bétail électroniquement pour garantir la traçabilité de l’élevage extensif. Et le projet inter-État (Suisse, Allemagne, Espagne) Bergwald (montagne-vallée) propose de dépasser les incompréhensions entre zones urbaines et zones rurales, en recrutant des volontaires pour maintenir les paysages alpins ouverts et les sensibiliser au fonctionnement de ce système.

La directrice du think-tank a également insisté sur les attentes d’Euromontana afin que dans la future Pac, les ecoschemes6 tiennent compte des services fournis par le pastoralisme aux écosystèmes. Pour Christophe Léger, président du Suaci Montagn’Alpes, il convient d’être très vigilant quant au risque de simplification des conditionnalités de la Pac sur le verdissement, autour de la bio ou de la HVE (haute valeur environnementale), excluant « la subtilité de nos territoires ». Petite satisfaction partagée par l’ensemble des acteurs : l’inscription en 2019 de la transhumance à la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco. Avec l’espoir que bientôt elle sera rejointe sur cette même liste par le Patrimoine alimentaire alpin (projet AlpFoodway).

Politiques publiques

Une partie des Assises a été dédiée aux échanges très fournis entre professionnels du pastoralisme, chercheurs et représentants des collectivités. L’occasion de redire l’importance des outils numériques comme moyens de partage de connaissance, la nécessaire valorisation des emplois pastoraux, la réduction du fossé entre zones urbaines et zones rurales. Guillaume Rousset, directeur régional adjoint de la Draaf Aura (ministère de l’Agriculture en région), a expliqué que le plan de relance de 1,2 milliard d’euros dédié à l’agriculture et à l’alimentation compterait 10 millions d’euros (M€) pour les métiers et la formation, 80 M€ pour les projets alimentaires territoriaux (PAT) et 100 M€ pour les abattoirs. « Il y a des opportunités à saisir », a-t-il commenté. Didier-Claude Blanc, conseiller régional, a quant à lui pointé le risque de l’épuisement des éleveurs et des bergers. La Région soutient le dispositif Maploup, le programme de sélection de chiens de bergers, la mise en place du système de drones pour effaroucher le loup et subventionne des logements pour les bergers. Mais François Thabuis, vice-président du Suaci et éleveur en Haute-Savoie, attend un vrai plan de soutien à l’élevage de montagne et un investissement des politiques publiques. « Il ne faut pas changer le pansement, mais penser le changement », a-t-il déclaré.

Jamais sans le loup

Bien sûr, le loup n’a pas eu besoin d’invitation pour s’immiscer dans les débats. Il est vrai qu’il est un des deux enjeux majeurs pour le pastoralisme - avec le changement climatique – et souvent placé au premier plan des menaces pour l’activité (voir ci-contre). « On passe du temps à parler prédation, du temps qui n’est pas pris sur d’autres sujets, a déclaré Denis Rebreyend, le président de la FAI, à l’issue des assises. J’espère que les actions seront cohérentes, simples, applicables et accessibles. » « L’avenir dépend de la coopération entre toutes les forces qui oeuvrent au bénéfice de la montagne, à commencer par les agriculteurs des espaces alpins », a apporté en conclusion Wolfgang Mayrhofer, secrétaire de la Convention alpine7 et membre de la Suera. Enfin, Christiane Barret a assuré que ces sujets seraient portés à Bruxelles. « Le commissaire européen à l’Agriculture est prêt à nous rencontrer en visioconférence », a annoncé la présidente déléguée de la Suera.

Isabelle Doucet

1. Le Suaci ou Service d’utilité agricole à compétence interdépartementale est un organisme inter-établissement de réseau, créé par les Chambres d’agriculture et étendu à d’autres organismes avec pour objet les politiques montagne et les problématiques alpines.
2. Le réseau pastoral alpin est constitué des services pastoraux alpins et du Suaci (FAI, Adem26 etc.)
3. La Suera est la Stratégie de l’Union européenne pour la région alpine. Également appelée Eusalp, elle couvre un territoire de 80 millions d’habitants et 48 régions situées dans sept pays, dont cinq États membres de l’UE – Allemagne, Autriche, Italie, Slovénie et France – et deux pays tiers – Suisse et Liechtenstein. Auvergne Rhône-Alpes, Provence-Côte-d’Azur et Bourgogne-France-Comté font partie de cette structure coopérative, dont le rôle est consultatif. La présidence de la France, confiée à Christiane Barret, a été prolongée jusqu’en 2021.
4. Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée.
5. Euromontana est l’Association européenne multisectorielle pour la coopération et le développement des territoires de montagne. C’est un think-tank dont la mission est de promouvoir des montagnes vivantes en oeuvrant pour le développement global et durable et l’amélioration de la qualité de vie. Elle rassemble des organisations nationales et régionales de différents pays de l’Europe et compte 60 membres dans 15 pays.
6. Dans la future Pac, les « ecoschemes » sont une conditionnalité de paiement du premier pilier en lien avec des exigences de verdissement.
7. La Convention alpine offre un cadre juridique aux États de l’espace alpin (Allemagne, Autriche, Italie, Slovénie, France, Monaco, Suisse et Liechtenstein). C’est un traité international dont l’objet porte sur la protection de la nature, le développement durable, l’aménagement de la montagne, l’agriculture et la forêt, l’énergie, le tourisme, les transports et la protection des sols.

Image
Le nombre de bêtes estivées est impressionnant : 770 000 ovins (75 % des animaux), 92 000 bovins allaitants (28 % du cheptel) et 25 000 vaches laitières (20 % de l'effectif).

Les Alpes et le pastoralisme en chiffres

DÉCRYPTAGE / Le domaine pastoral représente 1,13 million d’hectares, soit 28 % de la superficie du massif français. Portrait d’une économie de montagne dynamique mais menacée.

Quand Philippe Cahn, président du réseau pastoral Auvergne Rhône-Alpes, présente les chiffres du pastoralisme dans les Alpes, il fait valoir le poids de toute cette économie de montagne et de ses enjeux. Le domaine pastoral représente 1,13 million d’hectares, soit 28% de la superficie du massif français, dont 17% d’estives et 11% de zones pastorales. Le nombre de bêtes estivées est tout aussi impressionnant : 770 000 ovins (75% des animaux), 92 000 bovins allaitants (28% du cheptel) et 25 000 vaches laitières (20% de l’effectif). Pas moins de 5500 personnes travaillent en estive et 53% des surfaces sont gérées par des groupements pastoraux, principalement en élevage ovin. L’utilisation individuelle est surtout le fait des élevages bovins des deux Savoie, où 97% de la production est transformée. Enfin, les flux de transhumance observent une tendance sud/nord-est, principalement ovine, les bovins (en hausse de 8% depuis 1996) pratiquant des déplacements plus localisés, hormis le flux transfrontalier avec l’Italie.

Adaptation et résilience

« Le pastoralisme est menacé par la prédation qui impacte durement nos systèmes intensifs. C’est une calamité », a tranché Philippe Cahn lors des Assises euro-alpines du pastoralisme. On recense en 2018, 3500 attaques qui ont fait environ 11 000 victimes. Les pertes en 2019 s’établissent à 6000 ovins pour la région Paca et 3500 pour Aura. Mais dans les Alpes disparaissent aussi des bovins (environ 150), des caprins (plus de 400) des chiens (presque 100) et des équins (une dizaine). Le président du réseau pastoral Aura pose la question des moyens de protection et de la façon « d’unifier nos efforts ». Maploup, le portail d’information sur la prédation par le loup dans la région Auvergne Rhône-Alpes lancé en Isère et en Savoie, a obtenu une reconnaissance nationale. Il devrait s’étendre au sud des Alpes. « La biodiversité, c’est l’élevage et non pas le loup », a martelé le président du réseau pastoral.

Communication

L’un des grands enjeux est la communication autour des activités pastorales, mais aussi l’amélioration des relations entre usagers des espaces pastoraux et la meilleure valorisation des produits issus de ce type d’élevage (voir ci-contre). Autant d’actions qui requièrent le recrutement d’une main-d’oeuvre qualifiée et formée, surtout quand il s’agit de faire face au loup. La crise sanitaire a généré une plus grande fréquentation de l’espace montagnard, multipliant les risques et les interactions, obligeant à rappeler les règles de partage de la montagne. L’autre grande affaire du pastoralisme du XXIe siècle est l’adaptation au changement climatique. Les sécheresses interrogent sur la ressource en eau et les fourrages ; elles nécessitent un accompagnement technique et des investissements.

Isabelle Doucet

ALIMENTATION / S’entendre pour valoriser les produits pastoraux

L’économie de montagne ne va pas sans la valorisation des produits pastoraux. Lilian Vargas, en charge de l’agriculture à Grenoble Alpes métropole a présenté, le 8 octobre à Grenoble, les initiatives locales comme le PAIT (projet alimentaire interterritorial) de la région grenobloise. Il a pour ambition de lutter contre la pression foncière et de reterritorialiser le système alimentaire. Il met en perspective une production diversifiée, qui va de la plaine à la montagne, avec son bassin de consommation, dense mais aussi vecteur de pression foncière. Il a aussi cité l’association des viandes ovines agropastorales, qui valorise ses produits en Isère en circuit court et avec la restauration hors domicile. Mais pour promouvoir une offre segmentée, il faut que l’ensemble des acteurs s’entendent sur un socle de valeurs et qu’un réseau soit capable de se (re)construire autour de la logique de relocalisation. C’est ce que les Grenoblois appellent « un système alimentaire du milieu » (Syam), qui a prouvé sa pertinence et sa capacité à émerger en période de crise. Le projet européen 100 % local a pour ambition de formaliser une telle démarche à l’échelle du massif.

I.D.