CHANGEMENT CLIMATIQUE
Comment s’adaptent les systèmes fourragers ?

Mylène Coste
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Face aux évolutions du climat, les éleveurs doivent s’adapter et modifier leurs stratégies fourragères. En montagne, malgré les nombreuses difficultés liées aux aléas climatiques, la hausse des températures offre aussi de nouvelles opportunités. 

Comment s’adaptent les systèmes fourragers ?
En produisant du maïs fourrager à Devesset, en variété ultra-précoce, Marc-Antoine Roche a gagné en autonomie.

Les agriculteurs sont en première ligne face aux évolutions du climat. Et la liste est longue : des hivers plus doux, des étés plus chauds et plus longs, des sécheresses récurrentes, mais aussi des « extrêmes climatiques » plus fréquents tels que les gels tardifs … Face à ces données nouvelles, certains éleveurs font évoluer les systèmes fourragers, en montagne notamment.

Du maïs… à 1 000 mètres !

Installé à Devesset depuis 2011, à près de 1 050 m d’altitude, Marc-Antoine Roche ne compte pas se laisser doubler par les évolutions du climat… Bien au contraire ! Depuis plusieurs années déjà, cet éleveur de montbéliardes expérimente des stratégies d’adaptation, et notamment l’introduction du maïs. « Dès mon installation, j’avais pour ambition d’être le plus autonome possible en matière de fourrages. J’ai démarré la culture du maïs en 2014, avec 3 ha seulement, sous un voile de forçage plastique. Cela m’a permis de réduire les achats de maïs ensilage de la vallée du Rhône, dont la qualité laissait parfois à désirer et qui est surtout très onéreux ! » Aujourd’hui, Marc-Antoine Roche cultive 12 ha de maïs. « Depuis 2019, j’ai arrêté la culture sous plastique dont la mise en place avait un coût, et l’impact en termes d’écologie et d’image ne me convenait pas ! » Pour les semis, réalisés en mai, l’éleveur utilise un semoir partagé avec cinq de ses confrères, via la Cuma du Chambon : « Nous semons en tout une centaine d’hectares de maïs. » Son conseil ? « Ajouter aujourd’hui des micro-granulés de phosphore au moment des semis, pour accélérer les maturités ».

Cette année, avec un été froid et pluvieux, le maïs a du mal à atteindre sa maturité.

Des variétés ultra-précoces

Guillaume Chaze, éleveur bovins et ovins viande à Lesperon, cultive lui-aussi du maïs ensilage, pour la deuxième année consécutive. « Nos voisins lozériens font déjà du maïs depuis quelques années. Nous, nous avons choisi de remplacer la culture de lentilles vertes, qui était très fluctuante, par du maïs. Nous avons implanté du maïs Avitus KWS (G 160 / F 160, NDLR), une variété utilisée pour les semis tardifs en zone de plaine, précise le jeune éleveur. Nous avons choisi un terrain à 1200 m d’altitude mais de qualité, exposé plein sud. »

De son côté, après avoir testé plusieurs indices, Marc-Antoine Roche a opté pour des indices de 200, en variété ultra-précoce Autens de chez KWS. 

Des résultats intéressants

Pour Guillaume Chaze aussi, « le résultat est plutôt bon, et le maïs ensilage est bien valorisé dans l’alimentation des animaux. »

Du côté de Marc-Antoine Roche, les résultats sont probants : « Ces dernières années, les rendements se situent autour de 13 t de matière sèche (MS)/ha, avec de belles maturités qui ont permis d’assurer les stocks et de pallier au manque d’herbe. Cela me permet de faire de vraies économies : l’achat de maïs me coûtait auparavant près de 4000 € par an ; aujourd’hui, j’ai diminué mes frais par deux ! La mise en place me coûte 300 à 400 €/ha. Autre avantage : Lorsque j’achetais du maïs, je n’en donnais aux animaux que l’hiver. Aujourd’hui, ma production me permet de leur en donner toute l’année, et je vois les effets sur la quantité et la qualité du lait. Même les vaches de réforme sont mieux valorisées. Et d’ajouter : Ce gain d’autonomie m’a aussi permet d’éviter trois allers-retours de camions depuis la vallée du Rhône. Je limite l’empreinte carbone de mon exploitation. »

Mylène Coste

Semis de prairies sous céréales : « Une stratégie gagnante ! »

Depuis quelques années, Marc-Antoine Roche réalise ses semis de prairie en fin d’hiver / début de printemps, dans des céréales d’hiver implantées à l’automne, triticale et seigle notamment. « Je sème mes prairies fin mars avec un semoir à disque, puis je les roule. Cela me permet de réduire le coût d’implantation de la prairie, puisque je n’ai pas de travail au sol préalable. Les résultats sont également meilleurs : les semis de légumineuses sont plus faciles lorsqu’on les fait au printemps plutôt qu’à l’automne. On a beaucoup plus de trèfles, et c’est d’autant plus intéressant que l’on réduit l’achat de protéines. »  Aujourd’hui, l’éleveur ne sème plus que 2 ha de prairies temporaires à l’automne, et 4 ha au printemps, dans des céréales. 

Une prairie semée en direct dans la céréale, au mois de mars, et déjà bien implantée après la moisson (photo de septembre 2019).
Une prairie semée en direct dans la céréale, au mois de mars, et déjà bien implantée après la moisson (photo de septembre 2019).
« La double culture méteil-moha peut être une solution »
Emmanuel Forel

« La double culture méteil-moha peut être une solution »

TROIS QUESTIONS À / Emmanuel Forel, conseiller Agronomie - Fourrages à la Chambre d'agriculture de l'Ardèche.

Quelles opportunités de diversification s’offrent aux éleveurs de montagne ?

Emmanuel Forel : « L’introduction de cultures d’été dans les assolements peut être une opportunité. Le maïs se développe à plus de 1000 m sur les secteurs de St Agrève ou de Lespéron avec d’assez bons résultats. Les suivis réalisés en 2018-2019 ont montré qu’on peut atteindre 11-13 t MS/ha y compris avec des étés secs (2019). Cette culture implique des changements non négligeables pour des systèmes historiquement herbagers : semoir mono-graine, récolte en ensilage, silo couloir et dessileuse…. Si la valeur fourragère du maïs est élevée (énergie), il faut tout de même atteindre un rendement supérieur à 10 t MS/ha pour le rendre compétitif. »

Outre le maïs, quelles solutions semblent prometteuses ?

E.F. : « La double culture méteil-moha peut être une solution pour rester dans un système herbager « classique ». Le méteil semé à l’automne est récolté assez tôt (tout début épiaison de la céréale) pour permettre l’implantation du moha après un travail superficiel. Le moha est une graminée moins sensible que le sorgho fourrager vis-à-vis des basses températures ; il est donc à privilégier. Sa récolte pourra se faire en enrubannage ou directement par les animaux au pâturage. Les observations réalisées à Saint-Agrève montrent qu’il est possible d’atteindre 10 à 13 t MS/ha sur la double culture : 6-7 t MS/ha sur le méteil et 3-6 t MS/ha sur le moha, soit autant que sur maïs ! »

Quelles stratégies pour les semis de prairie, devenus difficiles à l’automne du fait de la sécheresse ?

E.F. : « L’utilisation de la prairie temporaire est bien ancrée sur nos montagnes. Cependant les conditions climatiques rendent parfois les semis d’automne impossibles du fait de la sécheresse. L’implantation au printemps reste donc une bonne option. Deux options sont possibles. La première est de réaliser ses semis en avril après travail du sol classique (labour et préparation du lit de semences) : dans ce cas, on sèmera la prairie sous couvert d’une céréale de printemps (avoine, triticale) qui pourra être soit enrubannée soit moissonnée. Une autre option consiste à semer directement la prairie dans une céréale d’hiver implantée à l’automne. On choisira des espèces agressives comme le ray-grass italien ou hybride et le trèfle violet, et une implantation précoce dès le mois de mars à 1000 m. Cette technique permet de limiter le travail du sol et favorise l’implantation des légumineuses. »

Propos recueillis par M.C.

Une culture de moha, 70 jours après le semis.
Une culture de moha, 70 jours après le semis.