SYLVICULTURE
Adapter nos forêts au changement climatique

À l’initiative du CNPF1 Aura et de Fransylva 072, une journée de sensibilisation au sujet de la gestion forestière face au changement climatique a été organisée à destination des nombreux propriétaires forestiers de la montagne ardéchoise.

Adapter nos forêts au changement climatique
Les propriétaires forestiers, avec au premier plan, de gauche à droite, Bernadette Roche, conseillère départementale, Christian Pascal, trésorier Fransylva, Jean-Louis Testud, vice-président Fransyla, et en pull rouge l'ingénieur du CNPF, Stéphane Grulois. ©AAA_MMartin

Difficile de réunir des propriétaires forestiers et de diffuser l’information quand, parfois, les propriétaires ne savent même pas qu’ils le sont, ou vivent dans les sphères urbaines, éloignées de la forêt. Pourtant, toutes les chaises sont occupées en ce vendredi matin, dans la salle polyvalente de Saint-Cirgues-en-Montagne. Il faut dire que le thème abordé - celui du changement climatique - sait réunir.

Forêt et changement climatique

Guillaume Mele, technicien forestier au CNPF Aura, commence par énumérer les essences que l’on retrouve le plus souvent sur la montagne ardéchoise : « Nous avons de l’épicéa, du hêtre, du sapin pectiné, des pins sylvestres. Les parcelles forestières sont très morcelées en Ardèche, on est à moins de 4 hectares par propriétaire en moyenne sur la montagne ardéchoise ». L’Ardèche est pourtant le département le plus forestier de la Région Auvergne-Rhône-Alpes.

Qui dit forêt, dit notion de temporalité radicalement différente du temps humain. À échelle des arbres, le temps se distend, les années se transforment en siècle. Si l’humain peut prédire la croissance de température jusqu’en 2040, quid de la température sur la montagne ardéchoise d’ici 2100 ? C’est pourquoi, l’un des enjeux majeurs des forêts est l’adaptation au changement climatique, afin d’anticiper les forêts de demain.

Risques climatiques

« Les températures et périodes de sécheresse sont en hausse et les précipitations moins bien réparties », résume le technicien du CNPF. « Il y a aussi moins de jours de gel, mais de la pluie à la place. Le manteau neigeux diminue également. Aujourd’hui, d’après le rapport du Giec3, tous les scénarios pour le futur tendent vers une augmentation des températures. Ce qui a un impact sur les écosystèmes et la société humaine. Tous ces éléments modifient le cycle de croissance, perturbent les ressources et impactent la production agricole et forestière », constate Guillaume Mele, devant des propriétaires attentifs. « Il y a des essences d’arbres qui vont monter sur la montagne ardéchoise et d’autres qui vont disparaître. Le Douglas sera plus adapté sur le long terme que l’Épicéa commun. » Pour l’ingénieur territorial du CNPF Drôme Ardèche, Stéphane Grulois, « les châtaigniers montent déjà en altitude. Si en 40 ans, la température augmente de 1,5 °C, d’ici 2100, il n’y aura plus de résineux dans le Massif central ».

La conséquence de ces changements atteint la santé des forêts, affaiblies et davantage propices aux ravageurs, à l’instar de l’Épicéa commun, sensible à la sécheresse. De plus, cela accroît les risques d’incendies. « À cause de la biomasse, pas forcément gérer et des ravageurs qui tuent les arbres », explique Guillaume Mele. La gestion de forêt est pourtant primordiale puisqu’elle stocke le carbone et le rejette une fois l’arbre mort naturellement sur pied. « D’où l’intérêt de réaliser la coupe avant qu’il ne meure. Cela limite les incendies et préserve les sols, dans le cas de futaie irrégulière ou sans coupe rase, car il n’y a pas de risque d’érosions et d’appauvrissement des sols. Les rémanents, les branches sans valeur économiques, sont laissés en forêt et fournissent un effet de "paillage" qui va tenir l’humidité des sols forestiers », intervient le technicien du CNPF. La forêt, a également un rôle économique à jouer sur le marché du bois.

C’est alors tout un système forestier qui peut être en péril si la gestion n’est pas réalisée grâce à une coupe de bois raisonnée et à la diversification des essences. La taille des parcelles de certains propriétaires peut être un frein pour aborder la gestion forestière. Pourtant, des solutions existent.

Adaptabilité et résilience, ou comment se regrouper et se diversifier

Pour adapter la sylviculture face au changement climatique et pouvoir réaliser des actions significatives sur leurs parcelles, et notamment des futaies irrégulières, les propriétaires forestiers peuvent se rapprocher des ASLGF4. Ces associations regroupent des parcelles forestières pour les « massifier » en vue d’une gestion commune via un Plan simple de gestion (PSG), rédigé par un expert forestier. La valorisation des parcelles permet de vendre le bois à un meilleur prix.

Le traitement irrégulier, s’inscrit dans une gestion durable de la forêt. Il est pertinent à partir de deux hectares minimums. Ce type de traitement permet une permanence du couvert forestier. Il n’y a pas de cycle ni de coupe rase, ce qui maintient les sols. Il génère de petits revenus, mais de façon régulière. Une gestion en futaie irrégulière nécessite moins de coûts de travaux, mais davantage de coûts de gestionnaire. Contrairement à la futaie régulière, qui demande de grands investissements de la part des propriétaires et génère d’importants revenus, mais rares. Le traitement régulier se conclut par une coupe rase en fin de cycle. En montagne, cela peut engendrer l’érosion des sols.

La diversification des essences est un autre enjeu essentiel pour s’adapter au changement climatique. « Pour une meilleure résilience », devise Guillaume Pelle. Elle peut se faire naturellement (par régénération naturelle) ou artificiellement (via des plantations). C’est le travail d’un gestionnaire forestier. « Il y a tout un jeu de lumière pour apporter des essences différentes dans le peuplement », intervient Nicolas Monneret, expert forestier. Pour la diversification naturelle, il y a des essences locales comme le châtaignier en Ardèche qui peuvent être utilisées. « Avant l’introduction de nouvelles essences, on peut favoriser celles qui existent déjà. On peut aussi essayer les essences du pourtour méditerranéen, ce qui induira une évolution des paysages », développe l’expert. Pour savoir quelles essences sont plus adaptées au climat, à l’exposition ou au type de sol, des outils de mesure établissent des diagnostics, comme l’appli « Bioclimsol » ou le site « ClimEssence. » « L’objectif est de mieux desservir les massifs, mobiliser du bois, faciliter le travail sylvicole et améliorer les dessertes. Il faut aussi éclaircir pour diminuer la concurrence en eau », résume Guillaume Mele.

Aides aux opérations sylvicoles

« Les parcelles sont peu exploitées, nous consommons environ 40 % de l’accroissement annuel de la forêt, par manque de voies d’accès notamment », alerte le trésorier de Fransylva, Christian Pascal. Un véritable appel aux propriétaires forestiers pour améliorer la gestion des forêts, encouragées par des aides de la Région et du Département (sauf pour le boisement des terres agricoles ou d’accrus). L’aide publique peut atteindre jusqu’à 80 % du devis avec une surface minimale par type de travail, de 2 hectares. Elle est conditionnée à un Document de gestion durable (DGD), que tous les propriétaires doivent présenter. « La nature des travaux peut être de l’ordre du dégagement, dépressage, élagage, aide au marquage, conversion des taillis ou bien choix ou mélanges des essences, ou encore choix des peuplements résilients et résistants à la sécheresse, et enfin pour privilégier davantage de diversité », énumère l’ingénieur territorial dans une liste non exhaustive. Les dossiers sont montés à l’aide du CNPF, qui reçoit des financements de la part du conseil départemental pour organiser des journées d’information.

« Fransylva peut également aider à financer de nouvelles plantations dans le cadre du label bas carbone. Même si la parcelle appartient à un propriétaire privé, c’est un service rendu à l’ensemble de la population », tient à préciser l’ingénieur. Un contrôle collectif doit s’exercer. « 90 % de la forêt en Ardèche appartient au privé », rappelle-t-il.

Face à un taux de boisement élevé en Ardèche (54 % contre 30 % de moyenne nationale), les propriétaires forestiers du territoire ont un rôle à jouer dans l’écosystème à venir, via la gestion durable de la forêt. Pour que demain les montagnes ardéchoises continuent d’arborer un paysage aux mille couleurs et de contribuer à l’économie du territoire.

Marine Martin

1. Centre national de la propriété forestière.

2. Fédération des syndicats de forestiers de France.

3. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

4. Associations syndicales libres de gestion forestière.

Dans la forêt d’un propriétaire privé
Patrick Pascal et les propriétaires forestiers devant le premier châtaignier « qui a poussé tout seul ». ©AAA_MMartin
EXPERIMENTATION

Dans la forêt d’un propriétaire privé

Propriétaire forestier depuis 25 ans, Patrick Pascal dévoile sa forêt située, à 1 100 mètres d’altitude, sur les hauteurs de Saint-Cirgues-en-Montagne.

Principalement peuplée de Douglas, essence davantage adaptée à la montagne ardéchoise face au changement climatique, et de Hêtres, Patrick Pascal a décidé de mutualiser ses 12,5 hectares de forêt avec celle de son voisin, pour atteindre une quarantaine d’hectares et effectuer une éclaircie de 22 hectares. « L’objectif est de faire pousser du Mélèze en créant de la compétition entre les arbres en laissant passer la lumière », explique-t-il. « Je souhaite tendre vers une futaie irrégulière et avoir une forêt diversifiée pour lutter contre les maladies. » Le bois est vendu pour l’énergie, pour les palettes et en bois de fermettes.

En parallèle, il mène une petite plantation expérimentale de Chêne rouge d’Amérique et de Châtaignier greffé. « J’ai un châtaignier qui a poussé tout seul, ainsi qu’un chêne. Alors j’ai voulu poursuivre l’expérience en plantant des châtaigniers greffés, de la variété Comballe. Pour le Chêne rouge, c’est une essence qui pousse plus vite que le Chêne classique. Je voulais sortir du résineux et passer au feuillu. J’en ai planté 140. Certains n’ont pas tenu, j’ai 50 % de reprises, ils sont résistants, certains repartent du pied », révèle-t-il, confiant.

Patrick Pascal a protégé ses plans contre le gibier qui pourrait détruire ces jeunes arbres fragiles. Filets, piquets, et même laine de mouton entourent les jeunes arbrisseaux. « Le coût de la protection est supérieur à celui des plans », plaisante-t-il.

Le choix de l’arbre à couper
« Le coeur symbolise sa première année de croissance », indique Jacques Dodero. ©AAA_MMartin
SAVOIR-FAIRE

Le choix de l’arbre à couper

Aujourd’hui, les enjeux autour de la forêt sont multiples. Si celui autour du changement climatique et de l’adaptation des forêts est primordial, la forêt n’en demeure pas moins un enjeu économique. Mais avant de vendre le bois, il faut savoir choisir quel arbre couper. Explication.

Tout en déambulant dans la forêt de Douglas, Jacques Dodero, propriétaire forestier près de Meyras, pointe un arbre rectiligne du doigt : « C’est un arbre d’avenir, on ne le coupe pas. On coupe ceux qui ont le plus de nœuds à côté, pour laisser l’espace nécessaire à l’arbre de se développer. Pour déterminer s’il est mûr et donc prêt à être coupé, on utilise un compas. Pour les essences Fayard ou Douglas, la limite est 60 centimètres de diamètres pour les scieries locales », explique ce passionné de forêts. « Plus on vend des arbres grands, au mieux, ils sont valorisés. Ils peuvent atteindre 16 mètres de long », ajoute Frédéric Durand, propriétaire voisin, dont l’éclaircie a été réalisée à cheval sur ses parcelles et celles de Patrick Pascal.

Un savoir-faire qui s’acquiert au fur et à mesure du temps passé en forêt pour les propriétaires de parcelles. Alors, que sera la forêt de demain si le propriétaire n’arpente pas ses futaies ?



La coupe après l'éclaircie. ©AAA_MMartin
Au milieu de la forêt de Douglas, la clairière attend les Mélèzes. ©AAA_MMartin
Granjean Patrick, ancien forestier à la DDT, inspecte un spécimen Vancouver, qui a eu la place de se développer grâce à la coupe des arbres adjacents. ©AAA_MMartin
Éclaircie. ©AAA_MMartin
Châtaignier greffé dans la forêt expérimentale de Patrick Pascal. ©AAA_MMartin
Chêne rouge sur la parcelle de Patrick Pascal. ©AAA_MMartin