VINS AOP
Du Rhône au Roussillon, le réseau Dephy face au défi du changement climatique

Marin du Couëdic
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Les agriculteurs du groupe Dephy viticulture des côtes-du-rhône septentrionales ont accueilli un groupe de vignerons des Pyrénées-Orientales, le 25 novembre. L'occasion d'échanger sur leurs pratiques pour réduire l'usage de produits phytosanitaires et s'adapter au changement climatique.

Du Rhône au Roussillon, le réseau Dephy face au défi du changement climatique
Denis Duclaut, du Gaec de la Sorbière, détaille ses techniques de travail du sol à un groupe de vignerons des Pyrénées-Orientales.

La visite de l'exploitation de Denis Duclaut et ses 3,5 hectares de vignes en zone d'appellation Saint-Joseph, sur les hauteurs de Sarras, provoque des sifflements admiratifs. Quand certains visiteurs étudient de près une parcelle de Marsanne « de belle hauteur », d'autres discutent engrais verts et entretien mécanique des sols avec le propriétaire des lieux. Ce jeudi 25 novembre, l'agriculteur du groupe Dephy viticulture des côtes-du-rhône septentrionales accueille une dizaine de vignerons des Pyrénées-Orientales, membres eux-aussi du réseau Dephy sur leur vignoble en AOP côte-du-roussillon. Objectif de la journée, ponctuée par la visite d'une autre exploitation à Glun et la découverte des caves de Saint-Désirat et de Tain : « Échanger les uns et les autres sur leurs techniques et habitudes de travail pour réduire leur usage de phytos et faire face à la réalité du changement climatique », résume Amandine Fauriat, conseillère viticulture à la Chambre d'agriculture de l'Ardèche et organisatrice de la rencontre.

Car c'est d'abord la problématique du climat qui rapproche ces viticulteurs engagés dans des démarches agroenvironnementales. Comme sur le bassin du Rhône, l'humidité a posé d’importants problèmes cet été dans le Roussillon. « 90 millimètres d'eau sont tombés sur les vendanges, ce qui a fait pourrir une partie des cépages », rapporte Éric Noémie, conseiller viticole à la Chambre d'agriculture des Pyrénées-Orientales, lui-aussi du voyage en Ardèche. « Sur nos sols granitiques très légers, il y a un risque d'érosion quand il pleut beaucoup », rebondit Denis Duclaut. Celui qui exerce en parallèle une activité de polyculteur-éleveur à La Motte-de-Galaure (40 vaches laitières, 50 hectares de céréales) a expliqué dans le détail aux visiteurs ses techniques de travail du sol, en utilisant notamment de la matière organique issue de son élevage bovin. « J’enherbe depuis 1993 suite aux dégâts causés par un gros orage. Mes parcelles sont désherbées sous le rang avec un seul apport chimique en juillet. En complément, je sème du trèfle souterrain et du blé et j'épande une dizaine de tonnes de fumier par hectare au printemps. »

Irrigation et cépages résistants

Plus largement, les discussions se sont attardées sur la sécheresse qui frappe durement les visiteurs sur leur vignoble situé au sud de Perpignan. « Notre principale préoccupation outre les phytos, c'est le stress hydrique. Nous sommes au pied du mur dans les Pyrénées-Orientales », reprend Éric Noémie. Pour y remédier, ces vignerons coopérateurs (Cave de Terrassous) défendent l'irrigation et l'intégration de cépages plus résistants. « Le cahier des charges interdit d'arroser sur l'appellation Saint-Joseph. Pour autant, une réflexion pourrait être menée sur les cépages résistants. Avec un unique cépage Syrah en rouge, nous n'avons pas d'issue de secours », intervient Amandine Fauriat. « La mortalité en Syrah est catastrophique. Ma vigne la plus vieille a été plantée en 2014 », abonde Denis Duclaut.

La journée s'est poursuivie avec une dégustation à la Cave de Saint-Désirat et une visite de la Cave de Tain. Dans le chai, les discussions se sont notamment orientées vers la problématique commune du renouvellement des générations. Outre un engagement vers l'agriculture biologique (300 ha en bio d'ici quatre ans) et les démarches agroenvironnementales, la Cave de Tain fait appel au fermage à long terme pour lancer des jeunes et a mis en place des aides à la plantation et à la culture en coteaux. Les invités de la coopérative des Pyrénées-Orientales, dont la moyenne d'âge est également élevée, ont pris des notes.

Douze viticulteurs engagés entre l'Ardèche et la Drôme

Les Côtes-du-Rhône septentrionales, leurs pentes escarpées, leur vignoble d'exception... Et leurs pratiques agroenvironnementales d'avant-garde. Depuis juillet 2016, douze viticulteurs de l'Ardèche et de la Drôme bénéficiant de l'une des prestigieuses appellations d'origine (Saint-Joseph, Crozes-Hermitage, Hermitage, Saint-Peray, Cornas, Condrieu) sont regroupés dans un groupe Dephy, réseau de fermes engagés dans la réduction des produits phytosanitaires tout en maintenant leur objectif de production. Collectivement et dans la transparence la plus totale, ces vignerons coopérateurs ou en cave particulière testent des pratiques et techniques alternatives variées (engrais verts, produits de biocontrôle, épandage par drone, etc.) et comparent leurs solutions avec le soutien des Chambres d'agriculture, avec l'objectif de les diffuser plus largement dans le milieu agricole.

L'AOP Saint-Joseph perd 170 hectares

La récolte 2021 a été la dernière pour 170 des quelques 1 000 hectares que compte l'appellation d'origine protégée Saint-Joseph, étalée sur 26 communes de la rive droite du Rhône. Un décret de 1994 sur la révision de la zone de l'aire de production avait en effet prévu une période de 27 ans pendant laquelle ces parcelles pourraient continuer à bénéficier du droit à l'appellation. Cette mesure compensatoire valait jusqu'à arrachage des vignes ou au plus tard jusqu'à la récolte 2021 incluse. « La volonté des décideurs de l'époque était de relocaliser sur la qualité, avec des vignes ramenées dans les coteaux, explique Mickaël Séguier, technicien viticole à la Cave de Saint-Désirat, qui produit environ 50 % de l'appellation Saint-Joseph. Aujourd'hui, les viticulteurs ont l'autorisation de planter une quarantaine d'hectares par an mais les seuls espaces disponibles sont des coteaux escarpés. On arrive petit à petit au maximum de plantation. »

Dégustation à la Cave de Saint-Désirat
Dégustation de Saint-Joseph à la Cave de Saint-Désirat.