FILIÈRE BOIS
La construction bois déstabilisée par la pénurie de matière

Pierre Garcia
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Depuis plusieurs mois, le secteur de la construction bois fait face à une tension du marché qui se traduit par une hausse des prix et des retards de livraison. Etat des lieux avec les professionnels du secteur, constructeurs, scieurs, qui doivent aujourd'hui gérer une situation inédite.

La construction bois déstabilisée par la pénurie de matière
Du bois de douglas brut scié par l'entreprise Filaire localisée à Sembadel en Haute-Loire. ©Filaire-SA
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Jean-Pierre Mathé, prescripteur bois-construction chez Fibois Auvergne-Rhône-Alpes. ©Jean-Pierre Mathé

A l'image de l'acier ou des composants électroniques, la filière bois doit faire face à un marché tendu depuis la fin d'année 2020. « Cette situation est conjoncturelle et assez liée à la crise de la Covid-19. Les usines ont été contraintes de stopper leur production avant de la reprendre à des moments différents. Dans le même temps, les flux de transport maritime ont été perturbés ce qui a déséquilibré le marché mondial du bois », explique Jean-Pierre Mathé, prescripteur bois-construction chez Fibois Auvergne-Rhône-Alpes, l'interprofession de la filière bois en région. « Le confinement a vu une augmentation de la demande en bois, notamment chez les particuliers. La Chine est repartie très fort, rapidement imitée par les États-Unis, deux pays pour qui le secteur de la construction est très important. Les Américains se sont mis à acheter massivement du bois européen qu'ils étaient prêts à payer plus cher ce qui a conduit les fournisseurs européens à se réorienter très fortement vers eux au détriment de l'Europe et notamment de la France », ajoute-t-il.

Hausse des prix et retards de livraison

Conséquence immédiate de ce tour de force américain : l'augmentation du prix du bois. « En moyenne, la hausse est de 30 à 40 % sur la plupart des produits. Le mètre cube de douglas a par exemple pris plus de 80 € en moins de six mois », confirme Alain Souchon de l'entreprise de construction Souchon Frères basée à Cherier (Loire). « Mécaniquement, tout a augmenté : le bois lui-même, le transport ou encore les couvertures. Nous sommes contraints de répercuter cette hausse des prix sur nos clients qui n'ont pas beaucoup de marges de manœuvres avec leurs banques par rapport au budget prévisionnel défini pour la construction de leur bâtiment », ajoute Yves Trichard, président de l'entreprise de construction Poyet située à Coutouvre également dans la Loire.

Dans le même temps, et sous la pression d'une matière première qui file directement de l'autre côté de l'Atlantique, les entreprises françaises sont désormais contraintes de tourner au-delà de leurs capacités de production ce qui engendre des retards récurrents. « Cela dépend du type de chantier et du bois utilisé mais en général, entre les difficultés d'approvisionnement et la surcharge de travail à laquelle nous faisons face, il faut compter entre deux et trois mois de retard. Comme nous n'avons aucune visibilité et que les prix flambent, nous sommes aujourd'hui contraints de faire des devis plus courts, une semaine au maximum, car la situation évolue en permanence », témoigne Pierre Dumontet, responsable chez Charpente Habitat Bois à Poule-les-Écharmeaux (Rhône).

Un retour à la normale espéré pour la fin de l'année

Dans le dur, les professionnels de la construction bois font aujourd'hui de leur mieux pour gérer leurs difficultés d'approvisionnement et l'impatience légitime de leurs clients face aux retards. D'après les estimations, la situation pourrait perdurer encore plusieurs mois et revenir à la normale à la fin de l'année 2021, en même temps que l'épidémie de coronavirus pourrait également être enfin contenue. « Il ne faut pas céder au catastrophisme, cette crise se règlera avec le temps. En attendant, nous suivons l'actualité au quotidien pour savoir comment les choses évoluent », raconte Stéphane Filaire, scieur à Sembadel en Haute-Loire.

Un point de vue optimiste partagé par Jean-Pierre Mathé de Fibois Auvergne Rhône-Alpes : « Nous pouvons espérer que les relations vont finir par se détendre et que les fournisseurs, Scandinaves notamment, décideront de se recentrer sur le marché européen dans les prochains mois ».

Pierre Garcia