FILIÈRE BOIS
Première transformation : en flux plus que tendus

Emmanuelle Perrussel
-

Face à une demande qui peine à être satisfaite, beaucoup s’interrogent sur la disponibilité de la matière première. Éléments de réponse sur le contexte du bois avec Douglas Martin, directeur de Fibois Rhône et avec Romain Gonnachon, de la scierie éponyme à Saint-Igny-de-Vers dans le Haut Beaujolais (Rhône).

Première transformation : en flux plus que tendus
Ce qui se passe dans le monde a des répercussions sur tous les maillons de la chaîne, aussi petits soient-ils : charpentiers, scieries familiales…

Y-a-t-il une pénurie de bois en France ? Les demandes sont en augmentation, par exemple dans les scieries. Les prix du bois aussi ont été revus à la hausse et les agriculteurs et les particuliers rencontrent d’importantes difficultés pour mener à bien leur projet de constructions en bois. Les transformateurs, eux, ne savent pas où donner de la tête.

« En premier lieu, n’oublions pas que la filière bois est intégrée au commerce international, bien que le circuit court soit évidemment un modèle qui se développe. Autrement dit, ce qui se passe dans le monde a des répercussions sur tous les maillons de la chaîne, aussi petits soient-ils : charpentiers, scieries familiales… Étant un matériau léger, le bois voyage beaucoup et représente 3 % de ces échanges internationaux », tient à préciser Douglas Martin, directeur de Fibois Rhône (interprofession forêt - bois). 

Moins de bois disponible en Europe

La forêt française occupe la 3e ou 4e place en termes de surfaces en Europe et « environ 50 % du bois utilisé en France est importé », ajoute le spécialiste. Au niveau mondial, en revanche, l’échelle change et la production et la consommation de bois de l’Hexagone ne pèsent presque rien face aux deux gros moteurs que sont la Chine et les États-Unis. « La demande intérieure a repris en Chine depuis la sortie de la Covid-19 et les États-Unis ont eux aussi connu un boom dans la demande. À noter par ailleurs que Donald Trump avait instauré des taxes sur le bois en provenance du Canada. Au lieu de protéger le marché américain, la mesure a finalement bénéficié aux plus grosses scieries européennes qui se sont mises à exporter massivement outre-Atlantique et vers l’Asie, d’autant plus à des prix intéressants… Entrainant de ce fait une baisse du bois disponible en Europe. Parallèlement, les particuliers ont été nombreux à lancer des travaux de rénovation ou d’aménagement chez eux (pergola, terrasse…) du fait des confinements. D’autres matériaux que le bois vivent la même situation : demandes accrues et prix plus hauts du fait de l’inflation et de la loi de l’offre et de la demande pour le PVC, la peinture, le cuivre… », poursuit Douglas Martin. 

Des commandes qui ont plus que doublé

Exemple concret de la situation actuelle : la scierie Gonnachon, installée à Saint-Igny-de-Vers (Rhône), qui emploie 10 personnes et dont Romain Gonnachon représente la 4e génération, a vu ses commandes plus que doubler ces derniers mois. Chaque jour, les appels téléphoniques et les e-mails affluent, obligeant Marion Pageaut, sa compagne, à refuser des demandes. « Nos clients sont essentiellement des charpentiers, des grossistes et revendeurs et des entreprises de rabotage. Nous faisons aussi du bois à palettes. Depuis quelques mois, nous avons dû augmenter notre amplitude horaire pour le sciage, nous sommes ainsi à 110 % de nos capacités.  Nous aimerions répondre à plus de sollicitations mais notre carnet de commande est plein jusqu’en octobre et nous devons répondre à nos clients réguliers en priorité ! », indique le gérant de l’entreprise spécialisée dans les résineux (sapin et douglas). 

Des capacités de sciage stables

Comme d’autres entreprises, la scierie Gonnachon évolue avec son temps et réalise des investissements réguliers. « En Auvergne Rhône-Alpes, les capacités de sciage restent stables ces dernières années. Il ne manque ni la matière, ni les outils, ni les compétences. Ce sont les facteurs mis bout à bout cités précédemment qui expliquent la tension actuelle. Fibois est en train de faire le point sur les problématiques et besoins des acteurs de la filière. Il ressort que ce sont essentiellement des produits assez industrialisés qui manquent (panneaux, lamellés-collés…), les bois de charpentes sont en général disponibles mais à des prix plus élevés (+ 30 %) », poursuit le directeur de Fibois.

De leurs côtés, les professionnels de la filière bois préfèrent rester prudents et ne pas abuser de cette embellie. « On ne sait pas combien de temps va durer cette situation. Le vent peut tourner vite parfois… », conclut Romain Gonnachon.

Emmanuelle Perrussel

Douglas Martin, directeur de Fibois 69 et Romain Gonnachon, de la scierie éponyme à Saint-Igny-de-Vers (Rhône) expliquent la situation actuelle de la filière.
Douglas Martin, directeur de Fibois 69 et Romain Gonnachon, de la scierie éponyme à Saint-Igny-de-Vers (Rhône) expliquent la situation actuelle de la filière.
En Auvergne-Rhône-Alpes, les capacités de sciage restent stables ces dernières années. Il ne manque ni la matière, ni les outils, ni les compétences
En Auvergne Rhône-Alpes, les capacités de sciage restent stables ces dernières années. Il ne manque ni la matière, ni les outils, ni les compétences
Une centaine de scieries contactées, sans succès
Xavier Bailly a contacté plus d’une centaine de scieries sans succès, pour trouver des madriers rainurés languettes en douglas.

Une centaine de scieries contactées, sans succès

TÉMOIGNAGE / Xavier Bailly, céréalier en AB à Saint-Symphorien-d’Ozon, a démarré un chantier de construction d‘un nouveau bâtiment destiné à accueillir des chevaux en pension. Les travaux sont à l’arrêt : impossible de trouver du bois.

Installé dans l’Est lyonnais depuis l’été 2020 en production de céréales en agriculture biologique sur une centaine d’hectares, Xavier Bailly, cogérant, avait prévu dès le départ une 2e activité, celle de la pension de chevaux haut de gamme. « Nous prévoyons la construction d’un bâtiment en bois de 2500 m² pour accueillir 40 chevaux de compétition dont 26 en box. Le chantier du bâtiment a commencé fin novembre 2020 et nous envisagions qu’il soit opérationnel pour accueillir les chevaux dès le mois de septembre 2021. Malheureusement, les travaux sont à l’arrêt depuis début mars, faute de trouver du bois pour les aménagements intérieurs », indique Xavier Bailly.

Démarches infructueuses

La maçonnerie est effectuée, les rehausses de poteaux installées mais les scieries sont pour l’heure dans l’incapacité de fournir l’agriculteur en madriers rainurés languette afin d’aménager… « Initialement, j’avais pris contact avec une scierie des monts du Forez qui était censée avoir la ressource en douglas destinée aux aménagements intérieurs : box, fond de box et séparations. Or, voilà plusieurs semaines qu’elle n’a pas assez de bois pour satisfaire la demande de ses clients. J’ai téléphoné ensuite à une centaine d’autres scieries en France mais aucune n’est en mesure de répondre à mes attentes faute de matière première. J’ai même contacté des importateurs qui travaillent avec l’Europe de l’Est où des madriers de ce type sont fabriqués, sans succès. »

Face à ce casse-tête, Xavier s’est tourné vers les représentants de la filière bois : Fibois Auvergne et Rhône-Alpes, ainsi que France douglas. « J’ai fini par trouver 2 fournisseurs de douglas. En revanche, ils m’annoncent un prix deux fois plus élevé que prévu, à raison de 67 € / m² contre 32 € au départ ! Pour 20 m3, cela représente un surcoût de 11 000 € pour nous… Quoiqu’il en soit, même si je commande sous peu, je n’aurai pas le bois tout de suite », poursuit le céréalier. Dès octobre, il devra commencer à rembourser le prêt souscrit car le différé de 11 mois sera arrivé à son terme et pour l’heure la banque ne lui a pas trouvé de solution.

« Même si je voulais changer de matériaux, les prix des autres matières telles que l’acier et le PVC se sont eux aussi envolés. Je croise les doigt pour que la situation se débloque rapidement pour le bois et que les cours retrouvent des niveaux raisonnables. Pour les bardages, j’ai stoppé les recherches, on verra plus tard. Dès le 22 juin, nous allons recevoir la charpente, c’est déjà ça… », conclut l’agriculteur.

Emmanuelle Perrussel