TÉMOIGNAGE
L'âge d’or du vers à soie en Ardèche

Notre page bimestriel dédiée aux anciens exploitants agricoles de l’Ardèche est, ce mois-ci, consacrée à l’élevage du ver à soie. Roger Roure, agriculteur retraité à Laurac-en-Vivarais et président du SDAE, revient sur cette activité dont il fut l’un des derniers témoins jusqu’en 1955.

L'âge d’or du vers à soie en Ardèche
Au cours de sa vie qui dure une trentaine de jours, le ver à soie change quatre fois de peau (mues) et voit son poids multiplié par 10 000.

« La sériciculture, très présente en Ardèche, y a connu son âge d’or au 19e siècle. À l’époque, toutes les maisons se sont agrandies pour installer une magnanerie, destinée à « l’éducation» du vers à soie, le fameux bombyx mori. Si, dans les Cévennes et le Sud-Ardèche, on trouve alors de grandes maisons, ce n’est pas pour le confort des familles. Mais pour la magnanerie ! À l’intérieur, on y installait des « tauliers », sorte d’échafaudages en bois où l’on plaçait les vers à soie, afin de gagner de l’espace.

La sériciculture représentait alors une rentrée d’argent très importante pour les familles.

 Le mûrier, arbre d’or vénéré

Le mûrier, dont on utilisait la feuille pour la nourriture du vers à soie, a fait l’objet d’une véritable vénération au temps de la grande époque de la sériciculture. L’arbre d’or a alors une grande importance dans paysage cévenol et vivarois. C’est surtout à partir de 1601, sur les conseils du célèbre agronome Ardéchois, Olivier de Serres, qu’Henri 1e donna une importance considérable à la sériciculture par une politique volontariste.

« L’éducation » du vers à soie se déroulait d’avril à juin. Avant de se transformer en chrysalide, le ver à soie subit quatre mues. Il connaît donc cinq âges successifs.

La graine : de l’incubation à l’éclosion.

La première condition qu’exige l’éducation du ver à soie est le choix de la graine. On doit rechercher une couleur gris cendré. La fabrication de la graine étant une opération délicate c’est pourquoi des établissements étaient spécialement agréés pour produire des souches saines.

La mise en incubation était effectuée à la mi-avril, lorsque les premiers bourgeons s’épanouissaient. Pour cela, il fallait respecter plusieurs conditions. La première : maintenir une chaleur douce s’élevant régulièrement de 1 à 2 °C par jour jusqu’à 23°C et sans jamais redescendre. L’air, rapidement pollué par la respiration des vers et par la fermentation des litières, devait être fréquemment renouvelé par une ventilation énergique, en particulier par temps orageux. Enfin, il était important de maintenir une légère humidité pour éviter le dessèchement de la graine.

Pour réaliser cette incubation, les graines étaient placées dans des sachets ou nouets, portés par les femmes sous leur vêtement. La meilleure solution est de recourir à une couveuse ou incubateur, comme le fameux castelet des Cévennes.

Des règles strictes pour nourrir et espacer les vers

Pour faciliter la conduite de l’élevage, il importe que les vers évoluent de la même façon c'est-à-dire qu’ils muent et fassent leur cocon en même temps. Il faut donc que les derniers nés évoluent un peu plus vite pour combler leur retard : pour cela ils seront mis aux endroits les plus chauds de la magnanerie. L’espacement des vers influe considérablement sur l’état sanitaire et le rendement. Pour les chenilles du 5e âge, on compte environ 2 m2 de claies pour 1 g de graines.

Les vers doivent être nourris en petites quantités et souvent, soit quatre fois par jour, à heures régulières. Les vers mangent avec plus d’avidité et profitent mieux de la nourriture qui doit être répandue uniformément. Pour 25 à 30 grammes de graines on estime qu’il faut distribuer, pendant les 32 jours que dure en moyenne l’élevage, environ 1300 kg de feuilles de mûrier.

L’encabanage, une étape cruciale

Vers le 8e jour après la 4e mue, l’appétit des vers diminue, on les voit se déplacer rapidement et leur corps devient jaune ambré. L’éleveur dispose alors des rameaux de bruyère pour former une « cabane » de 50 cm de large et d’une profondeur égale à la largeur de la claie. La chenille monte dans ces branchages pour procéder à la formation du cocon. On parle alors « d’encabanage ». Le maintien de la température est nécessaire pour que le ver puisse d’abord faire son cocon puis se transformer en chrysalide.

L’opération suivante consistait à plonger les cocons dans un bain de vapeur pour tuer la chrysalide, afin d’éviter que celle-ci perce le cocon qui aurait rendu le cocon inutilisable.

Le décoconnage, moment de partage et de convivialité

Vient enfin l’étape du décoconnage, qui consiste à séparer le cocon de la bruyère pour l’expédier à Lyon, alors capitale mondiale de la soie. Amis et voisins participent à ce travail dans la bonne humeur, bien souvent ponctué par un repas copieux dans lequel il est de coutume de déguster le gros jambon en entrée.

L’épopée de la sériciculture a pris fin au milieu du 20e siècle. Une maladie la pébrine, décime les vers à soie et la concurrence asiatique a peu à peu fait disparaître cette activité. Plusieurs musées rendent hommage à cet âge d’or Ardéchois. »

Roger Roure

Prévenir les maladies du ver à soie, une nécessité absolue

Bien respecter les conditions techniques et physiques de l’élevage ne suffit pas à assurer une bonne récolte. Il convient également de veiller à une hygiène rigoureuse pour prévenir les maladies.

Deux maladies sont particulièrement redoutées : la muscardine (ou maladie des blancs), occasionnée par un champignon appelé autrefois Botrytis bossiana ; et la pébrine, maladie qui bloque la croissance des vers et engendre des taches brunes entourées d’une auréole jaunâtre. Le ver paraît saupoudré de poivre d’où le nom de « pébrine ».

Prévenir les maladies impose de débarrasser les vers de leurs déjections et des feuilles souillées, sans les toucher de crainte de les meurtrir. Cette opération appelée délitage s’effectue après chaque mue.

Moulinages et filatures, témoins du passé séricicole ardéchois

Au 19e siècle, l’essor de l’élevage du vers à soie va de pair avec l’avènement d’une filière industrielle pour la production de soie grège : le moulinage. Durant l’âge d’or de la soie, plus de 400 moulinages ont vu le jour en Ardèche. Dans les années 1860, ils employaient plus de 15 000 personnes. Ces fabriques permettaient de réaliser la torsion du fil de soie, pour le rendre plus résistant. Le travail était réalisé par des jeunes filles venues des fermes alentours. Le moulinier s’adaptait à ce que lui demandait le tisserand de Lyon pour tordre le fil exactement selon les besoins.

 

Le mûrier, arbre d'or des Cévennes, a progressivement disparu du territoire suite à l'abandon de la sériciculture.