RETENUES COLLINAIRES
Comment enrichir le montage et l’expertise des projets ?

Anaïs Lévêque
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RETENUES COLLINAIRES / La Chambre d’agriculture de l’Ardèche, la DDT et l’Entente Doux-Mialan ont organisé des visites de terrain avec l’ensemble des acteurs de l’eau. Objectifs : bâtir une véritable « doctrine » sur la construction de retenues collinaires en Ardèche pour que les projets puissent aboutir.

Comment enrichir le montage et l’expertise des projets ?
Au Gaec du Trapier à Boffres, Florent et Philippe Cros espèrent pouvoir réhabiliter leur retenue qui fonctionne avec un débit réservé et est pour moitié ensablée, par un système de dérivation.

Atout majeur en matière d’irrigation agricole, la création, l’aménagement et la mise au norme d’une retenue collinaire relève souvent du vrai casse-tête. Les exploitants agricoles ne savent pas toujours comment adapter leur projet afin qu’il puisse répondre aux politiques des territoires menées sur le partage des eaux et à la réglementation environnementale. Face à cette problématique, la Chambre d’agriculture de l’Ardèche, la DDT et l’Entente Doux1 ont organisé, mercredi 10 juin, des visites de terrain avec l’ensemble des acteurs concernés par l’expertise et la validation des projets de retenues collinaires. Ils se sont rendus sur différentes exploitations de la vallée du Doux qui disposent d’une retenue collinaire, ancienne ou récente, afin de mieux comprendre les besoins de tous les acteurs de l’eau. Objectifs : poser les premières pierres d’une véritable « doctrine » sur la construction de ces ouvrages en Ardèche. « Nous avons besoin d’enrichir le montage et l’expertise de ces projets, prendre en compte l’ensemble des attentes des acteurs de l’eau afin que les projets de stockage puissent aboutir », indique Régis Perier, responsable du service Espaces, Territoires et Environnement de la Chambre d’agriculture de l’Ardèche.

Principal enjeu : le prélèvement

Depuis deux ans, le PGRE2 du Doux travaille sur la substitution des pompages en rivières par le stockage d’eau hivernale. Son recensement a permis de caractériser 400 retenues sur le Doux, parmi plus de 900 ouvrages identifiés par voie aérienne, dont 2/3 ne sont pas utilisés, pour un volume de stockage d’eau global estimé à 3,5 millions de m3. Parmi ces retenues, « seules deux d’entre elles sont en dérivation », indique Renaud Dumas, chargé d'études en gestion quantitative de l'Entente Doux-Mialan. C’est le cas chez Sylvain et Anthony Vacher, éleveurs bovin lait au Gaec du Nodin à Alboussière, dont la retenue peut stocker jusqu’à 1 400 m3. La tranchée de dérivation surplombe le cours d’eau grâce à une digue naturelle constituée en grande partie de pierres, telle une béalière, et entourée de beaucoup de couverts végétaux. Cet ouvrage épargne le milieu aquatique d'intrants mais cause un léger impact thermique sur le cours d’eau. Tant que les débits d’étiage du Doux le permettent, le système de dérivation alimente en permanence la retenue et permet de déverser le surplus dans le cours d’eau sans passer par la retenue. « C’est celle qui a le moins d’impact sur le milieu aquatique », ajoute Renaud Dumas.

Ce paysage serait idyllique si le manque d’eau n’était pas récurrent entre juillet et octobre et la retenue vide, impactant grandement l’irrigation des cultures de maïs et l’abreuvement du troupeau de cette exploitation. Les éleveurs projettent donc d’agrandir leur retenue qui est en partie envasée et comblée. Ils souhaiteraient aussi aménager un système de débit réservé afin d’améliorer le système de dérivation, ainsi qu’un déversoir pour stopper le réchauffement du cours d’eau. Toucher aux fondations de la retenue risquerait de causer des fuites. Néanmoins les caractéristiques du site permettent d’envisager l’installation d’une annexe ensablée à proximité dans un pré, évalue Sylvain Bertrand, élu à la Chambre d’agriculture. Reste à connaître les contraintes qui s’imposent aux éleveurs, ajoute-t-il. Pour Christophe Mittenbuher, chef du service Environnement de la DDT, « c’est un site assez positif. Il n’y a pas de fort enjeu de biodiversité vu que c’est un pré. L’enjeu est de savoir combien d’eau vous avez besoin pour remplir ces retenues ? » Le prélèvement est en effet le principal enjeu auquel sera confronté la réalisation d’un projet de retenue collinaire. Au Gaec Nodin, il est de « de 2 000 m3 / ha pour être optimal sur la saison en maïs », indique Anthony Vacher.

Trouver des solutions en fonction des spécificités des retenues

A contrario, l’ouvrage de Florent et Philippe Cros, éleveurs bovin viande à Boffres (Gaec du Trapier), est situé sur le cours d’eau, pour moitié ensablée, et fonctionne avec un débit réservé qui s’encombre rapidement. Les éleveurs espèrent pouvoir la réhabiliter et résoudre les soucis d’ensablement avec un système de dérivation. « La déviation du cours d’eau serait une bonne solution », estime cependant Florent Cros, mais cette demande leur a été refusée en 2000. Pour Pascal Laquet du service départemental de l’Onema2, « ce n’est pas le cours d’eau qui doit s’adapter, c’est la retenue qui aurait dû être faite à côté ». D’un point de vue environnemental, elle perturberait le milieu par son emplacement et notamment par la présence d’un seuil, empêchant la remontée des poissons. « C’est le bassin qui a le plus de retenues et dont le fonctionnement estival est le plus catastrophique, celui qui s’assèche le plus », souligne Nathalie Landais, responsable du Pôle Eau à la DDT. « Nous ne sommes pas contre les retenues, nous savons que l’agriculture est raisonnée en Ardèche, mais elles doivent avoir un minimum d’impacts sur les cours d’eau », annonce Michael Balaÿ, référent départemental de l’Agence de l’eau. Ce dernier conseille de créer une nouvelle retenue en dehors du cours d’eau, avec un pompage uniquement en automne et en hiver, mais évoque aussi l’idée de créer un canal... « Alors comment aménager cette retenue pour que le projet soit accepté ? », insiste Sylvain Bertrand, en évoquant le coût financier que représente la création d’une retenue sur du foncier agricole, les problématiques techniques de pompages et de construction avec les sols ensablés du secteur. « Il faut que la dérivation puisse préserver la continuité écologique, rappelle Nathalie Landais. « Il y a un porteur de projet, c’est à lui de proposer des solutions. » Ce jour-là, il a été très difficile de trouver de véritables solutions mais « il faut continuer d’échanger, nous avons des perspectives intéressantes pour permettre à des agriculteurs de stocker de l’eau hivernale, leur amener la ressource dont ils ont besoin, sans perturber le milieu », souligne Régis Perier.

Substitution des pompages : un travail conjoint

L’un des objectifs de l’Entente Doux-Mialan est de substituer les pompages en rivières en période estivale par le stockage d’eau hivernale en apportant un appui technique et financier aux irrigants pour créer une retenue. Dans ce contexte, une retenue a été créée au sein de l’Earl Gamon d’Arlebosc spécialisée en élevage porcin, volaille label rouge et arboriculture. Elle permet de couvrir la moitié des besoins en eau de l’exploitation, soit 5 800 m3 / an. La construction tardive de cet ouvrage, réalisé en décembre 2019 et janvier 2020, n’a pas permis de le remplir d’eau jusqu’à fin avril en raison de la sécheresse hivernale. Un droit de pompage en rivière en période estivale a donc été accordé à l’Earl Gamon afin de pallier les volumes non substitués (6 000 m3). Lors de la visite, les échanges ont évoqué la possibilité de maintenir le pompage sur le cours d’eau jusqu’à l’atteinte du débit d’étiage du Doux, mais aussi les seuils et la période à définir. Les acteurs de l’eau du bassin versant du Doux ont annoncé travailler conjointement sur ce point dans les mois à venir. À suivre…

Anaïs Lévêque

  1. Structure de gestion de la ressource en eau issue d’une convention passée entre quatre EPCI : Val’Eyrieux, Pays de Lamastre, Rhône-Crussol et ARCHE Agglo.
  2. Plan de gestion de la ressource en eau.
  3. Office national de l'eau et des milieux aquatiques.
Des projets bouleversés par les surcoûts
L'installation d'une géomembrane a coûté près de 70 000 € pour une capacité de stockage de 12 000 m3 / an.

Des projets bouleversés par les surcoûts

AMÉNAGEMENTS / Rénovés ou neufs, de plus en plus ouvrages de stockage posent des soucis d’imperméabilité et autres imprévus de chantiers qui coûtent très chers aux agriculteurs. À Arlebosc, le Gaec Pral en a récemment fait les frais.

L’exploitation arboricole du Gaec Pral dispose de deux stockages d’eau situés en cascade qui servent à irriguer au goutte à goutte les vergers d’abricotiers et de cerisiers. Face à l’installation d’un jeune agriculteur, un troisième ouvrage d’une capacité de stockage de 12 000 m3 / an est primordial pour sécuriser toute la production de l’exploitation. Malgré une analyse pédologique des sols, la découverte de roches friables et d’une faille dans la continuité du bassin versant va bouleverser le fonctionnement de l’ouvrage en cours, pourtant classique, créé en déblais-remblais, hors cours d’eau et hors zone humide. Une fois les travaux finalisés, l’eau s’échappe par le fond...

Le Gaec Pral choisi alors d’installer une géomembrane d’étanchéité EPDM dont le niveau de résistance est élevé, sans impact pour l’environnement. Coût de l’ouvrage finalisé : 120 000 €, dont un surcoût de 70 000 € pour en garantir l’imperméabilité. « Ce type d’investissement n’a été possible que grâce à l’installation d’un jeune agriculteur sur l’exploitation et grâce à une production végétale à forte valeur ajoutée », ajoute Mathilde Desplanches, animatrice sur la gestion quantitative de l’eau et accompagnatrice de projets hydrauliques à la Chambre.

A.L.