PHYTOSANITAIRE
Filière cerises : avec la fin du Phosmet, une catastrophe annoncée

À Empurany, en Nord-Ardèche, la cerise a été érigée en emblème. Mais avec le retrait de la matière active utilisée contre son principal ravageur, élus et agriculteurs craignent pour l'économie du territoire.

 Filière cerises : avec la fin du Phosmet, une catastrophe annoncée

À l'entrée de la commune, une mosaïque accueille le visiteur. À côté du traditionnel message de bienvenue, on reconnaît le village d'Empurany, et à sa droite une grappe de cerises domine. Logo de la municipalité, festivités estivales... Au fil du temps, ce fruit rouge est devenu une véritable identité pour les Empuranjens. Une identité qui risque fort d'être troublée par de nouvelles contraintes sanitaires venues de Bruxelles.

Un peu d'histoire...

C'est dans les années 80 que l'arboriculture a commencé à se développer à Empurany avant de connaître une accélération en 1995, avec l'arrivée de l'irrigation. « Les cerisiers ont surtout été plantés sur des parcelles non mécanisables qui n'étaient jusque-là pas valorisées », explique le maire, Denis Glaizol.

Sur les 19 km² que compte la commune, plus d'un tiers des surfaces sont dédiées à l'agriculture : des prairies et vergers allant de 300 à 1000 mètres d'altitude. Le développement de l'arboriculture est aller de paire avec une spécialisation des exploitations, les fermes en polyculture et polyélevage se sont progressivement concentrées sur une ou deux productions. Aujourd'hui, sur les 25 exploitations que compte la commune, la moitié vit principalement des cerises cultivées sur 80 hectares de vergers et morcelés aux quatre coins du village.

Sans Imidan, plus de cerises tardives

La Drosophila Suzukii est arrivée il y a moins de dix ans sur les hauteurs empuranjennes. Depuis, pour limiter les dégâts de ce ravageur venu d'Asie, les producteurs de cerises se sont appuyés sur différents traitements (voir encadré). Mais en 2022, la Commission européenne n'a pas renouvelé l'homologation du Phosmet. Cette année, les arboriculteurs privés de matière active craignent une chute drastique des rendements de cerises.

« Au 25 juin on ne pourra plus produire de cerises », prévient d'emblée Florian Minodier. En altitude, ses 7 hectares de vergers donnent surtout des cerises tardives, période où la Drosophila Suzukii pullule. Sans Phosmet, l'arboriculteur pourrait encore se rabattre sur d'autres produits moins puissants, mais le rythme de traitements deviendrait vite insoutenable. « Avec le Phosmet on faisait deux traitements, mais là on va devoir doubler, explique Florian Minodier. Ça va être ingérable ! » 

À ses côtés, Sonia Minodier, sa femme et associée sur l'exploitation, semble tout aussi préoccupée. « On est tous les deux sur l'exploitation et on a trois enfants. Si on n'a plus les cerises, il faudra qu'on trouve autre chose. Mais quoi ? » S'interroge-t-elle. Pour se diversifier, le Gaec de la Souveraine a récemment investit dans plusieurs poulaillers. Le prêt de 50 000 euros est toujours en cours de remboursement. « La cerise pour nous c'est 150 000 euros de chiffre d'affaire, 50 % de l'économie de l'exploitation », détaille Sonia Minodier. 

Des filets peu propices aux côteaux

Sur les hauteurs de la commune, les 12 hectares de Gaël Chantier sont perchés à plus de 700 m d'altitude. Des vergers de cerisiers de 3000 à 5000 m², répartis autour de son exploitation. À 33 ans, cet arboriculteur a récemment investi dans 2 hectares supplémentaires, qu'il a terrassés et plantés. Cette parcelle irriguée est « prévue pour être couverte », explique-t-il. Les filets contre la Drosophila représentent un investissement de 30 000 euros, dont 70 % d'aides régionales. À cela il faudra encore ajouter la pose.

Pour l'arboriculteur, cette tentative a beau être une première, elle a été anticipée. Au moment de planter, Gaël a opté pour des variétés aux rendements et aux calibres généreux : Grace star, Black star, Babelle, Balrine... « Quand on couvre, il faut du tonnage si on veut rentrer dans nos frais », souligne le jeune arboriculteur. Il espère aussi pouvoir davantage valoriser ses fruits : « au lieu de 2 ou 3 euros le kilo, il faudrait passer à 4 ». Et tout cela, à condition de ne pas avoir à faire face à des aléas climatiques majeurs comme cela a été le cas ces dernières années.

Si elle peut être intéressante l'alternative des filets n'est pas toujours envisageable. Sur l'exploitation de Gaël Chantier, seul ces 2 hectares pourront en bénéficier. Sur ses anciens vergers, les filets sont trop coûteux et complexes à mettre en place : taille des arbres à retravailler, manutention tout au long de la saison, parcelles sans profondeur de sol et souvent non-mécanisables... « Je verrais ce que ça donne et si ça ne marche pas j'arrêterai », conclut l'arboriculteur.

Une incertitude généralisée 

Dans ce contexte d'incertitudes, certains producteurs de cerises ont mis le développement de leur activité sur pause. « Il y a certains vergers que j'aurais voulu renouveler mais ça fait deux ans que j'attends... Illustre Florian Minodier. Et pendant ce temps-là je perds en tonnage et en calibre ! » Un manque de visibilité qui, cumulé aux aléas climatiques à répétition, se répercute peu à peu sur la démographie de l'activité arboricole. À Empurany, les vergers qu'on se disputait il y a encore 20 ans, peinent aujourd'hui à trouver preneurs. Un déclin qui pourrait encore s'accentuer avec la fin du Phosmet et qui pourrait coûter cher dans un territoire qui vit aussi de l'accueil de saisonniers en période de récolte.

Pauline DE DEUS

L'arsenal phytosanitaire se réduit

Sous l'impulsion de la France, le Diméthoate a été interdit en 2016. Malgré une efficacité moindre, c'est le Phosmet qui l'a remplacé pour lutter contre la Drosophila Suzukii (une mouche qui pond dans les fruits mûrs, les rendant immangeables). En janvier 2022, la Commission européenne a refusé le renouvellement d'homologation pour cette matière active dont les risques sont jugés « inacceptables pour les opérateurs, travailleurs, passants et résidents » par l'autorité européenne de sécurité des aliments. La Commission a toutefois précisé que cette décision « ne fait pas obstacle à l’introduction d’une nouvelle demande d’approbation du phosmet » par les fabricants de produits phytosanitaires. Après un délai de grâce de 10 mois, le Phosmet a finalement été interdit en France en novembre dernier laissant, entre autres, les producteurs de cerises sans solution face à la Drosophila. En Europe, d'autres pays sont concernés par cette problématique, notamment l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne ou encore la Grande-Bretagne.

DROSOPHILA SUZUKII

Quelles alternatives pour les producteurs de cerises ?

Dans la Drôme, la Sefra (station d'expérimentation fruits Auvergne Rhône-Alpes), basée à Etoile-sur-Rhône, travaille sur l'adaptation à la Drosophila Suzukii depuis plusieurs années.

Si les filets restent la solution la plus efficace, l'argile semble aussi tirer son épingle du jeu, d'après Claire Gorski, chargée d'expérimentation. Si cette technique n'est pas comparable au Phosmet (90 % d'efficacité), elle permettrait de sauver au moins les deux tiers de la récolte en présence de Drosophila. Problème : l'argile laisse des tâches sur les fruits. La solution semble avoir été trouvée avec un nettoyage à base d'eau brassée avec de l'acide citrique. « Il y a toujours de petites traces mais globalement c'est assez acceptable », assure Claire Gorski.

Des traitements ?

Côté traitement, plusieurs produits moins puissants que l'Imidan existent encore (l'Exirel dont l'homologation devrait être renouvelée prochainement, le Karate Zeon ou encore le Success 4 utilisé en agriculture biologique). En complément de cette stratégie chimique, le piégeage massif peut être utilisé pour un gain d'efficacité de 50 %, d'après la Sefra. Concernant les nouveaux produits disponibles sur le marché, certains « n'ont pas montré une grande efficacité » et d'autres « ont été relativement peu évalués », explique Claire Gorski.

Un travail autour des variétés

Des expérimentations sont également en cours autour des variétés, pour renforcer la résistance des fruits à la Drosophila Suzukii mais là encore, les résultats ne sont pas probants. « On voit que certaines variétés sont plus attractives que d'autres mais aucune ne l'est nettement moins, souligne Claire Gorsky. Par contre, on déconseille quelques variétés tardives telles que la gamme des royal helen, edie, etc. Elles ont un bon potentiel agronomique mais plantées sous filet ! » Si les variétés précoces ont tendance à être davantage protégées de la Drosophila, tout va dépendre de la météo. En 2021, par exemple, dès le mois de mai l'humidité et le vent ont fait augmenter la pression de la mouche asiatique.

Dans les laboratoires des méthodes de lutte biologique sont aussi à l'étude, telles que le lâcher de mâles stériles ou encore l'introduction d'un prédateur qui pourrait limiter l'évolution des populations de Drosophila Suzukii.