DÉFIS
La filière arboricole cherche un nouveau souffle

Marine Martin
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La filière arboricole est incontournable en Ardèche. Toutefois, elle se trouve aujourd'hui à un tournant crucial et doit se réinventer pour assurer son avenir.

La filière arboricole cherche un nouveau souffle
Le premier lâcher de Ganaspis, un parasitoïde ciblant spécifiquement la Drosophila suzukii, a eu lieu sur les hauteurs de Desaignes en mai dernier. ©AAA_MM

Avec un secteur qui compte environ 690 exploitations, les cultures fruitières représentent 5 % de la superficie agricole cultivée, soit plus de 6 000 hectares. On y retrouve principalement de la châtaigne (environ 3 000 ha), de l’abricot (environ 1 200 ha), et de la cerise (environ 800 ha). « L’arboriculture est une filière emblématique de l’Ardèche », souligne Christel Cesana, présidente de la FDSEA et arboricultrice à Orgnac-l’Aven. « Cette activité est souvent en complément, bien que certaines exploitations y soient exclusivement dédiées. » Ce secteur clé pour le territoire a connu une forte dynamique « jusqu’aux années 2010 », précise Benoît Nodin, secrétaire général de la FDSEA et arboriculteur à Saint-Péray. Désormais, « il n’existe plus, par exemple, de BTS spécifiquement dédié à l’arboriculture, seulement un BTS horticole, en raison d’un manque de candidats ». Ce constat est symptomatique des problématiques que la filière rencontre depuis quelques années.

Une filière, plus que jamais confrontée au changement climatique

Qui a oublié l’épisode de grêle intense du mois de juillet, mettant à mal les vergers de kiwi et compromettant la fin de la saison des abricots ? Car, plus tôt dans l’année, au nord de l’Ardèche, un excès d’eau en début de saison a entraîné une mauvaise fécondation des fleurs et une chute physiologique des fruits sur certaines variétés d’abricot. Et que dire des épisodes de gel tardif qui se répètent année après année ? Sécheresses ou excès d’eau impactent les productions. Alors, pour continuer à produire, l’accès à l’eau est primordial : « Le stockage hivernal de l’eau peut avoir des répercussions positives sur la production fruitière », affirme Christel Cesana. D’ailleurs, depuis deux ans, les créations, agrandissements et mises aux normes de retenues collinaires, notamment dans la vallée du Doux, avancent. Face à ces aléas climatiques, la filière s’adapte et s’organise pour regagner en dynamisme.

De l’importance de se fédérer

« Il est essentiel de se fédérer », martèle la présidente de la FDSEA et de « recréer une dynamique pour arriver à se projeter. » Le groupe des 30 000 (voir ci-contre) composé d’une dizaine d’arboriculteurs de la vallée du Doux vient de se créer pour « ensemble, trouver des solutions alternatives et lutter notamment contre la Drosophila suzukii. Cette mouche, qui met en péril les exploitations de cerises et petits fruits », rappelle l’élue.

Les Ganaspis cristallisent les espoirs de toute une filière

Cette espèce invasive et nuisible, pond ses larves dans les cerises et les petits fruits frais. Peu après son apparition en 2008, la recherche du parfait prédateur a débuté pour l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).

En Ardèche, a eu lieu cette année le premier lâcher de Ganaspis, micro-guêpes ciblant uniquement la Drosophila suzukii. « Les femelles vont aller parasiter, c’est-à-dire piquer directement les larves de Drosophila suzukii dans les fruits. Ce n’est pas une méthode curative, mais à terme cela va influer et réduire la population de Drosophila suzukii », détaille le coordinateur de recherche de l’Inrae.

« C’est avant tout une démarche collective », tient à souligner Christel Cesana, également 1re vice-présidente de la chambre d’agriculture d’Ardèche. « L’objectif est qu’il y est davantage de lâchers notamment à proximité des parcelles sauvages de myrtilles, à 600 ou 700 mètres d’altitudes. » La chambre d‘agriculture accompagne les chercheurs de l’Inrae et se charge des suivis des lâchers et d’observer le comportement de l’insecte. Bien que cette avancée constitue un espoir, il faudra des années avant d’en apercevoir les réels effets.

Valoriser la production locale

L’autre grande ambition portée cette fois-ci par la FDSEA est de créer une marque pour mieux valoriser les fruits de la filière. Cette démarche vise à offrir une plus-value, permettant de se distinguer sur les marchés en mettant en avant l’origine des fruits, le savoir-faire des arboriculteurs tout en renforçant la notoriété du département. « Les consommateurs sont souvent trompés sur l’origine des produits et noyés dans la masse », souligne Christel Cesana. Elle appelle également à une plus grande rigueur de l’État en matière de sanctions pour les grandes surfaces qui ne respecteraient pas les indications d’origine, soulignant qu’il est crucial de garantir la transparence pour les consommateurs.

La filière arboricole a plus que jamais besoin de collectif : se regrouper pour renforcer ses positions et compter sur le soutien des consommateurs. « On compte sur tous pour jouer le jeu du local et de la préférence nationale. Quand on achète un produit, chacun de nous peut faire avancer les choses », conclut Christel Cesana.

M.M.

Les outils collectifs

Clap de fin pour Vivacoop, bienvenue à la Sica du Vivarais !

Le 12 avril dernier, le rideau s’est tiré sur Vivacoop, coopérative ardéchoise (Saint-Sernin) créée en 1949. Ces dernières années, elle avait mis en place divers projets afin de dynamiser son activité. La création de la Sarl Village des producteurs, disposant de magasins à Aubenas et à Ruoms, a permis d’améliorer la distribution des produits de la coopérative, mais d’autres projets n’ont pas rencontré autant de succès. Avec une forte dégradation de son chiffre d’affaires depuis quelques années, la difficile décision de la dissolution de la coopérative a été prise en avril dernier.

Un outil collectif qui disparaît, mais qui laisse la place à un nouveau dispositif plus léger : La Sica du Vivarais. D’anciens adhérents à Vivacoop, de jeunes producteurss se sont regroupés dans l’ambition de maintenir une structure collective pour la châtaigne. Sur le long terme, elle a aussi l’ambition de commercialiser des fruits. Des prestataires, déjà engagés dans la filière, ont exprimé leur intérêt pour commercialiser leur future production. De bons augures pour la jeune structure !

Le Comptoir Rhodanien, produit, conditionne et expédie les fruits de la Vallée du Rhône depuis plus de 50 ans

Acteur incontournable de la distribution de fruits en Auvergne-Rhône-Alpes, le Comptoir Rhodanien, fondé il y a plus de 50 ans, expédie chaque année plus de 20 000 tonnes de fruits. En complément de ses propres cultures, qui s’étendent sur 400 hectares, l’entreprise a établi des partenariats avec plus de 400 producteurs répartis dans les départements de la Drôme, de l’Ardèche, de l’Isère, du Vaucluse et du Gard. S’adaptant aux saisons et aux évolutions des productions régionales, le Comptoir Rhodanien se spécialise dans quatre fruits : la cerise et l’abricot en été, ainsi que la noix et la châtaigne en automne et hiver. Grâce à cette diversité, la société est en mesure de répondre aux besoins des principaux distributeurs et grossistes à travers toute l’Europe.

Rhoda-Coop, en plein cœur de la vallée du Rhône, un atout géographique pour les circuits de distribution

Située en plein cœur de la vallée du Rhône, la coopérative Rhoda-Coop existe depuis 1943 et rassemble 350 adhérents de fruits de la région. Traitant plus de 21 000 tonnes de fruits par an, la coopérative est spécialisée dans la production, le stockage, le conditionnement et l’expédition de fruits locaux et travaille essentiellement avec des cerises (d’Ardèche et de la vallée du Rhône), abricots, pêches, nectarines, châtaignes et kiwis. Elle s’est constituée une solide réputation auprès de la grande distribution française, son principal débouché.

La myrtille ardéchoise, fleuron des fruits sauvages, en danger
©Francis_Giraud

La myrtille ardéchoise, fleuron des fruits sauvages, en danger

Cet arbuste emblématique du territoire pousse souvent à l’ombre des châtaigniers à 600 mètres d’altitudes et s’adapte très bien, niché à 1 300 mètres entre les rochers, balayé par le vent du nord. La production permet de protéger les paysages de l’invasion de genêts. « Ce sont des coupe-feux, les myrtilliers permettent que le territoire ne s’embroussaille pas », explique Francis Giraud, président de l’association de la myrtille sauvage d’Ardèche.

Si ce petit fruit a longtemps fait le bonheur des agriculteurs qui voyaient en lui un juteux complément de revenus, permettant parfois de passer les fins de mois difficiles sur les hauts plateaux ardéchois, l’activité de cueillette de la myrtille est aujourd’hui menacée. Comme pour la cerise, son prédateur principal est la Drosophila suzukii, qui s’attaque aux baies à peine mûres. La situation, aggravée par les années humides, a laissé un goût amer chez les producteurs au bilan d’une récolte 2024 catastrophique. « On attend beaucoup de l’expérimentation qui est en cours sur les cerises au sujet du parasitoïde (micro-guêpe Ganaspis, voir ci-contre) qui lutte contre la mouche », dévoile François Blache, producteur de myrtilles à Marcols-les-Eaux. Au quotidien, les producteurs sont las. « Chaque année, nous avons de la Drosophile : au niveau moral, motivation, c’est dur. Il faut soutenir la production, même si les prix sont élevés, car sinon, nous baisserons les bras. C’est regrettable, car c’est un produit qui se vend comme des petits pains », déplore François Blache.

M.M.

Le groupe des 30 000, pour relancer la filière cerise
Les cerises et les petits fruits comme la myrtille sont les plus touchés par la Drosophile. ©AAA_DR
CERISES

Le groupe des 30 000, pour relancer la filière cerise

Le groupe « 30 000 », né en juin, réunit une dizaine de producteurs de cerises de la vallée du Doux. Son ambition est de répondre aux défis de la filière tout en réduisant les intrants.

« Nous sommes motivés par cette filière et depuis 2016, avec l’arrêt des insecticides et notamment de l’Imidan, nous devons trouver des solutions pour limiter les traitements », déclare Sylvain Bertrand, élu à la chambre d’agriculture de l’Ardèche et producteur de cerises, à l’initiative du groupe 30 000. « Ce groupe a été formé en réponse à l’invasion de la Drosophile. Les cerises, ainsi que les petits fruits, sont les plus touchés, à l’instar de la myrtille sauvage », explique Christel Cesana, présidente de la FDSEA, également arboricultrice.

Cette année, les chercheurs de l’Inrae ont effectué des lâchers de micro-guêpes Ganaspis, seul prédateur de la Drosophila suzukii, qui constitue un véritable fléau depuis quinze ans. Les producteurs de cerises espèrent un résultat similaire à celui du torymus, qui a sauvé les châtaigniers face à l’invasion du cynips. « Nous avons effectué deux lâchers. C’est une démarche collective : on lâche les micro-guêpes à un endroit pour qu’elles se diffusent et aident à protéger les exploitations », précise l’élue. « Nous avançons vers des solutions qui nous paraissaient impensables il y a quelques années », ajoute-t-elle.

Le groupe 30 000 se concentrera sur plusieurs leviers : « L’humidité des parcelles, qui favorise la prolifération des ravageurs, et des variétés de cerises moins sensibles. Nous prévoyons également de transmettre ces connaissances aux lycées pour sensibiliser les jeunes générations. L’objectif est d’abord d’établir un diagnostic agroécologique des pratiques des arboriculteurs, puis de travailler sur des solutions adaptées aux problématiques spécifiques de chacun », conclut Paul Sicot, conseiller en arboriculture à la chambre d’agriculture.

M.M.