RENCONTRE
Face aux enjeux agricoles, la préfète vise l’équilibre et le collectif

Mercredi 11 octobre, à l’invitation de la FDSEA et de JA, les élus locaux, partenaires et agriculteurs se sont réunis sur l’exploitation viticole de Jérôme Serret à Vernon. Adaptation au changement climatique, accès à la ressource en eau, partage du foncier… Tels ont été les thèmes abordés avec la préfète de l’Ardèche, Sophie Elizéon, et la sous-préfète de Largentière, Patricia Walma.

Face aux enjeux agricoles, la préfète vise l’équilibre et le collectif
La préfète Sophie Elizéon, au centre, entourée par Alexandre Faure et Nathalie Soboul, à sa gauche, Christel Cesana, Jérôme Serret, Benoit Claret et Patricia Walma, à sa droite. ©AAA_MMartin

À l’ombre des châtaigniers, Jérôme Serret fait part à la préfète de sa capacité d’adaptation qui dure depuis quatre générations. « Avant, ici, c’était la vallée de la pêche, avec une volonté de diversification, la pêche a laissé place aux vignes. La viticulture et le tourisme s’y sont développés. »

S’adapter par l’expérimentation

Sur l’exploitation, un cépage traditionnel, adapté au sol granitique est revenu occuper ses coteaux : le Chatus. « Ce cépage impose un travail à la main qui revalorise le territoire, il est adapté au changement climatique », révèle l’exploitant viticole. Les champs d’oliviers qui bordent la vigne servent également à stocker le carbone et à produire de la matière organique. Une adaptation face au changement climatique qui est devenue une qualité essentielle pour qui veut s’installer en agriculture. Pour Christel Cesana, présidente de la FDSEA, « des essais sont à l’œuvre pour trouver des cépages résistants aux maladies, et la sécheresse via la chambre d’agriculture de l’Ardèche ».

« En changeant les pratiques, nous avons accès à une boîte à outils tels que l’agroforesterie, en plantant des haies, l’agroécologie, mais aussi l’œnotourisme », rappelle Ludovic Walbaum, président des Vignerons Indépendants ardéchois. Autant de ficelles à tirer afin de s’adapter au changement climatique.

L’eau : enjeu primordial pour les agriculteurs

Reprendre des cépages ancestraux pour les moderniser ne se fera pas sans un usage intelligent de l’eau. Ludovic Walbaum pointe le fait que les « consommateurs sont en attente de vins équilibrés, avec des degrés d’alcool inférieurs. Cela est possible grâce à l’eau. Par exemple, des retenues d’eau en profondeur, cylindrique pour éviter l’évaporation peuvent être envisagées afin de produire de manière éthique ».

Le stockage de l’eau via des lacs collinaires afin de modérer l’impact des épisodes climatique a élégamment été abordé par la présidente de la FDSEA et la présidente de Jeunes agriculteurs (JA), Nathalie Soboul. « Tout s’accélère donc tout doit suivre », a ainsi résumé cette dernière, afin d’alerter la préfète sur cette question.

Attentive, la représentante de l’État rappelle qu’il faudra néanmoins « démontrer que nous avons des engagements de réduction en eau, et donc identifier nos besoins et faire un effort d’économie ». Pour preuve, les voisins limitrophes aux départements dont nous partageons des rivières et même un fleuve « renâclent » à voir l’eau servir pour irriguer des vignes.

« L’Ardèche est sobre en eau depuis bien trop longtemps. Nous avons besoin d’ouvrage majeur pour stocker l’eau avant de la rendre », renchérit Christel Cesana, appuyée par le président de la chambre d’agriculture, Benoit Claret. « Nous devons planifier le partage de l’eau ensemble pour nous permettre de l’utiliser, car si nous l’avons sur le territoire, d’autres pourront s’en servir. L’eau permet de sécuriser l’économie », insiste-t-il. La préfète l’assure de con coté, elle continuera « le travail engagé avec les Assises de l’eau et se servira des outils développés » pour proposer des solutions aux agriculteurs.

L’usage de l’eau n’est pas le seul défi auquel fait face le monde agricole. La préfète de l’Ardèche a ainsi été alertée au sujet de la raréfaction des terres agricoles et à l’urgence de la préservation du foncier.

La préservation du foncier agricole, autre enjeu majeur

« Nous devons faire face aux difficultés d’accès au foncier », déclarent en chœur Nathalie Soboul et Christel Cesana. Menace du mitage et des zones non traités compliquent la tâche pour des agriculteurs qui peinent à trouver des terres arables. « Les conflits d’usage sont en première ligne lorsque le comité technique doit arbitrer entre tourisme, ruralité et environnement », avance le directeur de la Safer, Jonathan Imbert.

Pour éviter les conflits d’usages entre agriculteurs et habitants, le dialogue est de mise. « Un voisin de mon exploitation s’est plaint du bruit lorsque je viens traiter à proximité, je fais en sorte d’y aller moins souvent pour éviter la gêne », révèle Jérôme Serret.

Quant au maire de Vernon, Alexandre Faure, il tire la sonnette d’alarme : « Avant, il y avait 10 agriculteurs dans la commune, nous ne sommes plus que deux désormais et nous ne reviendrons pas en arrière ».

« 180 hectares agricoles disparaissent chaque année pour une moyenne d’exploitation de 36 hectares. L’agriculture s’est vue restreindre ses capacités », signale de son côté Benoit Claret à la préfète. Pragmatique, il tempère en ayant conscience « que les habitants viennent chercher la douceur de vivre ardéchoise, avec des pavillons construits », ce qui favorise le mitage et la raréfaction des terres agricoles.

Matthieu Salel, vice-président du Département, nuance le discours des agriculteurs en défendant l’utilité d’un équilibre à trouver afin de faire vivre un territoire tout entier. Un avis partagé par le vice-président de la communauté de communes Beaume Drobie, Pascal Waldschmidt : « Il faut partager le foncier entre les artisans, les agriculteurs, les habitants. Il ne faut pas que demain nous n’arrivions pas à vivre d’autres activités économiques sur le territoire. Le temps administratif n’est pas le temps économique, un investisseur. Si le temps pour s’installer devient trop long, il va aller ailleurs ». Il revient de résumer et clore le débat à Benoit Claret : « C’est une notion d’équilibre entre regagner les centres bourgs et préserver un foncier rare en Ardèche ».

L’État, quant à lui, doit assurer au mieux l’équilibre, en privilégiant le « dialogue » selon la préfète Sophie Elizéon.

Un équilibre et du collectif pour faire avancer les projets

Autant actrices que spectatrices actives des débats, la préfète Sophie Elizéon et la sous-préfète Patricia Walma auront, grâce à cette visite, goûté aux enjeux qui agitent le monde agricole. La sous-préfète de Largentière, ainsi, résume : « Les conflits d’usages se résoudront grâce à l’intelligence collective ».

Le mot de la fin reviendra à la préfète de l’Ardèche dont le leitmotiv demeure : « C’est par l’écoute et le dialogue que nous pourrons porter ensemble des projets et développer le territoire ».

Marine Martin

De gauche à droite : Nathalie Soboul, Jérôme Serret, Sophie Elizéon et Benoit Claret. ©AAA_MMartin
De gauche à droite : Géraldine Violet pour Groupama, Jean-Pierre Gaillard pour le Crédit Agricole et Henry Jouve pour la MSA. Crédit photo AAA MM

À NOTER / La loi ZAN, un sujet qui fait débat

Le sujet de la loi « zéro artificialisation nette » (ZAN) a fait débat entre le maire de Vernon et le vice-président de la communauté de communes Beaume Drobie. Selon ce dernier, la loi annonçait « la mort des petits villages » sans zone d’activités.

Avec un amendement déposé par le Sénat, autorisant un hectare de construction au lieu de zéro, la loi ZAN, visant à lutter contre l’artificialisation des sols et protégeant le foncier agricole, a été « vidée de sa substance », pour Alexandre Faure. « Pour des communes comme Vernon, qui fait 3 hectares, c’est énorme. Les petites communes continuent de construire sur des terres agricoles, alors qu’avec la loi ZAN, nous aurions pu limiter la demande de terrains constructibles. »

Une assurance récolte qui manque d’adaptabilité

Si les essais en cours prouvent la résilience du monde agricole face au changement climatique, l’importance de la protection des exploitations face à des aléas climatiques de plus en plus courant, intenses et diversifiés, posent question. Selon Christel Cesana, bien que la réforme autour de l’assurance fût nécessaire, la nouvelle assurance récolte manquerait d’adaptabilité sur les territoires. « On a perdu en avantages », affirme la présidente de la FDSEA, face à la préfète. Jérôme Serret explique : « Avant la réforme, l’assurance prenait en compte la moyenne quinquennale sur chaque cépage, désormais, c’est une moyenne quinquennale sur tous les cépages qui est prise en compte ». La préfète, à l’écoute, indique de son côté « qu’une lecture plus fine des modalités assurantielle pour assurer plus fortement ce qui est précieux, est nécessaire ».