OLÉICULTURE
La Magnanerie, une stratégie progressiste et « décalée »

Anaïs Lévêque
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OLÉICULTURE / Installé à Orgnac-L'Aven en agriculture biologique, Éric Martin produit des huiles d'olive réputées pour leur amertume et leur caractère. Un savoir faire d'orfèvre qui mêle le terroir à l'innovation, et a toujours pris le parti de l'indépendance.

La Magnanerie, une stratégie progressiste et « décalée »
À La Magnanerie, les olives sont récoltées avant qu'elles n'achèvent leur stade maximal de maturation, entre mi-septembre et fin octobre. Crédit photo Matthieu DUPONT

Sur le chemin de l'excellence, le marché mondial oléicole évite les huiles douces, préférant des produits « piquants, puissants et très amers », indique Éric Martin, oléiculteur à Orgnac-L'Aven. « Et c'est ce que nous faisons ici depuis toujours ! » Avec son oliveraie La Magnanerie, il est en effet classé parmi les meilleurs producteurs d'huiles d'olive. En 2019 notamment, sa cuvée « Sauvage » s'est même distinguée comme meilleur assemblage au monde au Flos Olei. « C'est une modeste exploitation familiale mais nous avons réussi à faire partie du top des producteurs », se félicite-t-il.

De la vigne et des 6 hectares d'oliviers que son père lui laisse en 2004, Éric Martin s'oriente rapidement vers une reconversion « 100 % oléicole », après avoir travaillé comme chef de projets pour une agglomération en Occitanie. Il s'inscrit dans une stratégie progressiste, quelque chose de très moderne, et un brin « décalé ». 

« Nous prenons les meilleures variétés, quelle que soit leur origine »

Son verger se distingue tout d'abord par sa qualité variétale, comptant aujourd'hui 9 000 arbres sur une trentaine d'hectares. Il se compose de variétés françaises (Bouteillan, Aglandau, Picholine et Cayan), mais aussi étrangères parmi lesquelles la Frantoio et la Moraiolo, originaires d'Italie, et des variétés plus rares de Toscane. « Nous prenons les meilleures variétés où elles sont, quelle que soit leur origine. Cultiver des variétés étrangères n'est pas du tout un facteur limitant pour nous, au contraire. C'est comme une équipe de foot, l'important est d'avoir un résultat final de haute qualité ! », indique-t-il. « Cela nous permet d'élaborer des assemblages ou des monovariétales uniques. »

De nombreux oliviers ont été plantés dans les bois : « Nous y avons plus d'auxiliaires et tout un tas d'insectes qui protègent et participent à la vie des parcelles. Pour celles où nous sommes voisins de cultures chimiques, nous mettons en place des zones tampons d'enherbement un peu dense (10 à 12 mètres minimum) ». Ses parcelles se situent entre 300 et 400 mètres d'altitude et bénéficient de trois types de sol. Au sud, elles sont recouvertes d'argile rouge, riche en oxyde de fer, et de silex. « Les oliviers y poussent beaucoup et vont faire des huiles plus amères et piquantes, mais moins aromatiques qu'ailleurs. » Les autres parcelles se concentrent sur des sols calcaires urgoniens, donnant des huiles très fraîches et aromatiques, ou de sable calcaire. 

Des olives récoltées encore vertes

À la différence de la grande majorité des oléiculteurs, Éric Martin récolte ses olives avant qu'elles n'achèvent leur stade maximal de maturation, entre mi-septembre et fin octobre. « Elles vont donner des huiles à l'acidité très faible et un contenu en vitamines et antioxydants élevé. Des huiles très puissantes, très amères, piquantes, avec beaucoup de polyphénol, très fraîches et aromatiques. Un caractère qui correspond aux climats ardéchois et cévenol, en phase avec la réalité de nos terroirs », explique-t-il. 

Avec tant de précocité, ses rendements sont très faibles (entre 7 et 12 %) : la production d'1 litre d'huile nécessite en moyenne 20 kg d'olives. « Nous acceptons de perdre des rendements en huile pour avoir une qualité beaucoup plus soignée, des huiles plus fraîches et plus vertes. »

Maîtrise de tous les paramètres de transformation

Éric Martin travaille en transformation directe et 100 % à froid, ce qui lui permet d'optimiser les rendements en polyphénol et en arômes de ses olives. Après être effeuillées, les olives sont lavées et broyées avec leur noyau. La pâte est alors malaxée sur une durée assez courte et à basse température grâce un groupe de froid (jusqu'à 15 - 16 °C). Par la suite, elle est envoyée dans un décanteur centrifuge afin de séparer la pâte et l'huile, puis dans un séparateur vertical pour détacher l'eau et les impuretés. Les huiles sont alors filtrées afin de gagner en stabilité dans le temps et garantir une date limite d'utilisation optimale (DLUO) de 24 mois. 

Cette année, il s'est doté d'une chaîne d'extraction continue, permettant de transformer jusqu'à 3 tonnes d'olives / heure. Cet outil de pilotage lui permet de ne plus être dépendant des températures d'entrée des olives, de maintenir des températures constantes sur la transformation, de les adapter par rapport au millésime... Et de choisir ses dates de récolte selon les variétés. L'oléiculteur peut ainsi créer des assemblages sur mesure et uniques, qui répondent aux attentes du marché mondial. 

Sur le plan du marketing, ses produits se démarquent beaucoup des autres professionnels, avec des étiquettes qui s'inspirent de comics, qui illustrent des ovnis, « quelque chose qui s'apparente à ce que l'on voit aujourd'hui sur les vins nature », explique-t-il. « Le public traditionnel trouve ça très très bizarre ! Nous sommes très atypique par rapport au marché français global, mais pile en phase avec celui des cavistes et des épiceries fines, même à l'étranger, qui représentent 80 % de notre clientèle. » L'intégralité de la production d'Éric Martin est commercialisée sur une petite année, entre début novembre et fin juin pour celle de 2019 !

Anaïs Lévêque

Éric Martin s'est doté d'une chaîne d'extraction continue, permettant de transformer jusqu'à 3 tonnes d'olives / heure

Éric Martin s'est doté d'une chaîne d'extraction continue, permettant de transformer jusqu'à 3 tonnes d'olives / heure
Crédit photo Matthieu DUPONT
« Protéger au maximum le capital des sols »
Un travail rigoureux est mené sur la fertilité des parcelles. Crédit photo Matthieu DUPONT

« Protéger au maximum le capital des sols »

TECHNIQUES CULTURALES / À La Magnanerie, les méthodes de travail de la terre sont assez traditionnels et les équipements très modernes. 

« Nous avons une approche très stricte, plus proche de la biodynamie que du bio dans notre mode de production », résume Éric Martin. Depuis plusieurs années, il oriente davantage son travail vers la fertilité des parcelles que la fertilisation des arbres. Il n'utilise plus de cuivre mais des techniques culturales simplifiées (TCS) avec des engrais verts semés. Objectif : dynamiser leur taux de matière organique. 

« Nous avons choisi de protéger au maximum le capital du sol en réduisant le travail et le tassement des sols. Nous ne travaillons plus que 30 % des terres en prenant en compte les tourbières, tout de même une rangée sur deux car nous avons des années de plus en plus sèches. » En 2020, ses vergers ont bénéficié de seulement 400 mm de pluies, contre 900 mm sur une année normale. « Il manque beaucoup d'eau, donc ces techniques culturales sont là-aussi autant de solutions pour compenser l'absence d'irrigation. »

Phytothérapie, PNPP, argile...

Les cultures sont travaillées uniquement en phytothérapie, avec des préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) – purins ou extraits fermentés – afin de mieux combattre les parasites et les maladies, de renforcer le système immunitaire des oliviers, ou de les utiliser comme répulsif. « C'est ingérable de fabriquer ce type de produits soi-même sur 30 ha, nous les achetons ce qui a l'avantage de nous assurer des produits stables et bien faits. Nous choisissons des produits ultra purs, simples ou en mélange, généralement à base d'ortie, de prêle, de consoude... »

Pour se protéger de la mouche de l'olive (Bactrocera oleae), Éric Martin utilise de l'argile depuis une dizaine d'années. Les résultats sont très positifs : « Nous n'avons aucun souci de mouche. Le seul inconvénient de cette technique, c'est qu'il faut être précis et régulier, en poser chaque fois qu'il y a un lessivage de la pellicule de kaolin par la pluie, donc il faut avoir de bons appareils de traitement et de bons équipements ». Il utilise notamment une station météo spécialisée pour réaliser son traitement à l'argile, ce qui lui permet d'être plus réactif et efficace, mais aussi des ordinateurs de bord pour suivre son traitement en direct.

A.L.

COMMERCIALISATION / Des huiles vendues principalement aux cavistes et épiceries fines
Credit photo Matthieu DUPONT

COMMERCIALISATION / Des huiles vendues principalement aux cavistes et épiceries fines

Rosetta, Sauvage, Hyptonik, Apogée, Cosmos... Six huiles d'olive sont élaborées chaque année par La Magnanerie, parmi lesquels un assemblage d'entrée de gamme vendu dans des magasins bio et de producteurs. Quatre monovariétales haut de gamme et le fameux assemblage « Sauvage » (élu meilleur assemblage au monde en 2019) sont destinés exclusivement aux cavistes, épiceries fines et restaurants gastronomiques en France ou à l'étranger. Ces huiles sont aussi vendues sur le site Internet de La Magnanerie et en direct sur l'exploitation.

Plus d'infos sur le site Internet http://www.domainelamagnanerie.com