ENVIRONNEMENT
Zones à faibles émissions : un enjeu de santé publique

À travers la loi mobilités, l’État et les collectivités se sont engagés ces dernières années pour l’amélioration de la qualité de l’air par le biais d’un  déploiement des zones à faibles émissions (ZFE). Décryptage.

Zones à faibles émissions : un enjeu de santé publique
La mise en place des zones à faibles émissions vise à inciter les habitants à utiliser des formes de mobilité alternatives.

« En France, la pollution de l’air est responsable de près de 40 000 décès prématurés par an », pointe la dernière enquête de Santé publique France. Alors que la première zone à faibles émissions (ZFE) a vu le jour à Paris le 1er septembre 2015 pour les poids lourds, bus et autocars, la mesure s’est depuis étendue à tous les véhicules (voitures particulières, véhicules utilitaires légers, poids lourds, deux-roues motorisés) à l’exception des engins agricoles, et à d’autres secteurs géographiques.

Aujourd’hui, la France compte onze ZFE dont les métropoles de Lyon (Rhône), Saint-Étienne (Loire), Grenoble (Isère) et Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Ce dispositif a déjà fait ses preuves en Europe avec plus de 250 zones déployées depuis plusieurs années sous le dénominatif low emission zone (LEZ). « Selon un retour d’expériences européennes, le bénéfice d’une LEZ sur la qualité de l’air est significatif pour les particules (PM). Pour les oxydes d’azote, il sera d’autant plus important que les niveaux de restriction seront ambitieux. Ainsi, l’introduction de l’Ulez (Ultra low emission zone) dans le centre de Londres où les diesels sont dorénavant interdits se traduit par une réduction de près de 50 % des émissions de NOx », explique Chantal Derkenne, ingénieure au service Qualité de l’air à l’agence de la transition écologique (Ademe).

Cette dernière souligne que « la mise en place d’une zone à faibles émissions ne peut pas résoudre à elle seule les problèmes de qualité de l’air. C’est un dispositif à déployer parmi un ensemble plus large de mesures pour limiter les émissions de polluants ». Un sentiment partagé par Charlotte Lepitre, responsable projets et partenariats à Atmo France, fédération des associations de surveillance de la qualité de l’air. « De nombreux efforts sont à faire pour avoir une amélioration de la qualité de l’air globale sur tout le territoire national. Tout n’est pas de la responsabilité du citoyen, les actions doivent aussi venir des secteurs industriels, maritimes et agricoles, mais aussi des décideurs publics », ajoute-t-elle.

Protéger les habitants des grandes villes

Mais en quoi consistent réellement ces ZFE ? Face à une mauvaise qualité de l’air en France, l’État et les collectivités locales ont choisi de lutter conjointement contre ce fléau sanitaire à travers le déploiement, en 2018, de zones à faibles émissions.

Ce dispositif consiste, selon les indicateurs propres à chaque localisation, à limiter – sur des plages horaires déterminées - l’accès à une partie du territoire aux véhicules les plus émetteurs de polluants atmosphériques pour améliorer non seulement la qualité de l’air dans les zones les plus touchées par cette pollution mais aussi la santé des citoyens. Ainsi, seuls les véhicules les moins polluants (en fonction de leur certificat Crit’Air) ont le droit de circuler lors des périodes où la circulation est restreinte. « Au 25 avril 2021, 18,5 millions de certificats qualité de l’air ont été commandés soit 48 % du nombre total de véhicules en circulation en France », indiquait une étude d’Atmo France.

« La mise en place progressive des restrictions laisse du temps aux individus et acteurs économiques pour s’adapter par le remplacement de leur véhicule mais aussi par des changements en faveur de mobilités alternatives et d’autres modes d’organisation au quotidien », ajoute Chantal Derkenne. « L’évaluation des impacts sur la qualité de l’air diffère d’une ZFE à une autre mais, selon les cas, des réductions de concentrations dans l’air de NO2 (oxyde d’azote) et PM10 (particules) jusqu’à 12 % et de 15 % de PM2,5 peuvent être observées », prévient le ministère de la Transition écologique et solidaire.

Des textes réglementaires européens fixent des valeurs limites de concentration à ne pas dépasser, au même titre que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui a, elle, durci le seuil pour garantir un non-risque sanitaire. Depuis l’été dernier, le déploiement des ZFE est devenu obligatoire pour les agglomérations métropolitaines de plus de 150 000 habitants, comme l’indique l’article 119 de la loi climat et résilience. « Les grandes métropoles doivent considérer cela comme une opportunité d’améliorer la qualité de vie de leurs habitants. C’est un outil pertinent pour les zones urbaines, mais pas le seul », conclut Charlotte Lepitre.

Amandine Priolet

Travailler dans une zone à faibles émissions
Les interdictions liées à la mise en place des zones à faibles émissions compliquent la circulation des véhicules utilitaires et des poids lourds pour assurer les livraisons.
PROFESSIONNELS

Travailler dans une zone à faibles émissions

La création des zones à faibles émissions complique la circulation des professionnels et suscite des inquiétudes. Pour les accompagner, de nombreux acteurs proposent aujourd’hui des solutions.

Depuis la création d’une zone à faibles émissions (ZFE) par Grenoble-Alpes Métropole en mai 2019, les véhicules utilitaires ayant un Crit’Air 4 ou 5 ou étant catégorisés « non classés » ne peuvent plus circuler dans vingt-sept communes de la Métropole1. En juillet 2022, viendra le tour des Crit’Air 3. En 2025, l’objectif sera d’interdire tous les véhicules professionnels n’ayant pas un Crit’Air 1.

Circulation restreinte

Conçues pour participer à l’amélioration de la qualité de l’air respiré par les habitants, les ZFE imposent des règles strictes aux conducteurs d’utilitaires et de poids lourds, avec des conséquences lourdes pour les professionnels. « Je ne suis pas contre le fait qu’il y ait des restrictions en raison de la pollution. Mais dans le contexte actuel, on ne peut pas exiger que chacun change de véhicule, d’autant plus que les délais d’obtention sont très longs et que dans le cas de l’achat d’un véhicule électrique, il faut payer très cher », explique Jacqueline Rebuffet, vice-présidente de la Chambre d’agriculture de l’Isère.

« Nous sommes agriculteurs, nous travaillons en circuit court et la ZFE est très contraignante pour nous », témoigne Régine Oddos. Agricultrice au sein du Gaec du Moulin, à Lalley, elle commercialise farine, lentille et viande de porc dans des villes concernées par la ZFE, comme Claix et Grenoble. « Nous avons des Crit’Air 3 et des Crit’Air 2, donc pour l’échéance de juillet 2022, nous pourrons nous débrouiller, mais lorsque seuls les Crit’Air 1 seront autorisés en 2025, ce sera plus compliqué », ajoute-t-elle. D’autant plus que les véhicules du Gaec du Moulin sont équipés de compartiments frigorifiques. Or, il n’y a actuellement pas de Crit’Air 1 avec une capacité suffisante en termes de charge utile ou d’autonomie. « Nous sommes en montagne, il faut que le véhicule soit capable de remonter la pente », précise Régine Oddos. « Nous comptons sur les dérogations qui seront mises en place et nous espérons que d’ici 2025, des utilitaires qui correspondent à nos besoins seront créés. Sinon, ce sera à la clientèle grenobloise de venir chercher nos produits ».

Épauler les producteurs

Il devient alors nécessaire pour les professionnels de s’y conformer. Pour certains, l’adaptation est facilitée par les structures qui les accueillent, comme le marché d’intérêt national (MIN) de Grenoble. Il regroupe une quinzaine de grossistes qui approvisionnent quotidiennement deux-cents clients. Quinze à vingt producteurs vendent quant à eux sur le carreau. Le site est également ravitaillé par un réseau de fournisseurs qui arrivent sur le site par le biais de transporteurs.

« Avec la Métropole, nous avons mis en place un plan d’aménagement pour fournir aux professionnels des moyens de respecter la réglementation », explique Jean-Luc Duperret, directeur du MIN. Des travaux d’aménagement d’une station GNV2 sont en cours sur le parking du MIN. Elle sera opérationnelle en septembre et complétera l’offre qui existe déjà sur le parking du marché. Deux places munies de recharges pour les véhicules électriques sont laissées à disposition des grossistes. Dans l’année, le MIN passera à six bornes de recharge. Pour autant, même si le marché se place dans une démarche de transition énergétique et accompagne les professionnels vers ce mouvement, les difficultés semblent plutôt s’installer avec l’interdiction de circuler posée à l’encontre des Crit’Air 3. « Il est compliqué de modifier totalement un parc de véhicules, cela prend du temps », explique Jean-Luc Duperret.

Pour d’autres, la solution choisie est la logistique mutualisée afin de faciliter les livraisons en ville. La structure Mangez Bio Isère, située dans le MIN, pratique cela depuis dix ans. « Ainsi, les trois quarts des flux de livraison de nos producteurs passent par le MIN », explique Lydéric Motte, son directeur. « Il faut aussi savoir qu’un quart de nos livraisons en centre-ville sont effectuées à vélo. Une remorque attachée à chacun de nos vélos permet de livrer dix à quinze clients par jour. » Le reste des livraisons s’effectue en véhicule léger, Mangez Bio Isère étudiant la possibilité de transformer la flotte diesel en GNV

Morgane Poulet

1. Bresson, Champ-sur-Drac, Champagnier, Claix, Corenc, Echirolles, Eybens, Fontaine, Gières, Grenoble, Jarrie, Le Pont-de-Claix, La Tronche, Meylan, Montchaboud, Noyarey, Poisat, Quaix-en-Chartreuse, Saint-Egrève, Saint-Martin d’Hères, Saint-Martin-le-Vinoux, Sassenage, Seyssinet-Pariset, Seyssins, Varces-Allières-et-Risset, Venon, Veurey-Voroize.
2. Gaz naturel véhicule. Il s’agit d’un carburant essentiellement composé de méthane.
ZFE : les conseils métropolitains en action
Jean-Charles Kohlhaas, vice-président du Grand Lyon délégué aux déplacements, aux intermodalités et à la logistique urbaine.
POLITIQUE

ZFE : les conseils métropolitains en action

Poussée par les directives européennes, la France a, ces dernières années, accéléré le développement de zones à faibles émissions sur son territoire. Exemple avec les Métropoles de Lyon et Grenoble, parmi les plus actives en matière de préservation de la qualité de l’air.

Dans la métropole de Lyon, 60 % des déplacements motorisés concernent des distances de moins de trois kilomètres. Ce chiffre, comparable à ceux observés dans les principales métropoles françaises, témoigne d’une culture  très ancrée de la voiture. Dans la région lyonnaise, une ZFE a été mise en place en 2019 pour les véhicules professionnels lourds et légers. Progressivement, les véhicules des usagers  ont été concernés, ceux portant les vignettes Crit’Air 5 et 4 puis 3 ont été bannis de la circulation dans une zone géographique couvrant l’intérieur du périphérique lyonnais. « La ZFE ne concerne que les vignettes Crit’Air. Les mesures de voirie comme les  limitations de vitesse n’ont rien à voir même si l’objectif est le même », explique Jean-Charles Kohlhaas, vice-président de la Métropole de Lyon, délégué aux déplacements, aux intermodalités et à la logistique urbaine.

Jusqu’à 6 000 € d’aide à la conversion à Lyon

Depuis 2020, une majorité emmenée par les Écologistes dirige la Métropole de Lyon. Bien décidés à aller plus loin que leurs prédécesseurs, les élus métropolitains ont fixé l’objectif de ne plus compter aucun véhicule Crit’Air 2  d’ici 2026. Mais avant, une extension géographique de la ZFE au-delà du périphérique lyonnais est envisagée dès 2023. Le débat qui est lancé depuis plusieurs mois inclut pouvoirs publics et acteurs du privé, et notamment le monde agricole. « Pour les professionnels qui travaillent sur les marchés ou qui ont besoin de circuler dans la ZEE pour se fournir, des dérogations qui peuvent porter sur plusieurs véhicules sont accordées. Ces dérogations
sont temporaires, sur trois ans par exemple, le temps de changer son véhicule. Si on cumule les aides de la Métropole et de l’État, on arrive à une somme de 6 000 €. Mais ne nous y trompons pas, l’instauration de la ZEE vise aussi à pousser ceux qui le peuvent à se passer de voiture. C’est pourquoi nous avons doublé les investissements dans les transports en commun avec l’objectif de diviser par deux le nombre de voitures circulant dans la  métropole », poursuit Jean-Charles Kohlhaas.

Une « approche pragmatique » à Grenoble

Un peu plus au Sud à Grenoble, une première ZFE a aussi été mise en place en 2019 pour les poids lourds et les véhicules utilitaires légers sur un territoire couvrant vingt-sept communes. Mais dès 2023, une deuxième ZFE  incluant tous les usagers sera mise en place dans un périmètre couvrant treize communes métropolitaines. Pourtant, la Métropole grenobloise revendique « une approche pragmatique et fait tout pour que la ZFE ne pèse pas  trop sur l’activité », pour reprendre les mots de Cécile Cenatiempo, conseillère métropolitaine déléguée à la qualité de l’air. « Comme partout, des dérogations sont accordées aux agriculteurs ou aux marchands sédentaires. Au-delà des aides financières, nous fournissons aussi un accompagnement par un prestataire pour définir le projet de transition ». Si des chiffres précis n’ont pas encore été dévoilés, l’élue métropolitaine affirme que « les  premiers résultats de la ZEE existante sur la qualité de l’air sont meilleurs qu’espérés ». De quoi prouver, d’après elle, « l’intérêt des ZFE pour les territoires très exposés à la pollution ».

Pierre Garcia