Commencées début septembre, les vendanges en nord Ardèche se terminent sous peu. S’il est trop tôt pour tirer un bilan des récoltes, un premier point sur le millésime à venir s’impose.

Une récolte qui réserve de belles surprises
Les coteaux de Saint-Péray. ©AAA_MMartin

Sur les coteaux abrupts au nord de Saint-Péray, Laure Colombo est, depuis 2014, à la tête du Domaine de Lorient avec son compagnon, Dimitri Roulleau-Gallais. Consciente du changement climatique qui s’opère, elle a souhaité s’installer sur les hauteurs, pour faire du vin blanc. « On a trois semaines de décalage pour les vendanges avec le sud Ardèche. Le Saint-Péray est un vin blanc avec beaucoup de fraîcheur. » Si les parcelles de vignes sont en hauteur à l’abri des chaleurs, les canicules et autres aléas climatiques, de plus en plus fréquents, n’épargnent pas la zone septentrionale de l’Ardèche.

Changement climatique : des effets désormais quotidiens

2023 a été une année épique, en termes de risques environnementaux : elle a commencé par une sécheresse hivernale, très inquiétante pour les vignerons. Benoît Nodin, vigneron et président de l’AOC Saint-Péray, détaille : « Nous avons eu des pluies mal placées. On a eu très peur en cours de saison. Seulement 130 mm de pluies sont tombés entre janvier et mai, puis 150 mm entre le 1er mai et le 30 juin. Des pluies à répétition suffisamment abondantes pour être sujet à une pression sanitaire ». En effet, la conséquence est directe : le mildiou, l’oïdium et le black-rot ont fait leur apparition sur quasiment tous les cépages.

Malgré tout, la chaleur qui a suivi a cicatrisé et fait sécher les grains, n’entraînant pas de grosses catastrophes sanitaires. Cependant, les vignerons ardéchois n’étaient pas au bout de leur peine : deux épisodes de grêles au mois de juillet, ont continué d’impacter les vignes. De gros grêlons abîmant en particulier les feuilles, avec la peur que ne se développe le rot blanc (moisissure qui peut s’installer après la grêle et concourt à bloquer la maturité du raisin.) « Nous avons eu une perte de volume », relate Cyril Courvoisier, président de l’AOC Cornas depuis mai 2023. « Sur certains secteurs, j’ai eu 50 % de pertes », renchérit Guillaume Gilles, vigneron à Cornas depuis 2007. Mi-août, une chape de plomb s’écroule sur l’ensemble des cépages : la canicule estivale fait son apparition. « Nous avons eu jusqu’à 60 °C au sol dans les vignes », remarque, interpellée, Charlène Cellier, œnologue et associée au domaine Chaboud-Cellier de Saint-Péray. Si à l’origine la chaleur permet aux vignes de sécher et de se remettre des orages de grêles, les vignerons s’inquiètent de la récolte à venir : « C’est la première année où au début je n’avais pas envie d’aller vendanger », confie Guillaume Gilles. « Le coup de chaleur était l’incident de trop. » Heureusement, fin août, 60 mm de pluies salvatrices viennent sauver la récolte. « La vigne a pu boire peu à peu après les fortes chaleurs, cela n’a pas impacté la maturité, il n’y a pas eu de blocage », note Benoît Nodin.

Une entame de saison sous le signe des « bonnes surprises »

Malgré un « chaos » climatique qui s’est abattu cette année sur les vignobles de la zone septentrionale de l’Ardèche, les vignerons sont unanimes, la récolte 2023 réserve de bonnes surprises. « La maturité a été lente, on a eu de l’eau au bon moment de croissance, la vigne a été un peu stressée avec la canicule, ce qui a activé son cycle de maturation. Chaque année est chaotique, mais pour l’instant, on passe entre les mailles du filet », analyse Laure Colombo. Pour Charlène Cellier, cependant, il était difficile de se projeter sur la qualité du vin au départ. « Maintenant que les vendanges sont terminées, nous avons eu de belles surprises, avec de jolis équilibres. Un millésime moins riche que pour 2022, avec plus de fraîcheur et d’acidité. » Même son de cloche du côté de l’AOC Cornas. Cyril Courvoisier, se dit « très satisfait de ce qu’on entre en volume et pour l’instant, les jus qui fermentent sont de grandes qualités. L’équilibre est parfois surprenant, avec un taux d’alcool moins fort, c’est prometteur », révèle-t-il.

« Finalement, c’est une bonne surprise, je suis étonné de la résistance et de la résilience de la vigne, malgré les incidents climatiques », glisse, optimiste, Guillaume Gilles. À l’instar de leur vigne, dont ils sont les gardiens, les vignerons ardéchois ont su faire preuve de résistance et de résilience. De bons augures pour la cuvée 2023 à venir.

Marine Martin

Quel marché pour les vins septentrionaux ?

Le marché des vins septentrionaux, assez confidentiel, se porte bien. « Il est plutôt porteur », affirme Cyril Courvoisier. Même avis du côté de Laure Colombo et Charlène Cellier qui vendent leur vin chez des cavistes et des restaurateurs principalement. 

Adapter les pratiques
Laure Colombo, vendangeant les cépages Marsanne et Roussanne pour le Saint-Péray, sur une parcelle enherbée. ©AAA_MMartin
ALÉAS CLIMATIQUES

Adapter les pratiques

Si les éléments se sont déchaînés, ils ont aussi octroyé du répit pour panser les blessures infligées et ainsi ne pas ternir la saison 2023. Cependant, la catastrophe n’est pas passée loin. Tels des funambules, les vignerons oscillent entre le fait d’endurer les aléas les uns après les autres et celui d’agir pour devenir acteur du changement.

Pour Laure Colombo, le changement climatique ne laisse pas d’autres choix que celui de se diversifier. « Nous avons planté des oliviers au cœur des vignes. Sur les coteaux, difficile de faire autre chose. Mais il faut surtout retravailler avec le vivant et accueillir la biodiversité », résume-t-elle. « Nous sommes dans l’expérimentation », précise Anne Colombo, vice-présidente de l’AOC Cornas. « Par exemple, l’enherbement permet d’éviter l’oxydation des sols et retient également l’eau. De plus, les bouses de vaches constituent du fumier de premier choix pour la vigne. Il faut rapporter l’animal au sein des parcelles », poursuit Laure Colombo. Cependant, contre la grêle, peu de moyens de lutte sont à disposition : « On ne peut pas mettre de filets anti-grêle sur les coteaux ».

Anticiper la production

Du côté de Cyril Courvoisier, il s’agit de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Ses deux hectares et demi de vignes sont disséminés entre Cornas, Saint-Péray et Saint-Joseph. « Cela diminue les risques climatiques », remarque-t-il. Le président de l’AOC Cornas note également qu’il est important d’anticiper la production : « Nous devons avoir une réflexion autour de nos modèles économiques, en travaillant sur les stocks avec une conservation plutôt longue et jouer sur la date de mise en marché pour éviter les années creuses. » Enfin, être assuré semble être la solution de la dernière chance, « mais tout le monde n’est pas assuré, car les problèmes ne sont pas récurrents chaque année », nuance Benoit Nodin.

Les syndicats ne sont pas seuls face aux défis à relever, l’AOC Cornas travaille avec la communauté de communes pour redéfinir la carte du PLUIH 1, en conciliant les espaces naturels protégés et le développement viticole. Charlène Cellier ajoute : « On travaille ensemble entre les syndicats, au sujet des besoins d’eau par exemple avec le projet Keyline, mais aussi au niveau de l’agroécologie ».

M. M.

1. PLUIH : Plan Local d’Urbanisme Intercommunal et Habitat

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Cyril Courvoisier, président de l'AOC Cornas. ©Cyril_Courvoisier
Charlène Cellier, commence la vinification de la cuvée 2023. ©AAA_MMartin
Les vignerons s'adaptent aussi, pour garder les saisonniers
Tout vigneron a besoin de sa « colle » en période de vendanges. ©AAA_MMartin
EMPLOI SAISONNIER

Les vignerons s'adaptent aussi, pour garder les saisonniers

Si cette année, les saisonniers sont présents, le champ de l’emploi agricole éprouve des difficultés à recruter et demande aux agriculteurs une adaptation fulgurante.

Pour Benoît Nodin, également élu à la FDSEA, la tension sur la main-d’œuvre est moindre en période de vendanges que pendant le reste de l’année. « Il y a moins de pression qu’en été où il faut aller très vite pour récolter les fruits et légumes par exemple. » Malgré tout, les saisonniers manquent à l’appel depuis de nombreuses années. Plusieurs facteurs conduisent à ce constat selon Benoît Nodin. « Avant, les étudiants terminaient leurs cours à la bonne saison des récoltes, désormais avec des récoltes commençant de plus en plus tôt, on est plus sur le même timing. » Le deuxième élément, selon l’agriculteur, est que la France a limité l’accès aux travailleurs étrangers qui venaient gonfler les rangs des saisonniers. Un dernier point se combine aux autres : la notion de travail aurait changé de sens selon le président de l’AOP Saint-Péray. « Pour que les jeunes se donnent du mal, il faut donner du sens au travail, leur transmettre l’envie de travailler sinon ils ne sont pas assidus. De plus, en étant diversifié, j’ai besoin d’avoir une main-d’œuvre adaptée pour chaque filière, ce qui n’est pas le cas des exploitations spécialisées », rappelle Benoît Nodin. Pour Anne et Laure Colombo, il s’agit de fidéliser en payant mieux et en réduisant la pénibilité du travail : « Depuis que l’on subit de grosses chaleurs, les saisonniers travaillent jusqu’à 13 heures maximum et s’arrêtent à 11 h lors des canicules. De plus, nous réalisons l’entretien des sols l’hiver et pas en été. Les saisonniers ont moins de travaux pénibles. » Charlène Cellier souligne, quant à elle, l’entraide qui s’opère entre vignerons pour s’échanger les travailleurs, quand il y a besoin. « Cela évite d’avoir des journées à trous pour les saisonniers, s’ils peuvent vendanger pour d’autres vignerons », ajoute Guillaume Gilles.

M. M.

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Benoît Nodin, agriculteur diversifié, président de l' AOC Saint-péray et secrétaire général de la FDSEA 07. ©AAA_MMartin