INTERVIEW
Roman Leshchenko, ministre ukrainien de l’Agriculture : « Nous avons besoin de gazole et de produits phytosanitaires »

Nommé ministre de l’Agriculture ukrainienne en décembre 2020, Roman Leshchenko avait commencé à conduire une réforme agraire et un vaste plan de soutien à l’irrigation dans le pays. Plus d’un mois après l’invasion russe, il fait le point sur l’état de l’agriculture ukrainienne.

Roman Leshchenko, ministre ukrainien de l’Agriculture : « Nous avons besoin de gazole et de produits phytosanitaires »
Roman Leshchenko, ministre ukrainien de l’Agriculture. ©Réussir

Quel est l’effet de la guerre sur la filière alimentaire en Ukraine ?

Roman Leshchenko : « La guerre a interrompu les chaînes d’approvisionnement à l’export car nos ports sont fermés. Nous sommes un pays orienté vers l’exportation, 70 % des produits agricoles ont été exportés. Il est difficile de remplacer rapidement certaines choses, y compris en matière d’importations. Cela concerne d’abord les produits phytosanitaires et le carburant, nécessaires à la conduite des semis. Afin d’assurer la sécurité alimentaire, nous devons terminer toutes les interventions culturales de printemps mais nous avons besoin de livraisons de gazole et de produits phytosanitaires depuis l’Europe. Par ailleurs, nous avons décidé d’interdire l’exportation des engrais importants depuis l’Ukraine en raison de l’état de guerre et dans le but de maintenir un équilibre sur le marché domestique. J’insiste pour dire que cette interdiction est prise sous la contrainte et de manière temporaire, afin de s’assurer de la réussite des semis. »

Dans quelle mesure les principales infrastructures d’exportation de céréales ont-elles été endommagées ? 

R.L. : « Actuellement, l’infrastructure d’exportation est bloquée, mais pas gravement endommagée. Par conséquent, si le transport maritime était débloqué, nous pourrions reprendre les exportations d’ici une semaine. »

Quelle est l’importance des régions de Donetsk et Louhansk en termes d’agriculture ?

R.L. : « Une grande partie des oblasts de Donetsk et Louhansk ont été temporairement oc[1]cupés au cours des huit dernières années. Par conséquent, ces territoires cultivaient pour couvrir les besoins internes de la population et ne jouaient pas un rôle essentiel pour assurer la sécurité alimentaire de l’Ukraine. »

Comment la guerre affecte-t-elle concrètement les semis des cultures de printemps ?

R.L. : « Actuellement, je peux vous assurer qu’il n’y a pas d’impact sur les cultures de printemps étant donné que la saison des semis commencera de manière active le 7 avril. Mais en même temps, nous savons déjà que nous n’aurons pas une récolte record cette année. La production des cultures de printemps sera au moins inférieure de 30 % à celle de l’année précédente. Notre capacité à atteindre 70 % dépendra de l’approvisionnement en diesel, d’autres facteurs de production et de l’évolution des opérations militaires russes sur le territoire ukrainien. »

Nous avons entendu parler des problèmes de logistique des semences et des difficultés pour les agriculteurs à obtenir des prêts pour acheter des marchandises importées. Quelle est la situation ?

R.L. : « La logistique pose effectivement des problèmes. Aujourd’hui, toute la logistique est redirigée vers le transport ferré avec les pays européens : Roumanie, Hongrie, Slovaquie et Pologne. En matière de crédit, l’État envisage de mettre en place un mécanisme préférentiel de crédit aux agriculteurs afin qu’ils puissent acheter tous les moyens de production nécessaires. Dans les prochains jours, des décisions seront prises et annoncées aux agriculteurs. »

Vous avez récemment annoncé que les agriculteurs et les ouvriers agricoles étaient exemptés de mobilisation dans l’armée. Qu’en est-il précisément ?

R.L. : « C’est exact, nous avons débuté une procédure de mise en réserve des agriculteurs. L’objectif, c’est de rester dans les meilleures dispositions pour pouvoir réussir la campagne de semis. En ce moment, les agriculteurs ne peuvent pas travailler là où les hostilités se poursuivent. Mais sur le reste du territoire, il n’y a pas eu d’interruption de leur travail. Toutes les activités d’élevage sont réalisées au quotidien, et la production agricole devrait être semée en avril. »

Quelle est votre position sur le fait que les entreprises alimentaires de l’Union européenne ne quittent pas la Russie, arguant qu’elles doivent maintenir la sécurité alimentaire ?

R.L. : « Ma profonde conviction est que, pendant la guerre, il ne peut y avoir de « demi-teintes » et de positions « moyennes ». Soit vous soutenez l’agresseur, soit vous refusez de coopérer avec lui jusqu’à ce qu’il arrête ses activités criminelles. C’est seulement dans le cas où la communauté européenne affirmera son unité et sa position la plus forte, c’est-à-dire le refus intégral du financement de l’occupant, que ce dernier sera le plus enclin à faire des concessions et à négocier. D’autant plus que la nourriture, contrairement aux vêtements ou aux appareils électroménagers, est vraiment une question de nécessité. »

Propos recueillis par Yurii Goncharenko