CLIMAT
Une sécheresse exceptionnelle avant même le début de l'été

La saison des fourrages a déjà un goût amer pour les éleveurs ardéchois. La sécheresse, les canicules et la hausse du prix des aliments pour le bétail menacent plus que jamais la pérennité de nombreuses exploitations.

Une sécheresse exceptionnelle avant même le début de l'été
Jérôme et Stéphane Duchier, ici avec le jeune Aurélien, élèvent 70 laitières dont le lait est livré en bio à Biolait. Ils comptent 170 ha de près et pâtures ainsi que 20 ha de céréales.

« Le plus frappant, c’est de voir les sources taries comme en fin de mois d’août. Jamais nous n’avions connu une situation pareille aussi tôt dans la saison. » Jérôme Duchier, éleveur à Saint-Alban-d’Ay, est désemparé. Installé avec son frère Stéphane et son épouse Angélique, ils élèvent ensemble 70 vaches laitières en bio. Mais cette année est décidemment bien particulière : « D’ordinaire, à cette époque, le troupeau est au pâturage. Mais cette année, on a déjà rentré les génisses en stabulation car il n’y a plus rien à manger dans les prés. Comme il n’y avait rien sur les prairies maigres, on a fait pâturer les bêtes sur nos meilleurs terrains, qu’on aurait dû faucher. Mais aujourd’hui il n’y a plus rien non plus. Le sol est brûlé. » Stéphane complète : « Heureusement, nous avons pu faire des réserves de fourrage l’an dernier. Mais cette année, on a 30 à 40 % de pertes sur les prairies temporaires, et plus de 50 % en prairies naturelles ! Là où nous avions fait 108 balles l’an dernier, nous en avons fait 39 cette année… »

Des pertes conséquentes sont également à prévoir sur les métails, luzerne et céréales.

Plus rien à boire ni à manger

« Non seulement il n’y a rien à manger, mais il n’y a plus rien à boire, s’alarme Jean-Philippe Fourrel, éleveur caprin à Preaux. Les sources sont quasiment taries. A cette époque de l’année, c’est du jamais vu !  Ça nous contraint à charrier de l’eau dans les parcs. Ce sont aussi des coûts supplémentaires, d’autant plus qu’avec cette chaleur, les bêtes ont besoin de s’hydrater davantage. »

Aline Crouzet vient tout juste de s’installer à Lalouvesc. Et déjà, cette éleveuse de Salers doit faire face à la sécheresse. « Heureusement, nous avions fait un peu de stocks l’an dernier, et j’ai récupéré des terres d’un voisin parti en retraite… Mais ça ne suffira pas à compenser les pertes, qui sont de l’ordre de 50 % sur l’enrubannage et les foins. Nous faisons un peu de blé, mais on ne sait pas ce que ça va donner. Je suis très inquiète pour les prochaines semaines. Il faut espérer qu’on aura de la pluie et qu’on pourra faire un peu d’enrubannage à l’automne. »

Des pertes de production liées à la chaleur

« Dès qu'il fait chaud, on a une baisse de la production laitière, souligne Stéphane Duchier. En été, les laitières produisent toujours moins qu'en hiver, mais avec des chaleurs toujours plus extrêmes et étendues, ça fait baisser la production. On a aussi davantage de problèmes de mammites. Par ailleurs, on a beau nettoyer les pieds trois fois par jour, on a bien plus de boiteries que lorsque les bêtes sont au pâturage. Si elles doivent rester en bâtiment jusqu'à l'année prochaine, ça va faire des dégâts. »

Dans leur réservoir de 1000 l, où coule d’habitude une eau de source abondante, ne coule plus qu’un mince filet…
Dans leur réservoir de 1000 l, où coule d’habitude une eau de source abondante, ne coule plus qu’un mince filet…

AOP : « Respecter le cahier des charges devient difficile »

Nicolas Révol s'est installé en 2020 à Boffres, en élevage caprin avec transformation en AOP Picodon. Or, comme pour toute appellation, le cahier des charges est contraignant en terme d'alimentation. « Elle doit provenir à 100 % de l'aire géographique, doit contenir une certaine diversité de plantes et les compléments ne doivent pas dépasser une certaine quantité. Or avec le manque de fourrage, il se peut qu'on ait du mal à le respecter. »

Manque de fourrage et inflation, la double-peine

L'achat de fourrage est un coût supplémentaire pour les exploitations qui en manquent. Or, avec les prix des aliments qui flambent, c'est parfois intenable. « Et dans le même temps, le prix du lait bio n'arrête pas de baisser, regrette Jérôme Duchier. Avec le Plan de résilience, on peut toucher 1000 €. On ne va pas cracher dessus, mais c'est loin d'être suffisant pour combler le manque de fourrage et l'inflation. »

Face à cette situation, il n’y a guère de solution. « À moins d’avoir la possibilité d’irriguer, il est inutile de ressemer derrière les moissons, estime Emmanuel Forel, conseiller Fourrages à la Chambre d’agriculture. Ceux qui ont terminé peuvent d’ores-et-déjà faire leur bilan fourrager et évaluer où en sont les stocks pour pouvoir faire leurs achats le moment venus. »

M.C.