Jeudi 16 novembre, la Maison des Européens Lyon a organisé, à la Cité de la gastronomie, une table ronde autour de la stratégie « Farm to fork ». Objectif : définir s’il s’agit d’une utopie ou d’une réalité. La réponse n’est, sans surprise, pas aussi tranchée.
Partie intégrante du Green deal ou Pacte vert européen, la stratégie de la Ferme à la table (Farm to fork) poursuit un objectif noble. Celui de proposer à l’ensemble des Européens une alimentation saine, durable, nutritive et respectueuse de l’environnement. « Elle vise à assurer la sécurité alimentaire des Européens face au changement climatique et à la perte de biodiversité et à réduire l’empreinte climatique globale du système alimentaire. Il s’agit d’une approche ambitieuse et holistique qui implique la participation de tous les acteurs », a précisé Jessica Larsson, cheffe adjointe de la représentation en France de la Commission européenne. Si cette stratégie fait consensus sur le fond, elle peut parfois paraître difficile à mettre en œuvre d’autant plus quand des événements géopolitiques comme la guerre en Ukraine ou encore climatiques s’en mêlent. Alors, à l’heure où les différents textes d’application sont soumis au vote du Parlement européen, la stratégie de la Ferme à la table est-elle une utopie ou une réalité ? C’est à cette délicate question que les quatre intervenants invités à la table ronde organisée par la Maison des Européens Lyon, le 16 novembre à la Cité de la gastronomie lyonnaise, ont tenté de répondre. Et la réponse n’est pas si évidente. Pour Jérémy Decerle, eurodéputé Renew et éleveur en Saône-et-Loire, si les agriculteurs sont en première ligne du réchauffement climatique et que le besoin d’adaptation dans une idée de résilience est indubitable, la stratégie, qu’il a votée, n’est pas sans reproche.
Un fonctionnement en silos
« Nous avons tendance à nous concentrer sur des priorités chiffrées sans forcément regarder sa mise en œuvre. Il peut exister des difficultés d’application selon les territoires. […] Tout n’a pas été calibré en fonction de ce que les agriculteurs ont les moyens de faire et l’on a du mal à reconnaître ce qui a été déjà fait. Les agriculteurs sont partie prenante et force de propositions pour aller plus loin sur différentes politiques. Il faut remercier les agriculteurs et reconnaître ce qui a déjà été fait », a noté l’eurodéputé bourguignon prenant l’exemple des réductions d’usage des antibiotiques et des pesticides qui ont déjà été engagées. L’élu européen, qui se dit prêt à ne pas voter certains des textes proposés, déplore par ailleurs l’habitude de la Commission européenne de travailler « en silos ». « Il n’y a pas suffisamment d’échanges entre les différentes directions générales dans la construction des textes proposés. Nous sommes trop souvent confrontés à des situations de vote pour des textes qui entrent en contradiction. Par ailleurs, nous devons mettre les politiques commerciales en adéquation » avec les ambitions du Green deal. Une allusion non dissimulée aux accords de libre-échange en cours de négociation.
Le spectre de la pénurie alimentaire
Un sujet assez « passionné », selon la cheffe adjointe de la représentation de la Commission européenne. « En matière agricole, l’Union européenne est perçue par les pays tiers comme une forteresse en raison des normes sanitaires et phytosanitaires notamment qui s’imposent de la même manière à tous les produits sur le marché européen quelles que soient leurs origines. » Une réalité dont le contrôle est encore difficile à évaluer. Le spectre de la pénurie alimentaire fait également frémir du côté des agriculteurs. « L’agriculture a pour mission première de nourrir la population. C’est notre métier et nous voulons en vivre. En 2019, lors de la présentation de la stratégie, certaines analyses avaient choqué. Certaines avaient, en effet, révélé que si nous mettions en place ce système agricole sur l’ensemble de la planète, nous ferions face à des pénuries. Il est important de veiller à ne pas baisser le volume de production. Il ne faut pas mettre les agriculteurs face à des impasses techniques. La recherche et le développement sont primordiaux. Et diverses expérimentations conduites par le réseau des chambres d’agriculture vont d’ailleurs dans ce sens. Il faut donner les moyens aux agriculteurs d’y arriver », a soulevé le président de la chambre d’agriculture du Rhône, Pascal Girin. Les moyens arriveront bien évidemment des instances dirigeantes, mais également du consommateur final qui devra être prêt à payer plus cher. Ainsi, si les ambitions sont posées et partagées par tous, du chemin reste encore à parcourir pour en faire une réalité.