ELEVAGE DE GIBIER
Une filière d’excellence essentielle à la protection de la biodiversité

ELEVAGE DE GIBIER / Assez méconnu, l’élevage de gibier concerne pourtant 500 éleveurs en France. Le rôle de l’éleveur de gibier est de compenser la baisse des populations de plusieurs espèces sédentaires engendrée par la dégradation des milieux, rappelle Jean-Christophe Chastang. Installé dans la Drôme, ce dernier est le président du Syndicat national des producteurs de gibier de chasse. Il dresse le panorama d’une filière essentielle à la préservation de la biodiversité.

Une filière d’excellence essentielle à la protection de la biodiversité
Le gibier à plumes représente l’essentiel du gibier produit en France. Un tiers des faisans chassés en Europe proviennent d’ailleurs d’élevages français. ©Marcin Perkowski / IInterProchasse
Article leader / ITW
Jean-Christophe Chastang, président du Syndicat national des producteurs de gibier de chasse (SNPGC). ©L’Agriculture Drômoise

En quelques mots, comment présenter la filière d’élevage de gibier ?

Jean-Christophe Chastang : « L’élevage de gibier compte aujourd’hui environ 500 éleveurs que l’on appelle des cynégéticulteurs. Cette filière a vu le jour dans les années 1970 lorsque l’on a observé une dégradation plus rapide et plus importante des milieux. Au fil des années, l’activité humaine a en effet dérivé vers une surexploitation de nos milieux naturels. On tape d’ailleurs beaucoup sur l’agriculture mais contrairement à ce que certains pensent, elle n’est pas la seule responsable ! On peut citer le TGV, la construction des autoroutes et d’autres voies routières ou encore l’industrialisation des territoires. Cette emprise sur les milieux a eu un impact sur la biodiversité et sur la gestion des populations de la faune sauvage. Le rôle de l’éleveur de gibier, c’est justement de compenser la baisse des populations de plusieurs espèces sédentaires engendrée par la dégradation des milieux. Le métier de cynégéticulteur est un métier exigeant mais passionnant. Ce sont des gens qui sont passionnés de nature et de chasse et qui ne comptent pas leurs heures. »

Quelles sont les principales espèces de gibier produites en France ?

J.C.C. : « Le gibier à plumes représente l’essentiel du gibier produit en France. On parle là du faisan, de la perdrix ou encore du canard colvert. Dans une moindre mesure, nous produisons également des lièvres et des lapins de garenne. De manière plus minoritaire, il existe aussi en France de l’élevage de cervidés et de sangliers. On retrouve cette filière dans l’Est de la France, c’est là que le marché de la venaison du grand gibier est le mieux organisé. La majorité des éleveurs produisent du gibier de catégorie A qui a vocation à être remis en nature. La catégorie B concerne le gibier destiné à la boucherie. Dans le gibier de catégorie A, on distingue trois sous-catégories. Le gibier de printemps, d’abord, est un gibier de reproduction. Il est remis en nature pour se reproduire afin de reconstituer des populations naturelles sur les territoires. Le gibier d’été est, quant à lui, un gibier de repeuplement, il sert à compléter les populations déjà en place. Le gibier de chasse, enfin, est utilisé pour l’activité cynégétique. Il est destiné à être prélevé même s’il contribue également à la dynamique des populations. »

Dans quel cadre réglementaire est exercée l’activité d’élevage de gibier ?

J.C.C. : « La filière française d’élevage de gibier est reconnue pour la qualité du travail de ses éleveurs. Un tiers des faisans chassés en Europe proviennent d’ailleurs d’élevages français. Si cette filière est aussi réputée, c’est pour les efforts importants qui sont réalisés à la fois sur la production et sur le suivi sanitaire. Les progrès sur la pratique de l’élevage sont constants. Chaque éleveur se réfère à une charte de qualité qui définit un cahier des charges détaillant précisément les surfaces minimales selon les animaux ou encore les conditions de vie dans les volières. Les normes de biosécurité sont aussi extrêmement contrôlées. La filière gibier est une filière d’excellence, c’est pourquoi nous travaillons au quotidien sur les qualités génétiques de nos animaux. Nous sommes en lien constant avec un consortium d’experts, notamment pour améliorer ce que l’on appelle l’épignétique, c’est-à-dire l’aspect comportemental de l’animal. »

Quel est l’impact des crises successives du Covid-19 et de la grippe aviaire sur la filière ?

J.C.C. : « Comme d’autres filières, la crise du coronavirus nous a complètement stoppés. Ce deuxième confinement a engendré pour nous une rupture totale d’activité et nous nous sommes retrouvés du jour au lendemain avec plus de 4,5 millions de petits gibiers bloqués. Pour nos éleveurs, il était important pour ne pas dire vital que la chasse au petit gibier reprenne le plus tôt possible. Heureusement, c’est aujourd’hui chose faite. Cela va permettre de sauver plusieurs entreprises qui avaient jusqu’ici beaucoup de mal à passer le cap. Néanmoins, il apparaît aujourd’hui clair qu’il sera difficile sinon impossible de surmonter les méventes du mois de novembre. Si les représentants de la filière sont pleinement mobilisés pour sauver l’avenir de ce métier, nous aurons besoin d’un « plan Marshall » d’accompagnement si nous voulons la sauvegarder. La grippe aviaire qui s’est ajoutée ces dernières semaines a heureusement été gérée sans trop de difficultés. Il faut souligner l’excellent travail qui a été mené par les services de l’Etat, la Direction générale de l’alimentation et les représentants des professionnels de la filière : le SNPGC, InterProchasse et la fédération nationale des chasseurs. Grâce à une gestion raisonnée, nous avons pu juguler le risque sanitaire tout en maintenant une activité. Nous pouvons désormais nous tourner vers les fêtes qui représentent un moment important de l’année pour la commercialisation de la venaison. »

Propos recueillis par Pierre Garcia

De manière plus minoritaire, il existe aussi en France de l’élevage de cervidés et de sangliers

De manière plus minoritaire, il existe aussi en France de l’élevage de cervidés et de sangliers
©SS
Des éleveurs de gibier aux profils différents
Céline Segard, éleveuse de gibier dans la Drôme, regrette que son métier ne soit pas reconnu à juste titre.

Des éleveurs de gibier aux profils différents

TÉMOIGNAGES / Peu reconnu, le métier d’éleveur de gibier requiert une adaptation quotidienne. Entre arrêt de la chasse lié au confinement et grippe aviaire, la conjoncture n’est pas des plus simples.

Alors que la chasse est à nouveau autorisée depuis le 28 novembre dernier, les éleveurs de gibier peuvent à nouveau commercialiser leurs animaux. « Contrairement aux gibiers à plumes, la période de la chasse est la plus creuse pour moi puisque j’élève uniquement des lapins de garenne souche pure dans le but de réussir un repeuplement de l’espèce. Ils sont donc lâchés hors période de chasse, entre janvier et août », souligne Jérôme Delorme, à la tête de L’Elevage des Pierres à Saint-Cyr-les-Vignes (Loire) depuis 2003. Peu touché par ce confinement, il redoute cependant l’année 2021 : « D’ordinaire, les sociétés de chasse organisent des manifestations pour faire de la trésorerie et acheter du gibier pour la saison suivante. Le contexte 2020 aura donc certainement un impact important sur les prochaines commandes », explique-t-il. Au sein de son élevage, il s’appuie sur un cheptel de 250 femelles reproductrices. « Les contraintes sanitaires sont importantes. Les lapins de garenne sont sujets aux maladies virales de myxomatose et de VHD qui déciment la population. Cela nécessite une vaccination importante. D’autre part, l’élevage de lapins est assez compliqué puisqu’il s’agit d’un animal sensible aux grands écarts de température », conclut-il.

Retard de vente important

De leurs côtés, les éleveurs de gibier à plumes commencent à peine à retrouver le sourire. « Notre période de vente s’effectue pendant l’ouverture de la chasse. L’interdiction de la chasse, au mois de novembre, nous a mis à l’arrêt », témoigne Céline Segard, gérante de la société Faisandrom’ à Parnans (Drôme). « Normalement, il devrait me rester 1 500 oiseaux à vendre à cette époque de l’année. Il m’en reste 8 000 actuellement », poursuit-elle.

Créée en 2003, son entreprise a d’abord géré toute la chaîne, de la reproduction à la commercialisation. Désormais, elle se fournit auprès d’un éleveur reproducteur situé à Eygalières, dans les Bouches-du-Rhône. Faisandrom’ reçoit ainsi, de début avril à fin juin, près de 32 000 poussins âgés d’un jour (faisans, perdrix rouge et perdrix grise). La commercialisation se fait ensuite de septembre à janvier. Après le coup d’arrêt de cet automne, l’éleveuse peut de nouveau expédier ses commandes, dans la Drôme et les départements limitrophes (Isère, Ardèche et Vaucluse). « Non sans contraintes », ajoute-t-elle.

Un manque de reconnaissance

Le retour de la grippe aviaire a effectivement compliqué davantage la situation : « Le risque étant élevé dans la Drôme, il est interdit de transporter et de lâcher du gibier, sauf sous dérogation, après l’aval des services vétérinaires et de la DDPP. Après réception de cette dérogation, nous espérons rattraper notre retard. Pour l’heure, la quasi-totalité de nos clients nous ont affiché leur soutien », dit-elle.

Confrontée à une fin d’année compliquée, l’éleveuse en profite pour souligner le manque de considération pour le métier. « J’ai été contactée récemment pour le recensement agricole. Après échange avec mon interlocuteur, ce dernier m’a dit que ma société n’était pas considérée comme une exploitation agricole puisque nous vendons du vivant pour le loisir. Pourtant, nous avons le statut d’exploitant agricole à la MSA, nous payons comme tout le monde nos cotisations. Mais lorsque nous avons besoin d’aides ou de subventions, nous ne figurons jamais dans les bonnes cases. Les élevages de gibier ne sont pas reconnus à juste titre », regrette-t-elle. Avant de conclure : « Nous avons d’ailleurs les mêmes réglementations sanitaires que les élevages de volaille. Pourtant, ils peuvent, eux, bénéficier d’aides pour la mise aux normes, contrairement à nous… ».

Amandine Priolet

Viande de gibier : une image à moderniser
Croquettes de perdrix aux pistaches et foie gras, une recette de blogueuse à retrouver sur le site jecuisinedugibier.fr d'InterProchasse. ©Rafaele_Boyadjian

Viande de gibier : une image à moderniser

DÉBOUCHÉS / La consommation de viande de gibier reste très marginale et saisonnière. C’est pourquoi InterProchasse mène des actions pour séduire de nouveaux consommateurs.

En France, 15 000 t de viande de gibier seraient commercialisées chaque année. 70 à 80 % de ces volumes seraient importés selon InterProchasse, qui réunit notamment parmi ses membres les représentants des producteurs de gibiers, des distributeurs de viande et la fédération nationale des chasseurs. Le gibier représenterait à peine 0,25 % des tonnages de viande consommés dans l’hexagone. Une consommation de surcroît très saisonnière. Dominique Martin-Letellier, secrétaire générale de la Fenscopa, fédération nationale des professionnels du commerce de gros en produits avicoles et gibier estime que 75 % du gibier est commercialisé pour les fêtes de fin d’année.

Des clients plutôt âgés

Alexandre Bois, qui gère trois boucheries en Ardèche, reconnaît que la demande sur ces produits est très limitée. « Je ne propose du gibier quasiment que sur commande. Depuis début novembre, j’ai eu quelques demandes de lièvre. Pour Noël, nous avons aussi des clients qui cherchent du faisan, plus rarement des perdreaux car le prix les freine un peu ». Le jeune boucher s’impose de fournir du gibier français à ses clients. « Parfois, c’est compliqué d’en trouver auprès de nos grossistes, surtout quand il s’agit de petites quantités », admet Alexandre Bois. Pour les fêtes, il s’approvisionne également en chevreuil, cerf ou sanglier et vend du civet cuisiné. « Mais au maximum cela représente sur nos trois magasins 200 à 250 kg de marchandise », confie-t-il, avant de préciser : « Le gibier s’adresse à une clientèle spécifique, plutôt au-delà de 45-50 ans, pour qui le civet évoque des souvenirs et qui a envie d’en manger à nouveau ». Dominique Martin-Letellier ne cache pas que le consommateur français est un peu frileux face au gibier. « Il a une image rétrograde de cette viande : que c’est long à cuisiner, qu’elle a une odeur forte... On a un peu de mal à se débarrasser de ces idées », concède la représentante des professionnels du commerce de gros.

Des blogueurs culinaires au service du gibier

D’où l’opération nationale baptisée « Le gibier, y avez vous pensé ? » lancée en 2018 par InterProchasse et qui se déroule d’octobre à décembre. Son objectif : faire découvrir ou redécouvrir le gibier au consommateur. « 400 bouchers, artisans ou professionnels en grande et moyenne surface participent cette année », annonce Jean-François Finot, président d’InterProchasse. Le principe : un jeu concours pour remporter un recueil de recettes édité spécialement pour l’occasion. Mais pas question de compiler les recettes des daubes de nos grand-mères. « Nous souhaitons moderniser la viande de gibier, démontrer qu’elle peut être très facile à cuisiner », affirme Jean-François Finot. L’ouvrage s’articule donc autour de recettes imaginées par des blogueurs culinaires influents. Au menu : vol-au-vent de faisan et morilles, colvert au miel, croquettes de perdrix, brochettes de lièvre, burger de chevreuil au confit de poires, sanglier façon bolognaise... Une stratégie qui prend tout son sens cette année, la filière subissant de plein fouet les conséquences des mesures prises face au Covid-19. « La viande de gibier, c’est majoritairement dans les restaurants qu’on la trouve. Avec leur fermeture imposée, les débouchés sont quasiment à zéro », indique Dominique Martin-Letellier. Selon elle, on frise déjà les surstocks en viande de sanglier ou de cerf. « Les ateliers de traitement du gibier sauvage font partie des oubliés de la crise. Ils ont travaillé les bêtes qu’on a leur a amenées, supporté les coûts, mais sans avoir de débouchés. » Elle redoute également que les tables du réveillon ne débordent pas de gibier, parce que les Français seront certainement contraints de fêter Noël et le Nouvel An en petit comité.

S. Sabot

RESTAURATEURS / Les règles strictes pour proposer du gibier

La période de l’automne est souvent l’occasion idéale pour les restaurateurs d’ajouter le gibier à leurs cartes. Produit de saison, la réglementation en vigueur autorise toutefois la commercialisation de gibier d’élevage tout au long de l’année, excepté en Alsace et en Moselle. Le transport, la vente, la mise en vente et la détention pour la vente et l’achat des animaux vivants d’espèces dont la chasse est autorisée ou des animaux licitement tués à la chasse sont réglementés par les articles L.424-8 à L.424-13 ainsi que par les articles R.424-20 à R.424-22 du Code de l’environnement.

Cependant, « le gibier sauvage, prélevé à la chasse, ne peut être vendu que pendant la période de chasse. En dehors de ces dates, qui peuvent varier d’un département à l’autre, on ne peut pas l’inclure sur un menu de restaurant », stipule le groupement national des indépendants de l’hôtellerie et de la restauration (GNI) sur son site Internet. Pour autant, les restaurateurs ne peuvent pas vendre toutes les catégories de gibier. Sont autorisés les mammifères sauvages français (cerf, chevreuil, daim, lapin de garenne, sanglier, renard, etc.), le gibier d’élevage né et élevé en captivité en France ou à l’étranger (faisan, perdrix, caille, autruche, etc.) ou encore un certain nombre d’oiseaux sauvages tels que les canards colverts, les corbeaux freux, les pigeons, etc. La bécasse ou la grive ne peuvent toutefois pas être proposées à la vente.

Assurer la traçabilité du produit

Enfin, la commercialisation d’espèces exotiques, comme les caïmans, crocodiles, etc., est également interdite… En période de chasse, les restaurateurs ont l’autorisation de se procurer de la viande de gibier directement auprès des chasseurs, mais se frottent à des réglementations strictes visant à assurer principalement la traçabilité du produit (arrêté du 21 décembre 2009). Ils peuvent se fournir en gibier sauvage chassé à 80 km maximum de leur établissement. Par ailleurs, la loi stipule que les chasseurs n’ont pas l’obligation de soumettre leur gibier aux contrôles des services vétérinaires (hormis pour le sanglier), « lorsqu’il s’agit de petites quantités remises localement ». Ils doivent toutefois réaliser un examen initial du gibier immédiatement après la chasse et dresser une fiche d’accompagnement du gibier, comportant tous les éléments de traçabilité. Le sanglier est un gibier à part, au vu du risque de contamination. En effet, il s’agit d’une espèce sensible à la trichine, un parasite présent dans la viande dont l’ingestion peut causer des troubles graves voire mortels chez l’homme. Ainsi, avant toute vente, le chasseur doit faire procéder à une recherche de trichinellose. Enfin, toute personne qui commercialise du gibier mort ou des produits transformés voire cuisinés à base de gibier frais ou congelés, doit disposer d’un document comportant l’ensemble des mentions réglementaires : origine des animaux, date d’acquisition, identité du vendeur, espèce de l’animal, etc.

Amandine Priolet