Entretien avec Juliette Colin, ingénieure agronome et cheffe de projet en agroforesterie à l’Association Arbres et Paysages 11 (Aude). Elle animera en février deux sessions de formation sur la création d’un projet en agroforesterie, organisées par la chambre d’agriculture de l’Ardèche pour un public viticole.

Faire cohabiter arbres et vignes
L'agroforesterie en viticulture présente de nombreux intérêts : l’activation de la vie du sol, l’amélioration de sa porosité et le maintien de sa structure, la recréation de micro-climats, des effets sur la biodiversité et en matière de diversification. ©DR
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Juliette Colin ©DR

Que peuvent apporter les pratiques agroforestières en viticulture ? À quels enjeux participent-elles ?

Juliette Colin : « C’est une pratique très ancienne, retirée des exploitations avec le remembrement rural, et on se rend compte aujourd’hui que l’absence d’agroforesterie est problématique. L’enjeu est de bénéficier à nouveau de ses bienfaits écologiques et sociaux économiques, sans empêcher bien sûr la mécanisation. Il y a énormément d’intérêts différents et chaque système agroforestier va répondre à plusieurs objectifs. Au niveau du sol, l’agroforesterie intervient sur l’activation de la vie du sol, l’amélioration de sa porosité et le maintien de sa structure. Le système racinaire des arbres va retenir en profondeur les particules de sol et empêcher le phénomène mécanique d’érosion, apporter directement de la matière organique, chercher en profondeur l’eau et la remonter à la surface avec les nutriments, ce qui n’est pas négligeable pour la culture adjacente. Les feuilles des arbres aussi vont nourrir le sol. L’agroforesterie permet également de recréer des micro-climats, en modulant et en régulant les flux d’air et l’ombrage en fonction des besoins de la vigne et de la météo. Les arbres peuvent ainsi limiter en partie ou complétement la vitesse du vent, ou au contraire accélérer les flux d’air dans des zones où l’on a besoin qu’il circule pour éviter les problèmes d’oïdium, etc. Ils limitent aussi potentiellement le besoin d’intrants en rétablissant un équilibre d’un point de vue biodiversité, car ils favorisent la création de nouveaux habitats pour des auxiliaires de cultures très importants en vigne. L’effet sur la biodiversité est quasi immédiat, même sur des plantations jeunes. Quand on pense arbre en viticulture, on pense aussi à diversification, afin de se rabattre sur une autre culture quand les rendements en vigne ne sont pas satisfaisants. Cela peut concerner des arbres fruitiers, de la production d’arbres, de bois… Ces choses-là reviennent au goût du jour. »

Comment procéder avant de se lancer dans un projet de plantation ?

J.C. : « Le temps nous est un peu compté, mais planter des arbres dans ses cultures n’est pas anodin puisqu’il va falloir attendre une quinzaine d’années voire 20 ans pour en voir les effets complets. Pour éviter la perte de temps et d’argent, il faut prendre le temps de bien analyser chaque recoin de l’exploitation. L’exploitant est le mieux placé pour savoir comment réagissent les sols de ses parcelles, selon les endroits et à toutes les saisons, c’est très important. Après il faut choisir son système agroforestier en hiérarchisant ses objectifs, si on rencontre un problème de mouillères, des conditions gélives , etc. Faire appel à des professionnels aussi car de nombreuses structures et projets de recherche existent, donc on commence à avoir une vision globale de ce qu’on peut voir, de ce qui marche ou pas.

Quand on parle d’agroforesterie, ce ne sont pas juste des alignements dans le champ, ce sont aussi des bosquets, des arbres isolés, des haies… Pour les exploitants qui ne seraient pas encore prêts à implanter un système agroforestier complet, je suggère de commencer à planter là où cela ne gêne pas, en alignement en bord de champ ce qui présente plein d’intérêts sur l’érosion des sols et la biodiversité sans impacter la culture. Les fameux triangles en coin des parcelles de vigne, souvent non utilisés, sont aussi un bon début pour y laisser repousser les arbres ou planter de petits bosquets, tout en facilitant le passage des tracteurs. Après, partir sur des haies de contour si on a repéré des endroits où il faudrait que le vent soit atténué ou accéléré. Ensuite, pour le niveau au-dessus, faire des haies intra parcellaires ou des alignements intra parcellaires. »

Des mises en situation seront proposées dans le cadre des formations organisées en février. Comment se déroulent-elles concrètement ?

J.C. : « J’invite les participants à venir avec une image aérienne d’une parcelle sur laquelle ils réfléchissent éventuellement à mettre en place de l’agroforesterie, pour observer l’orthophoto et les courbes de niveaux. De là on peut imaginer sur papier comment placer son projet agroforestier selon ses objectifs, commencer à travailler sur l’origine des vents, la visibilité du domaine en matière de paysages, etc. Après on va sur le terrain pour mettre en pratique cette réflexion. Chaque stagiaire ne travaille pas forcément que sur son propre projet. Cela permet d’avoir un regard extérieur. Ce qui est important est de prendre son temps et de diversifier les points de vue et les avis afin d’enrichir son projet, être certain de n’oublier aucun potentiel intérêt de son système agroforestier. Les exploitants peuvent faire appel a de plus en plus de professionnels spécialisés. Dans chaque département quasiment se trouve une association (Mission Haie en Ardèche) qui accompagne les exploitants dans leurs projets de réimplantation de haies et d’arbres champêtres, quels que soient leurs filières ou leurs itinéraires techniques. 

L’idée de cette formation est d’apporter aux stagiaires des connaissances théoriques et leur permettre de commencer à avoir des connaissances pratiques sérieuses pour qu’ils puissent se projeter sur leur exploitation, leur faire connaître les financements existants et les conseiller car il y a un effet d’opportunité avec ces dispositifs d’aide. Nous sommes souvent confrontés à devoir corriger des projets agroforestiers qui ont bénéficié de beaucoup de financements mais de peu de connaissances sur la plantation et son terroir, ce qui fait perdre du temps. Les exploitants ont besoin que ça marche et vite. »

Propos recueillis par A.L.

« Créer un effet de symbiose »
Sur 5 hectares, Erwan Masse a planté 450 arbres en intra parcellaire, et des arbres buissonnants et arbustes pour les haies. ©AAA_AL
TÉMOIGNAGE

« Créer un effet de symbiose »

Vigneron installé à Sarras, Erwan Masse a intégré l’agroforesterie dans son système global d’exploitation, en plantant des arbres en intra parcellaire et des haies au milieu et en bordure des vignes.

Depuis son installation en 2017 sur un peu moins d'un hectare, Erwan Masse a commencé à cultiver la vigne avec des couverts végétaux et s’est intéressé petit à petit à l’agroforesterie à travers des formations suivies auprès de l’Association drômoise d’agroforesterie (Adaf). Aujourd’hui, cette pratique fait partie intégrante de son système global d’exploitation. Pour ce vigneron qui agrandit petit à petit son vignoble et dispose désormais de 5 ha dont 1 ha de Saint-Joseph, chaque nouvelle plantation de vigne se concilie systématiquement avec celle d’arbres fruitiers et d'arbustes champêtres. Au total, 450 arbres ont été plantés en intra parcellaire, ainsi que des arbres buissonnants et des arbustes pour les haies, disposées au milieu et en bordure des vignes.

Pommier, pêcher de vigne, amandier, grenadier, cerisier, prunier... Erwan Masse a planté des essences fruitières destinées au développement de grands arbres sur les parcelles exposées dans l’axe nord-sud, afin de limiter l’exposition des vignes au soleil couchant « qui a tendance à brûler », et des arbustes sur les parcelles situées dans l’axe est-ouest pour ne pas couper le soleil levant. À raison de 150 arbres/ha plantés un rang sur deux, au pied d'un plant de vigne pour avoir une densité de plantation qui respecte le cahier des charges de l'appellation Saint-Joseph, et en alternant les essences fruitières, il entend « pallier modestement le réchauffement climatique, apporter de la diversité biologique, favoriser la biodiversité et freiner la propagation des ravageurs, créer un effet de symbiose entre arbres, vignes et plantes, et diversifier les cultures ».

Pour le moment, ses vignes et ses arbres sont encore jeunes pour évaluer les effets de leur cohabitation. « L’impact arrivera d’ici 10 ans. Il faut du temps pour que tout se mette en place et trouver un équilibre », ajoute le vigneron, qui termine la conversion en bio de son vignoble cette année. Les arbres sont menés en haute tige, afin d'apporter de l'ombrage. Leur entretien est plutôt succinct : une taille et l’application de badigeons à l’automne, lors du creux d’activité de la vigne. « J’ai fait en sorte de planter des fruitiers qui ne demandent pas de récolte au moment des vendanges », précise-t-il. « Mes formations m'ont permis aussi de soulever quelques difficultés rencontrées, notamment sur les densités de plantation les plus adaptées à la vigne. Après d'autres questions viendront au fil du temps. Il y a un suivi à avoir et je pourrais m'appuyer sur l'Adaf pour ça. »

A.L.

Création d'un projet en agroforesterie
FORMATION

Création d'un projet en agroforesterie

La Chambre d’agriculture de l’Ardèche propose une formation de 2 jours à destination des viticulteurs qui souhaitent étudier la faisabilité d’un projet en agroforesterie : faire vivre ensemble des arbres et des vignes et en tirer parti.

Programme de la formation 

Comprendre les principes des agroforesteries et les services rendus par l’arbre champêtre :

  • Définition des pratiques agroforestières dans l’histoire.
  • Exemples de systèmes agroforestiers et analyses.
  • Présentation des projets de recherche et de leurs résultats sur l’agroforesterie viticole.

Comment définir et mettre en place un système agricole adapté aux besoins de son exploitation ?

  • Évaluation les besoins de l’exploitation face au dérèglement climatique.
  • Étude la faisabilité des changements de pratique selon le contexte de l’exploitation, du territoire etc.
  • Analyse les divers systèmes agroforestiers répondant aux besoins évoqués.

Construire son projet agroforestier 

  • Élaboration un calendrier d’action de mise en place d’un système agroforestier.
  • Les étapes techniques à la mise en place et à l’entretien d’arbres agroforestiers.
  • Étude de cas sur le terrain de projets existants.
  • Mise en pratique des techniques acquises par la conception d’un projet agroforestier viticole.

Diverses méthodes pédagogiques seront utilisées lors de ces journées de formation : apports fondamentaux à partir de diaporamas/photos et schémas, échanges en groupe et partage d’expériences, visite d’une exploitation sous réserve de disponibilité.

Deux sessions de formations prévues en février

  • Les 12 et 13 février en Nord Ardèche et les 14 et 15 février en Sud Ardèche.
  • Durée de la formation : 14 heures (9 h à 12h30 et 13h30 à 17 h).
  • Pré-inscriptions en ligne.
  • Responsables de stage : Amandine Fauriat, conseillère viticulture en Nord Ardèche, et José Guzman-Salinas, conseiller viticulture en Sud Ardèche.
  • Contact : Mélanie Terrasse : 04 75 20 28 58 - [email protected]