INTERVIEW /
« Depuis dix ans, on observe un début de repli pastoral »

Propos recueillis par Alison Pelotier
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INTERVIEW / Il y a plus d’un demi-siècle, le pastoralisme a connu son âge d’or avant de s’adapter progressivement aux nouvelles demandes sociétales. Laurent Garde, directeur adjoint du Cerpam (Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée), retrace son histoire et son adaptation.

« Depuis dix ans, on observe un début de repli pastoral »
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Laurent Garde, directeur adjoint du centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée retrace son histoire (Cerpam).

Comment retraceriez-vous l’histoire du pastora­lisme en France ?

Laurent Garde : « Le pastoralisme a connu son apo­gée pendant les Trente Glorieuses avec des impératifs très forts de productivité pour faire face aux besoins alimentaires de la planète. À la fin des années 1970, les exploitations françaises, aussi bien ovines que bo­vines, ont dû faire face à une certaine régression de la dimension pastorale. La pratique recule alors même qu’il n’existe pas encore de structuration technique. On arrive néanmoins très rapidement à un tournant. Pendant les trois décennies suivantes, les services pastoraux émergent, la recherche agronomique s’empare des politiques pastorales extrêmement dynamiques permises par la loi pastorale de 1972, très anticipatrice et visionnaire. C’est grâce à elle que les organisations collectives des éleveurs et les regroupements pastoraux sont encadrés. Le pasto­ralisme retrouve une nouvelle voie de modernisation et une structuration technique qui vient formaliser toutes les connaissances. On assiste à un véritable redéploiement de l’émergence pastorale avec la mise en oeuvre des premières mesures agroenvironne­mentales. Les années 2000 marquent un nouveau basculement. Nous assistons aujourd’hui à une fragilisation du champ pastoral qui nous interroge beaucoup sur l’avenir. »

Quel rôle la sauvegarde du loup en tant qu’es­pèce protégée a-t-elle joué dans l’évolution de la demande sociétale ?

L.G. : « Le loup est inévitablement un moteur d’évic­tion du pastoralisme. La volonté de le protéger n’est pas la seule cause du recul de cette pratique. Elle s’inscrit dans un basculement global d’une demande sociétale qui émerge des métropoles, une sorte de « rêve américain à la Yellowstone » de retour à la na­ture sauvage, un projet comme on ne l’a jamais connu avant, l’invention d’un nouveau paysage qui n’a jamais existé depuis le Néolithique en Europe. Aujourd’hui, l’élevage est remis en cause par une partie de la société. Nous sommes dans une phase paradoxale. D’un côté, on a une vraie demande de produits plus sains, plus savoureux, locaux et labelisés, sauf que ces mêmes métropolitains sont aussi ceux qui ne supportent pas d’être entravés dans leurs activités de loisirs par les chiens de protection, indispensables pour préserver les troupeaux. Le public citoyen idéa­lise un éleveur qui n’existe pas, méconnait le monde paysan. Résultat : depuis dix ans on commence à voir des phénomènes de repli, d’abandon des pratiques pastorales. »

Quel est impact de la gestion du loup sur les pra­tiques des éleveurs ?

L.G. : « Je sens beaucoup de souffrance et d’incom­préhension autour de la question du loup. Quand les meutes sont de plus en plus nombreuses, la protec­tion du troupeau passe en priorité, les éleveurs n’ont plus de temps à consacrer à la génétique, laissent de côté la technique, inévitablement. Ils n’ont plus les moyens intellectuels, la force mentale de gérer leur troupeau, la commercialisation de leurs produits comme si de rien était. Ces attaques sont une mise en cause violente de l’identité même des éleveurs. En parallèle, certaines accusations véganes sont extrêmement fortes à encaisser. Ce que nous ressen­tons, c’est que les plus radicaux sont une minorité mais ils sont l’expression d’un mouvement de fond qui lui est majoritaire. Pour l’instant, le projet politique affiché de cohabitation entre l’Homme et le loup laisse entendre qu’il est extrêmement facile de concilier les deux mais la réalité montre bien le contraire. »

Justement, quel est votre regard concernant les décisions politiques européennes prises à l’égard du pastoralisme ?

L.G. : « Cette demande sociétale d’ensauvagement dont je parle plus haut est avant tout soutenue par les politiques publiques européennes. Nous sommes loin du consensus des années 1980-2000 où le pas­toralisme était beaucoup moins attaqué. Les mou­vements contestataires européens soutenus par les nouvelles générations s’imposent de manière forte. La question animale est terriblement centrale. Nous parvenons plus difficilement à rendre audible ce qui paraissait une évidence auparavant. Une décision qui pouvait être plébiscitée il y a trente ans est aujourd’hui inaudible. Au-delà des discours politiques, la réali­té montre que dans certains territoires comme en montagne sèche, il n’y a pas d’alternative agricole, pas de reconversion radicale possible. Ici, les orien­tations de la Pac, en filière viande en particulier, sont absolument décisives. »

Propos recueillis par Alison Pelotier

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