DIVERSIFICATION
Des fruits méditerranéens dans nos vergers septentrionaux

Marine Martin
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Aux Vergers du puits, à Bren (Drôme), Yves et Anne Gélus ont fait le pari de la diversification. Un défi complexe mais nécessaire pour ces arboriculteurs en proie au changement climatique.

Des fruits méditerranéens dans nos vergers septentrionaux
La Senura, la chambre d’agriculture de la Drôme et les partenaires du projet Pepigramette ont organisé une visite aux Vergers du puits.©DR_chambreagricultureDrôme

Pendant plusieurs décennies, abricots et noix ont fait vivre la famille Gélus en Drôme des collines. Deux productions spécialisées, des récoltes livrées à la coopérative : un système rodé qu’Yves a perpétué après le départ en retraite de son père, en 1998. Dix ans plus tard, avec l’installation de son épouse, Anne Gélus, débute une transition globale de l’exploitation. « Elle voulait commercialiser en direct et on sentait qu’il y avait de la demande », raconte Yves. Le couple d’arboriculteurs commence alors à proposer ses fruits à des amis de l’Ain, puis à des amis d’amis en Saône-et-Loire et rapidement des réseaux se créent dans l’Est de la France, allant du Jura, aux Hautes-Alpes, en passant par la Haute-Savoie. « Au début, on faisait encore du volume pour la coop, mais en abricots on est rapidement passé au circuit court pour toute la production. Déjà, parce que c’était compliqué de travailler de deux façons différentes, et surtout parce que ça se développait bien », se souvient l’arboriculteur.

Quatre leviers face au changement climatique

Depuis 2008, la dynamique perdure. Ces réseaux regroupent aujourd’hui plus d’un millier de personnes et la ferme a aussi rejoint les paniers paysans AlterConso à Lyon, le tout complété par des ventes à la ferme. Et pour ce qui est des volumes, ils ont pu être revus à la baisse grâce à la valorisation des prix. Désormais, les Vergers du puits ne comptent plus que 4 hectares d’abricotiers, contre 10, il y a une dizaine d’années. Poussés par le dérèglement climatique, les noyers ont connu le même chemin, passant de 18 à 4 ha. « Aujourd’hui, on garde ceux qui nous restent, mais on n’est pas très optimiste, reconnaît l’arboriculteur. Les noyers ont besoin de beaucoup d’eau et n’aiment pas la chaleur… À terme, c’est une production qui risque de disparaître. » Face aux aléas récurrents, Anne et Yves cherchent à s’adapter. De cette réflexion naît l’idée de créer un système résilient basé sur quatre leviers. D’abord le circuit court, pour choisir le prix de vente des produits. Deuxièmement, l’aménagement des parcelles, avec notamment des principes d'agroécologie. Troisièmement, l’autonomie à tous les niveaux : énergie, engrais, machines. Et enfin, la diversification des espèces et des variétés.

Cumul des espèces et des variétés

Aux Vergers du puits, cette diversification a débuté en 2011 avec la plantation d’amandiers. « On s’est un peu renseigné et on a choisi une variété à floraison tardive. Le gel de printemps n’est pas un problème », détaille l’arboriculteur. L’expérience a été concluante, au point de compter plus de 2 ha d’amandiers aujourd’hui. « Ce n’est pas une culture avec laquelle on gagne beaucoup d’argent, car les rendements ne sont pas énormes, précise encore Yves. Mais la contrepartie, c’est que les amandiers demandent peu de travail en dehors de la récolte. » Les raisins de table, plantés en 2020 sur 1 ha, sont au contraire une culture très technique pour un rendement et un prix intéressant. « C’est le cumul des fruits qui fait que les choses se passent bien. On sait qu’on aura toujours un problème quelque part, donc l’idée est de réussir un peu quelque chose chaque année », assure l’arboriculteur.
Cumul des espèces mais aussi des variétés. Quatre types de grenadiers ont notamment été plantés en 2020 (acco, provence, hermione et wonderful) sur 1,5 ha. « Ça permet de voir ce qui marche ou non. Et puis, il peut y avoir un problème sur une variété une année et pas sur une autre, comme on a pu le voir cette saison pour les abricots [NDLR : des bergerons, orange red et soledans sont cultivés sur la ferme] », illustre l’exploitant.

Des ratés et des projets

À Bren, des vergers méditerranéens sortent progressivement de terre. Certains s’implantent durablement, tandis que d’autres sont vite abandonnés. « C’est la difficulté : il y a peu de références techniques et ça peut être compliqué de trouver des plants », observe Yves. Les noisetiers auront, par exemple, donné du fil à retordre au couple, au point qu’il n’en reste aujourd’hui plus que 70 ares. Avec les pistachiers, plantés en 2020, les arboriculteurs ont également fait face à une impasse avec un très mauvais taux de reprise.
Mais pas de quoi entamer la motivation de l’arboriculteur. L’année dernière, il a poursuivi son expérimentation en plantant des mandariniers satsuma, une variété japonaise rustique, habituée aux gelées hivernales. « La plupart ont une belle reprise, se félicite Yves. C’est un pari mais je suis convaincu que cette espèce a un avenir ici. » En 2025, ce sont des plaqueminiers qui devraient être plantés sur la ferme et à terme des oliviers pourraient aussi faire leur apparition si leur fille décide de s’installer à son tour. « Mais comme pour les agrumes, c’est une réflexion à mener sur plusieurs années », nuance l’arboriculteur. Quoi qu’il en soit, Yves et Anne Gélus comptent continuer de diversifier, sur des petites surfaces, quitte à louer une partie de leurs 27 ha à des maraîchers du secteur : « Notre modèle n’est pas fait pour des volumes importants », conclut Yves. 

Pauline De Deus

Des essais mis en commun

Pour partager leur expérience, bénéficier d’un suivi et créer des références dans le domaine, les Vergers du puits ont rejoint le programme Pepigramette (pecan, pistache, grenade, amande, noisette). Porté par la Senura en partenariat avec la chambre d’agriculture de la Drôme, le Grab et la Sefra, ce projet a pour objectif d’acquérir des connaissances sur le comportement du matériel végétal de ces espèces, d’identifier les potentiels bioagresseurs du territoire et de mieux connaître les conduites culturales adaptées pour une installation pérenne de ces fruits dans la région. Ce projet financé par le dispositif Pepit de la Région et du ministère de l’Agriculture a débuté en 2023 et doit se poursuivre jusqu’en 2025.

Installé en 1992 sur la ferme familiale, Yves Gélus a débuté une transition depuis une quinzaine d’années en commercialisant en circuit court. L’exploitation arboricole est aussi passée en bio en 2010.©©AD_PDeDeus
Désormais l’arboriculteur n’intervient plus sur ses parcelles au printemps. L’herbe pousse jusqu’à maturité puis elle est couchée au sol à l’aide d’un rouleau pour servir de paillage l’été. Elle se décompose ensuite à l’automne et vient enrichir les sols.©DR_Vergersdupuits
Les Vergers du puits cultivent des grenadiers sur 1,5 ha depuis 2020.©DR_chambreagricultureDrôme