PRÉDATION
Face aux loups, la santé des éleveurs est en perdition

Touchés par la pression de la prédation de plus en plus forte, les éleveurs sont fortement impactés d’un point de vue psychologique, au-delà de la diminution de leurs cheptels et des répercussions économiques. Quelles conséquences sur la santé des éleveurs et des bergers ? Résultats d’une étude réalisée par deux chercheurs de l’Inrae Toulouse.

Face aux loups, la santé des éleveurs est en perdition
Entre surmenage et angoisse, sentiment d’être incompris et d’être seul, face à la prédation du loup, les effets sur la santé des éleveurs et des bergers sont réels. ©Frédéric Gontard

Dans les zones de haute et moyenne montagne mais également en plaine, la prédation du loup sur les troupeaux se renforce, mettant les élevages en grande difficulté. Certains éleveurs ou bergers ont déjà évoqué l’idée d’arrêter ce métier de passion, et ce, pour plusieurs raisons : non seulement, la prédation met en jeu la sécurité financière des exploitations agricoles, mais elle a aussi un impact fort sur la santé des éleveurs et de leurs familles. C’est ce qu’ont tenté de démontrer Frédéric Nicolas et Antoine Doré, deux scientifiques du laboratoire Agroécologie, innovations et territoires (Agir) du centre Inrae Occitanie-Toulouse, dans une étude financée par la MSA (2019-2021) et intitulée « Étude socio-anthropologique sur les effets de la présence du loup sur la santé des éleveurs et bergers ». Après deux ans de recherche, le duo de sociologues a mis en lumière le lien entre santé des éleveurs et stress dû aux évolutions des conditions de travail dans un contexte de prédation. L’étude rappelle la réapparition officielle du loup en France, et plus précisément dans le Mercantour, en 1992, « entraînant une pression de prédation importante sur l’élevage extensif, notamment l’élevage pastoral ovin ».

La prédation pèse sur le moral

Depuis, les attaques sur les troupeaux sont en perpétuelle croissance et la présence lupine devient un véritable fléau pour l’activité des éleveurs. Malgré l’instauration du Plan loup, les exploitants agricoles sont épuisés : entre surmenage et angoisse, sentiment d’être incompris et d’être seul, les facteurs sur leur santé sont réels. « Dans les territoires où le loup est présent depuis plusieurs années voire plusieurs décennies par exemple, les éleveurs et bergers, notamment parmi ceux qui ne subissent pas de grosses attaques, peuvent ne plus réagir aussi fortement aux attaques qu’ils pouvaient le faire par le passé. Une certaine routine ou habitude peut s’installer au bout de quatre à cinq ans, et les attaques deviennent normales, au point de faire partie d’une routine de galères. Cela ne veut pas dire qu’ils n’en souffrent pas », précisent les deux chercheurs. Toutefois, la non-reconnaissance par les pouvoirs publics parfois ressentie, l’ignorance des autres usagers de la nature et les difficultés qui en découlent, notamment avec les chiens de protection, sont tout autant d’effets indirects de la prédation qui pèsent sur le profil psychologique des éleveurs ou des bergers. « Ne pas être reconnu comme victime s’ajoute ainsi à la stupeur et au stress provoqué par la menace ressentie dans le cours de l’activité et contribue à fragiliser le statut ou la réputation de ces éleveurs et bergers, présentés (et parfois se considérant) comme des affabulateurs », stipule l’étude. Et d’ajouter : « Quand les troupeaux sont attaqués, ce sont souvent ces pratiques (de garde et de protection des troupeaux, ndlr) qui sont remises en question, notamment publiquement, dans les grands médias ou sur les réseaux sociaux. La prédation sur les troupeaux y est alors présentée comme un révélateur des dysfonctionnements de la profession, des incompétences des travailleurs voire de leur paresse (…). Ainsi, selon ces termes, éleveurs et bergers ne sont jamais vraiment des victimes de la prédation : ils en sont plutôt les premiers responsables ». À tout cela s’ajoute pour les éleveurs la peur et la pression de mettre en péril l’exploitation agricole, et plus particulièrement pour ceux qui se sont installés sur la ferme familiale.

Cacher les failles

Connus comme des « durs au mal », les éleveurs, et plus globalement les agriculteurs, ont bien souvent un rapport ambigu avec les prises en charge médicales. Parler de leurs ressentis suite à des attaques de loups n’est pas chose aisée : d’un côté, ils souhaitent préserver leurs proches et ne pas leur montrer leurs failles, d’un autre, ils ne se sentent pas réellement compris par des professionnels de santé n’ayant pas connu pareille situation. L’étude, qui s’est appuyée sur des entretiens et des données statistiques auprès d’éleveurs et bergers, a permis de montrer que la prédation était un facteur de stress physique et psychologique important. Les attaques, aussi violentes soient-elles, provoquent des sentiments de colère, de détresse, voire d’abattement chez les professionnels du pastoralisme. Au-delà de l’angoisse que la présence du loup entraîne, celle-ci cause, à force de répétition, un surmenage, voire un burn-out ou un état dépressif. Mais cette étude montre également que « l'impact sur la santé n'est pas strictement corrélé à la pression directe de la prédation. La nature et l’intensité des effets de la présence du loup sur la santé sont davantage corrélées au sentiment que l’éleveur ou le berger a de maîtriser la situation lupine dans ses dimensions pratiques (savoir faire face), mais aussi symboliques (pouvoir faire sens) ».

Amandine Priolet

 

Accompagnement de la MSA

Face aux attaques de loups de plus en plus courantes, la Mutualité sociale agricole (MSA) cherche à limiter les incidences sur la santé des éleveurs. Au début des années 2010, la MSA Ardèche Drôme Loire a réalisé un film intitulé « Éleveurs : les morsures invisibles », pour sensibiliser et accompagner les éleveurs touchés par la prédation. Quelques années plus tard, la MSA Alpes du Nord a participé à la réalisation d’un film en partenariat avec le syndicat des éleveurs ovins de Savoie et la DDT 73 appelé « La montagne en sursis ». Outre ces actions de communication, la MSA joue avant tout un rôle d’accompagnement auprès des éleveurs. Pour ce faire, un numéro spécial « MSA Détresse : 04 75 75 68 86 » est à la disposition des exploitants agricoles souhaitant obtenir un suivi psychologique et/ou médical.

A.P.